Mais je pense que la performance d'une actrice porno n'a pas grand chose à voir avec l'interprétation d'un rôle dans un film «traditionnel». Le jeu au cinéma (non porno) est soumis de façon plus ou moins importante à une exigence de vérité, de «naturel», d'authenticité, de crédibilité : ce qui est montré à l'écran doit ressembler à la «vie», l'acteur ne doit pas apparaître comme l'interprète d'un rôle mais au contraire s'effacer comme s'il était un personnage réel. Le conception du «naturel», de l'authenticité, de la vérité varient sans doute grandement selon les cinéastes, les critiques ou les spectateurs, et Robert Bresson par exemple trouvait que tous les films de son époque étaient caractérisés par la fausseté de leur jeu d'acteur, et il exigeait quant à lui que «l’interprète soit absolument ignorant de lui-même», estimant que «l’acteur idéal de cinéma, c’est la personne qui n’exprime rien». Mais la norme implicite (bien que variable) reste l'effacement du «théâtral», de l'artifice, de l'exagéré, du «posé», au profit du naturel ou de l'authenticité, d'une forme plus ou moins explicite de vraisemblance, comme si l'écran devait correspondre à une réalité dont nous pourrions tous faire l'expérience plus ou moins directement.
Or la pornographie aujourd'hui (dans sa plus grande part) ne prétend absolument pas refléter une expérience de la vie partagée par tous. Il s'agit au contraire de mettre en scène des expériences de sexualité extrême que les spectateurs dans leur très grande majorité n'ont jamais vécues personnellement. Ainsi, les gang bangs, les doubles ou triples pénétrations, les bukkakes, les ass-to-mouth, les fist fuckings et d'autres actions devenues fréquentes dans les années 2000 constituent des pratiques rares sinon exceptionnelles qui ne peuvent prétendre représenter la sexualité pratiquée par la plupart de nos contemporains (amateurs ou non de films pornos).
La pornographie n'est donc pas un «reflet» de la réalité et constitue bien plutôt une expérimentation de la sexualité. Et les actrices «pornos» qui se livrent à de telles expérimentations réalisent des «performances» que l'on doit bien plus rapprocher de celles des artistes contemporains que du jeu d'un acteur «traditionnel» : comme le dit Wikipedia (en l'état, novembre 2010), «l’“art corporel” ou “body-art” des années 1960 et 1970 définit une pratique où les limites du corps sont mises à l'épreuve dans un cadre artistique et où l'artiste vise à expérimenter et à faire partager une œuvre dans laquelle le corps est mis en état de déstabilisation cognitive ou expérientielle».
Une actrice qui reçoit plusieurs pénis dans la bouche, le vagin, l'anus et et les mains, réalise une performance dans tous les sens du terme, et ce qui fascine les spectateurs, c'est précisément sa capacité à réaliser des pratiques aussi extrêmes. En cela, la pornographie des années 2000 se distingue notamment de celle qui est apparue dans les années 1970 et qui prétendait refléter une forme de sexualité libérée pratiquée par un nombre de plus en plus important de personnes (jusqu'à ce que notamment la pandémie du sida ne mette un terme à cette façon de voir). À cette époque d'ailleurs, certaines formes de sexualité extrême étaient déjà représentées, mais de façon marginale, en étant cantonnées dans des «genres» ou des «secteurs» plus ou moins spécialisés (réputés «pervers»). Aujourd'hui en revanche, beaucoup de ces pratiques extrêmes (comme celles déjà citées) sont devenues centrales dans la pornographie et sont désormais pratiquées par les stars du porno. (L'exigence de «naturel», de «vraisemblance» ou de «réalisme» se retrouve désormais quant à elle cantonnée dans des genres spécialisés comme les films «amateurs» ou présentés comme tels.)
L'image présentée ci-dessus rend précisément hommage à une actrice des années 1990, une femme d'une très grande beauté, qui, une des premières, a réalisé de véritables performances pornographiques, qu'il s'agisse de fist fucking, de double pénétration ou de sexualité de groupe… Son «jeu» n'a jamais été naturel et a au contraire toujours privilégié l'excès et l'expressivité, mais la performance mise en images atteint, à mon estime, une forme de grâce et de beauté.
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