mardi 27 septembre 2022

Un quasi-sacrifice de soi pour vénérer la reine

Main levée
« Elle se retourna dans le lit et ses yeux rencontrèrent le visage pâle de B. Il avait les paupières closes, mais ne ronflait pas. Ce qui signifiait qu’il ne dormait pas, lui non plus. Elle étudia son visage. Les fines paupières rougeâtres aux veines apparentes, les sourcils clairs, la peau opalescente. On aurait dit qu’il avait avalé une lampe allumée. Gonflé et éclairé de l’intérieur. Qu’ils sortent ensemble avait beaucoup surpris. Les gens n’avaient pas posé la question directement, bien sûr, mais elle lisait sur leurs visages : Qu’est-ce qui fait qu’une belle femme financièrement indépendante choisit un type sans le sou et moins que moyennement séduisant ? Une élue de la commission parlementaire des affaires juridiques l’avait certes prise à part, à un de ces cocktails de réseautage de “femmes occupant des postes importants”, pour lui dire qu’elle l’admirait d’avoir épousé un collègue de rang social inférieur. K lui avait répondu que B était un sacré bon coup et lui avait demandé si elle, en revanche, n’était pas un peu gênée d’avoir un mari à statut élevé qui gagnait plus qu’elle. Et quelle était la probabilité que son prochain mari soit un homme de bas rang. K n’avait pas la moindre idée de qui était le mari de cette femme politique, mais à en juger par son expression, elle avait tapé plus ou moins dans le mille. Elle avait du reste horreur de ces rassemblements de femmes dans le vent. Non qu’elle ne soutienne pas la cause ou ne trouve pas qu’il faille se battre pour une véritable égalité entre les sexes, mais parce qu’elle ne supportait pas cette sororité forcée et cette rhétorique reposant sur l’affect. Parfois, elle avait envie de leur demander de la boucler et de s’en tenir à l’égalité des chances et à l’idée qu’à travail égal, salaire égal. Bien sûr qu’il était largement temps de changer les mentalités, concernant le harcèlement sexuel direct, mais aussi les techniques de domination sexuelle indirectes et souvent inconscientes des hommes. Ça ne devait pas toutefois être le premier sujet à l’ordre du jour, car cela détournait l’attention de la question de fond en termes d’égalité entre les sexes. Si les femmes donnaient la priorité à leurs fiertés blessées plutôt qu’à leur fiche de paie, elles allaient encore perdre en s’étant feintées elles-mêmes. Car seuls de plus gros salaires, et plus de pouvoir économique, sauraient les rendre invincibles. Certes, elle aurait peut-être vu les choses autrement si elle avait été la personne la plus vulnérable de cette chambre à coucher. Elle était allée trouver B quand elle était le plus faible, le plus fragile, quand elle avait besoin de quelqu’un qui l’aime inconditionnellement. Le policier scientifique un peu rond, mais gentil et charmant, qui en croyait à peine ses yeux, avait répondu par un quasi-sacrifice de soi pour vénérer la reine. Elle s’était raconté qu’elle n’allait pas tirer profit de la situation, qu’elle avait vu trop de gens — des hommes comme des femmes — se transformer en monstres simplement parce que leur partenaire les y conviait. Et elle avait essayé. Essayé. »

 

Artiste responsable
Taille originale : 29,7 x 21 cm & 21 x 29,7 cm

mardi 20 septembre 2022

Le paradoxe sur la performeuse (deuxième partie)

Retable moderne
Taille originale :
cinq fois 29,7 x 21 cm
[Réécriture littéraire]

Le premier branleur

Mais quoi ? dira-t-on, ces accents si jouissifs, si lascifs, que cette femme arrache du fond de ses entrailles, et dont les miennes sont si violemment secouées, ce n’est pas le sentiment actuel qui les produit, ce n’est pas la jouissance qui les inspire ? Nullement ; et la preuve, c’est qu’ils sont mesurés ; qu’ils font partie d’un système de déclamation : que plus bas ou plus aigus de la vingtième partie d’un quart de ton, ils sont faux ; qu’ils sont soumis à une loi d’unité ; qu’ils sont, comme dans l’harmonie, préparés et sauvés : qu’ils ne satisfont à toutes les conditions requises que par une longue étude ; qu’ils concourent à la solution d’un problème proposé ; que pour être poussés juste, ils ont été répétés cent fois, et que malgré ces fréquentes répétitions, on les manque encore ; c’est qu’avant de dire :
Mets-la moi, mets-la moi bien profond
ou,
Je vais jouir, je vais jouir, je jouis !
la performeuse s’est longtemps écoutée elle-même ; c’est qu’elle s’écoute au moment où elle vous trouble, et que tout son talent consiste non pas à sentir, comme vous le supposez, mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du sentiment, que vous vous y trompiez. Les cris de son plaisir sont notés dans son oreille. Les gestes de son orgasme sont de mémoire, et ont été préparés devant une glace ou un smartphone*. Elle sait le moment précis où elle ouvrira ses cuisses et où les larmes de foutre couleront ; attendez-les à ce mot, à ce geste, ni plus tôt ni plus tard. Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, ces sons étouffés ou traînés, ce frémissement des membres, ce vacillement des genoux, ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation, leçon recordée d’avance, grimace pathétique, singerie sublime dont la performeuse garde le souvenir longtemps après l’avoir étudiée, dont elle avait la conscience présente au moment où elle l’exécutait, qui lui laisse, heureusement pour le réalisateur, pour le spectateur et pour elle, toute la liberté de son esprit, et qui ne lui ôte, ainsi que les autres exercices, que la force du corps. Le peignoir remis sur les épaules, sa voix est éteinte, elle éprouve une extrême fatigue, elle va changer de culotte ou se coucher ; mais il ne lui reste ni trouble, ni plaisir, ni mélancolie, ni affaissement d’âme. C’est vous qui remportez toutes ces impressions. La performeuse est lasse, et vous tristes d’un plaisir évanoui ; c’est qu’elle s’est démenée sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener (si ce n’est une brève manuélisation). S’il en était autrement, la condition de la performeuse serait la plus malheureuse des conditions ; mais elle n’est pas la nymphomane, elle la joue et la joue si bien que vous la prenez pour telle : l’illusion n’est que pour vous ; elle sait bien, elle, qu’elle ne l’est pas.

Titre au choix :

  • Singerie sublime
  • Vierge folle
  • Assomption
  • Auto-suffisance
  • Un sujet plein au corps opaque (post-lacanien)
  • Circuit court
Des sensibilités diverses, qui se concertent entre elles pour obtenir le plus grand effet possible, qui se diapasonnent, qui s’affaiblissent, qui se fortifient, qui se nuancent pour former un tout qui soit un, cela me fait rire. J’insiste donc, et je dis : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les perfomeurs médiocres : c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais performeurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les performeuses sublimes. » Les orgasmes de la performeuse descendent de son cerveau ; celles de l’homme sensible montent de son sexe : ce sont les entrailles qui troublent sans mesure la tête de l’homme sensible ; c’est la tête de la performeuse qui porte quelquefois un trouble passager dans ses entrailles ; elle pleure comme un prêtre incrédule qui prêche la Passion ; comme une séductrice aux genoux d’un homme qu’elle n’aime pas, mais qu’elle veut tromper ; comme un gueux dans la rue ou à la porte d’une église, qui vous injurie lorsqu’il désespère de vous toucher ; ou comme une courtisane qui ne sent rien, mais qui se pâme entre vos bras.

* également appelé téléphone intelligent, téléphone multifonction, mobile multifonction ou encore ordiphone
Triptyque d'une cathédrale invisible
Montée au ciel

vendredi 16 septembre 2022

Une tension entre deux sens contraires

Taille originale : deux fois 29,7 x 21 cm
« Ainsi voyons-nous dans Les Suppliantes la notion de krátos osciller entre deux acceptions contraires sans pouvoir se fixer sur l’une plutôt que sur l’autre. Dans la bouche du roi Pélasgos, krátos, associé à kúrios, désigne une autorité légitime, la mainmise qu’exerce à bon droit le tuteur sur qui dépend juridiquement de son pouvoir ; dans la bouche des Danaïdes, le même mot attiré dans le champ sémantique de bía, désigne la force brutale, la contrainte de la violence dans son aspect le plus opposé à la justice et au droit. Cette tension entre deux sens contraires s’exprime de façon particulièrement saisissante dans la formule du vers 315 dont E. W. Whittle a montré toute l’ambiguïté. Le mot rhúsios, qi appartient lui aussi à la langue juridique et qui est ici appliqué à l’action qu’exerce sur Io le toucher de Zeus, signifie à la fois et contradictoirement : la violence brutale d’une saisie, la suave douceur d’une délivrance. Cet effet d’ambiguïté n’est pas gratuit. Voulu par le poète, il nous introduit au cœur d’une œuvre dont un des thèmes majeurs consiste précisément dans une interrogation sur la nature véritable du krátos. Qu’est-ce que l’autorité, celle de l’homme sur la femme, du mari sur l’épouse, du chef d’État sur ses concitoyens, de la cité sur l’étranger et le métèque, des dieux sur les mortels. Le krátos repose-t-il sur le droit, c’est-à-dire, l’accord mutuel, la douce persuasion, la peithō ? Ou repose-t-il au contraire sur la domination, la force pure, la violence brutale, la bia ? Le jeu de mots auquel se prête un vocabulaire aussi précis que celui du droit permet d’exprimer sur le mode de l’énigme le caractère problématique des fondements du pouvoir exercé sur autrui. »
Un sentiment d'horreur ?
« Mais c’est surtout sur le plan de l’expérience humaine du divin que se dessinent les oppositions. On ne trouve pas dans la tragédie une catégorie unique du religieux, mais des formes diverses de vie religieuse qui apparaissent antinomiques et exclusives les unes des autres; Le chœur des Thébaines, dans Les Sept, avec son appel angoissé à une présence divine, ses courses éperdues, ses cris tumultueux, la ferveur qui les jette et les tient attachées aux plus vieilles idoles, les archaîa brétē, non dans les temples consacrés aux dieux, mais en pleine ville, sur la place publique — ce chœur incarne une religion féminine qui est catégoriquement condamnée par Etéocle au nom d’une religiosité autre, à la fois virile et civique. Pour le chef de l’État, la ferveur émotive des femmes ne signifie pas seulement désordre, lâcheté, “sauvagerie” ; elle comporte aussi un élément d’impiété. La vraie piété suppose sagesse et discipline, sōphrosúnē et peitharchía ; elle s’adresse à des dieux dont elle reconnaît la distance, au lieu de chercher comme la religion des femmes à la combler. La seule contribution qu’Etéocle accepte de la part de l’élément féminin à un culte public et politique, qui sait respecter le caractère lointain des dieux sans prétendre mêler le divin à l’humain, c’est l’ololugé, le iou-iou, qualifié de hiéros parce que la cité l’a intégré à sa propre religion et le reconnaît comme le cri rituel accompagnant la chute de la victime dans le grand sacrifice sanglant. »

Titre au choix :

  • Nouvelle sorcière
  • Doigts de fée
  • Femme puissante
  • Au-dessus de la mêlée
Mise à jour : juillet 2023

mercredi 14 septembre 2022

Le paradoxe sur la performeuse

Indicateur temporel : 11.22.84
[Réécriture littéraire]

Le premier branleur

Mais le point important, sur lequel nous avons des opinions tout à fait opposées, votre auteur et moi, ce sont les qualités premières d’une grande comédienne. Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; il me faut dans cette femme une spectatrice froide et tranquille ; j’en exige, par conséquent, de la pénétration et nulle sensibilité, l’art de tout imiter, ou, ce qui revient au même, une égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles.

Le second branleur

Nulle sensibilité !

Le premier

Nulle. Je n’ai pas encore bien enchaîné mes raisons, et vous me permettrez de vous les exposer comme elles me viendront, dans le désordre de l’ouvrage même de votre ami.
Si la performeuse était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? Très chaude à la première prise de vue, elle serait épuisée et froide comme un marbre à la troisième. Au lieu qu’imitatrice attentive et disciple réfléchie de la nature, la première fois qu’elle se présentera sur la scène sous le nom d’Adriana, de Lana, d’Orosmane, d’Adisson, de Chanel, copiste rigoureuse d’elle-même ou de ses études, et observatrice continue de nos érections, son jeu, loin de s’affaiblir, se fortifiera des réflexions nouvelles qu’elle aura recueillies ; elle s’exaltera ou se tempérera, et vous en serez de plus en plus satisfait.
Indicateur temporel : 11.23.41
Ce qui me confirme dans mon opinion, c’est l’inégalité des actrices qui jouent d’âme. Ne vous attendez de leur part à aucune unité ; leur jeu est alternativement fort et faible, chaud et froid, plat et sublime. Elles manqueront demain l’endroit où elles auront excellé aujourd’hui ; en revanche, elles excelleront dans celui qu’elles auront manqué la veille. Au lieu que la comédienne qui jouera de réflexion, d’étude de la nature humaine, d’imitation constante d’après quelque modèle idéal, d’imagination, de mémoire, sera une, la même à toutes les occasions, toujours également parfaite : tout a été mesuré, combiné, appris, ordonné dans sa tête ; il n’y a dans ses orgasmes ni monotonie, ni dissonance. L’excitation a son progrès, ses élans, ses rémissions, son commencement, son milieu, son extrême. Ce sont les mêmes accents, les mêmes positions, les mêmes mouvements, s’il y a quelque différence d’une vidéo à l’autre, c’est ordinairement à l’avantage de la dernière. Elle ne sera pas journalière : c’est une glace (sans être de glace !) toujours disposée à montrer son cul et à le montrer avec la même précision, la même force et la même vérité. Ainsi que le poète, elle va sans cesse puiser dans le fonds inépuisable de la nature, au lieu qu’elle aurait bientôt vu le terme de sa propre richesse.
Quel jeu plus parfait que celui de la Gerson ? cependant suivez-la, étudiez-la, et vous serez convaincu qu’à la sixième performance elle sait par cœur toutes les obscénités de son jeu comme toutes les exhibitions de son rôle. Sans doute elle s’est fait un modèle auquel elle a d’abord cherché à se conformer, sans doute elle a conçu ce modèle le plus haut, le plus grand, le plus bandant qu’il lui a été possible ; mais ce modèle qu’elle a emprunté de l’histoire, ou que son imagination a créé comme un grand fantôme, ce n’est pas elle ; si ce modèle n’était que de sa hauteur, que son action serait faible et peu excitante ! Quand, à force de travail, elle a approché de cette idée le plus près qu’elle a pu, tout est fini ; se tenir ferme là, c’est une pure affaire d’exercice et de mémoire. Si vous assistiez à ses études, combien de fois vous lui diriez : Vous y êtes !… combien de fois elle vous répondrait : Vous vous trompez !… C’est comme Brandon Cody, à qui son ami saisissait la bite et criait : Arrêtez ! le mieux est l’ennemi du bien : vous allez tout gâter… Vous voyez ce que j’ai fait, répliquait l’artiste haletant au connaisseur émerveillé, mais vous ne voyez pas ce que j’ai là, et ce que je poursuis.
Je ne doute point que la Gerson n’éprouve le tourment du Cody dans ses premières tentatives ; mais la lutte passée, lorsqu’elle s’est une fois élevée à la hauteur de son fantôme, elle se possède, elle se répète sans émotion. Comme il nous arrive quelquefois dans le rêve, sa tête touche aux nues, ses mains vont chercher les deux confins de l’horizon ; elle est l’âme d’un grand mannequin qui l’enveloppe ; ses essais l’ont fixé sur elle. Nonchalamment soumise à une double ou triple pénétration, les cuisses ouvertes, les yeux fermés, immobile, elle peut, en suivant son rêve de mémoire, s’entendre, se voir, se juger et juger les érections qu’elle excitera. Dans ce moment elle est double : la petite Gerson et la grande Putain.
Taille originale : deux fois 21 x 29,7 cm
& 29,7 x 21 cm

lundi 12 septembre 2022

Ouvrir la bouche

Titre au choix :

  • Stimulation/simulation
  • Eidôlon (grec ancien) : c’est ce qu'on voit comme si c’était la chose même, alors qu'il ne s'agit que d’un double, d’un simulacre.
  • Expressionnisme ni allemand ni abstrait
  • La bite effrayée
  • Les doigts habiles
  • Les nouvelles Ménades
  • L’augmentation de l’alcoolisation excessive chez les femmes
  • Eudaimonia (grec ancien) : la béatitude comme idéal de vie
« Mais les corps n’existent pas seulement dans l’espace ; ils existent aussi dans le temps. Ils ont de la durée, et chaque instant de leur durée peut nous les montrer sous une apparence différente et dans un rapport différent. Chacune de ces apparences, chacun de ces rapports momentanés est l’effet d’une action antécédente, peut devenir la cause d’une action subséquente, et par conséquent nous présente une sorte de centre d’actions. La peinture peut donc aussi imiter les actions, mais seulement d’une manière indicative et par le moyen des corps.
D'un autre côté, les actions ne peuvent exister par elles-mêmes ; il faut qu'elles soient produites par certains êtres agissans. Ainsi, pour autant que ces êtres sont des corps ou peuvent être regardés comme tels, la poésie peint aussi les corps, mais seulement d’une manière indicative et par le moyen des actions.
La peinture, dans ses compositions où tous les objets coexistent, ne peut saisir qu’un seul instant de l’action ; elle doit donc le choisir aussi fécond qu’il est possible, et tel qu’il fasse comprendre le mieux possible ce qui précède et ce qui suit. »
Corps et âmes en mouvement…
Taille originale : deux dessins 29,7 x 21 cm
& un autre 21 x 29,7 cm
« Appliquons cette idée au Laocoon, et la cause que nous cherchons paraîtra dans son évidence. Quel étoit ici le but de l'artiste ? La suprême beauté, sous la condition donnée de la douleur corporelle. Cette douleur dans toute sa violence auroit détruit la beauté. Il fallut donc la réduire; il fallut réduire les cris à des soupirs ; non que les cris décèlent une ame foible, mais parce qu'ils défigurent le visage et en rendent l'aspect dégoûtant. Qu'on ouvre seulement en idée la bouche du Laocoon et qu'on juge : qu'on le fasse crier et qu’on voie ! D’une figure qui nous inspiroit la pitié, parce ce qu’elle exprimoit à-la-fois la beauté et la souffrance, nous aurons fait une hideuse image dont nous voudrions détourner les yeux, parce que l'aspect de la douleur nous importune, sans que la beauté de l'objet souffrant puisse changer ce sentiment importun dans le doux sentiment de la compassion.
La simple ouverture de la bouche (sans parler de la contraction dégoûtante et forcée qu'elle produit dans le reste des traits) forme dans la peinture une tache, et dans la sculpture un creux de l’effet le plus désagréable. Montfaucon montre peu de goût, lorsque, dans une vieille tête barbue qui a la bouche ouverte, il croit trouver un Jupiter rendant des oracles. Faut-il donc qu'un Dieu crie lorsqu'il révèle l'avenir ? Le contour agréable de sa bouche rendrait-il ses discours suspects ? Je ne saurais même croire Valère-Maxime, lorsqu'il dit que Timanthe avoit fait crier Ajax dans le tableau déjà cité. Des artistes bien inférieurs, dans les temps de la décadence de l'art, ne font pas crier les barbares les plus féroces, lorsque la terreur et l'angoisse de la mort les saisissent, sous l'épée sanglante des vainqueurs. »

jeudi 8 septembre 2022

Le désir de l'humanité de se retourner contre elle-même

Vieux frère !
« Les derniers siècles de la civilisation humaine, c’est un fait peu connu mais significatif, avaient vu l’apparition en Europe occidentale de mouvements inspirés par une idéologie d’un masochisme étrange, dite “écologiste” bien qu’elle n’eût que peu de rapports avec la science du même nom. Ces mouvements insistaient sur la nécessité de protéger la “nature” contre les agissements humains, et plaidaient pour l’idée que toutes les espèces, quel que soit leur degré de développement, avaient un “droit” égal à l’occupation de la planète ; certains adeptes de ces mouvements semblaient même à vrai dire prendre systématiquement le parti des animaux contre l’homme, éprouver plus de chagrin à l’annonce de la disparition d’une espèce d’invertébrés qu’à celle d’une famine ravageant la population d’un continent. Nous avons aujourd’hui un peu de mal à comprendre ces concepts de “nature” et de “droit” qu’ils manipulaient avec tant de légèreté, et nous voyons simplement dans ces idéologies terminales un des indices du désir de l’humanité de se retourner contre elle-même, de mettre fin à une existence qu’elle sentait inadéquate. »
nature/culture - humain/non-humain ?
« Quant à l’amour, il ne fallait plus y compter : j’étais sans doute un des derniers hommes de ma génération à m’aimer suffisamment peu pour être capable d’aimer quelqu’un d’autre, encore ne l’avais-je été que rarement, deux fois dans ma vie exactement. Il n’y a pas d’amour dans la liberté individuelle, dans l’indépendance, c’est tout simplement un mensonge, et l’un des plus grossiers qui se puisse concevoir; il n’y a d’amour que dans le désir d’anéantissement, de fusion, de disparition individuelle, dans une sorte comme on disait autrefois de sentiment océanique, dans quelque chose de toute façon qui était, au moins dans un futur proche, condamné. »
Taille originale :
deux dessins 21 x 29,7 cm & un autre 29,7 x 42 cm

samedi 3 septembre 2022

La peinture comme activité intellectuelle

Titre au choix :
  • Le pédophile châtié
  • Le patriarcat mis à bas
  • Une tempête de merde sur la mer électronique
  • L’impuissant ridicule
  • La transphobie dévoilée
  • La panique morale
  • L’éducation réformée
  • La fureur des justes
« À l’époque classique, peindre ce qu’on appelle désormais les “passions” devient un enjeu considérable : c’est pour l’artiste le moyen de rivaliser avec le poète en remplaçant les mots ou les paroles par des gestes. La représentation des émotions s’inscrit ainsi dans le débat de l’ut pictura poesis, qui puise ses racines chez l’écrivain romain Horace. Il s’agit de comparer la peinture et la poésie et d’examiner les prétentions de la première à égaler la seconde (ut pictura poesis signifie littéralement “comme la peinture, la poésie”, autrement dit “la poésie est semblable à un tableau” — ou, comme l’interprète tendancieusement la pensée classique, “un tableau est comme un poème”). Dans ce débat, les peintres modernes ont tout à gagner. À une époque où ils revendiquent pour leur art un statut libéral, autrement dit d’activité intellectuelle, la comparaison des tableaux avec les œuvres des poètes est à leur avantage. Les artistes, d’ailleurs, ne prétendent pas seulement égaler les écrivains : certains théoriciens affirment la supériorité de leur art sur celui qui utilise les mots, en avançant que ce qui est vu suscite plus efficacement l’émotion que ce qui est décrit.
Taille originale : 29,7 x 21 cm
& 21 x 29,7 cm
Une autre comparaison agite également, à l’âge classique, le monde des amateurs et des artistes et influence le travail de ces derniers : le paragone (le mot, italien, signifie “comparaison”) entre la sculpture et la peinture. Née au XVe siècle, atteignant son point culminant au milieu du XVIe siècle, où elle entraîne une consultation des praticiens, véritable référendum au sein du petit monde professionnel, la discussion sur les mérites comparés des deux disciplines avance toujours les mêmes arguments. Ceux qui défendent la sculpture argumentent que cet art est le seul capable de donner véritablement l’illusion de corps, parce qu’il montre les figures en trois dimensions. Les peintres répondent quelquefois en disposant les figures de telle sorte qu’on les voie selon plusieurs angles : ils inventent le motif d’un miroir qui montre la partie de l’anatomie cachée du modèle (comme dans la Vénus au miroir de Diego Velázquez à Londres à la National Gallery), ou bien ils disposent, de face, de profil et de dos, des corps si semblables qu’on peut considérer qu’ils copient un modèle unique (comme dans le Combat de nus d’Antonio Pollaiolo, ou encore dans les Trois Grâces de Rubens, à Madrid au musée du Prado). Ils avancent encore que la statuaire est une pratique salissante et qui exige une grande force musculaire — autrement dit, qui mobilise le corps au détriment de l’esprit — et qu’eux-mêmes ont l’avantage de placer les personnages qu’ils représentent dans des décors qui imitent la nature. »
De l'ombre à la lumière

Glauques tentations

Couloir renaissance
« Ô les glauques tentati/ons
Au milieu des ombres mentales,
Avec leurs flammes végétales
Et leurs éjaculati/ons
Obscures de tiges obscures,
Dans le clair de lune du mal,
Éployant l’ombrage automnal
De leurs luxurieux augures ! »
« Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, livre ton cœur à la joie pendant les jours de ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux. »
 
Taille originale :
deux dessins de 29,7 x 21 cm