dimanche 20 avril 2014

L'union des opposés

taille originale : 21 x 29,7 cm

« [Au Xe siècle à Byzance], la nouvelle esthétique de l’icône sert également à représenter des composantes éthiques dans l’image humaine idéale, celle de la Vierge.
Ces idées, comme les moyens rhétoriques utilisés, dataient déjà de plusieurs siècles, mais ce n’est qu’à cette époque qu’ils furent appliqués à l’icône, qui remplissait deux conditions nouvelles permettant d’atteindre à l’éloquence. N’étant plus un objet de controverse, elle avait acquis une place sûre dans la vie des Byzantins, ce qui lui conférait également une nouvelle liberté et augmentait les espoirs placés en elle. D’anciens textes littéraires furent actualisés en vue d’une utilisation nouvelle dans le domaine liturgique, influencé par des donateurs privés, en particulier dans les “couvents privés”. La liturgie favorisait aussi les transformations des icônes, qui ne devaient pas apparaître comme des créations des peintres, mais pouvaient être comparées à la poésie, dans la mesure où toutes deux se fondaient sur la liturgie.
Mais la transformation rhétorique de l’icône prend encore un autre sens, parce que, loin de dissimuler les paradoxes du dogme chrétien, si souvent évoqués, elle les met au jour. La littérature théologique aimait également se servir de ce moyen pour faire admettre à un esprit philosophique que c’était justement ce qui était contradictoire qui prouvait une intervention surnaturelle dans le cours de la nature. L’antithèse rhétorique célèbre l’union des opposés, de Dieu et de l’homme, du Créateur et de la créature, de la mort physique et de la vie divine comme but et sujet de la foi, d’où l’attraction exercée par les icônes qui reposent sur de tels exercices rhétoriques auprès de l’élite littéraire et sociale. Lorsque l’icône de la Mère de Dieu renforçait encore le paradoxe d’une créature portant son Créateur dans les bras en montrant la Mère embrassant son Fils ou celui-ci gigotant comme un enfant ordinaire, cette accentuation favorisait précisément l’acceptation de la “foi éduquée”. Il en est de même des comportements contrastés dans une même figure, comme le sommeil (la mort) et l’agitation (la vie) de l’Enfant, ou les expressions de joie et de tristesse de la Mère. Si le problème de la foi restait identique, le spectateur appréciait la manière cultivée et philosophique de sa présentation. C’est ainsi que l’icône combla son retard sur la littérature.
Vue de cette façon, l’“icône d’un nouveau genre” n’était pas simplement une réplique nouvelle d’archétypes anciens, qu’on continuait à respecter, mais auxquels manquaient les avantages des images nouvelles, plus poétiques et plus parlantes. C’est pour cette raison que Psellos s’évertue à louer l’icône en question en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’une copie, mais qu’elle était son propre modèle. Son prototype était le sujet lui-même (la Crucifixion) dans une acception incontestablement philosophique, et non une autre icône. En “visualisant la vie”, la vision peinte satisfait non seulement aux règles de l’art, mais son esprit véritable surpasse également toute imitation extérieure. D’où le refus de Psellos de comparer son icône de la Crucifixion à d’autres œuvres, qu’elles soient peintes selon la manière ancienne ou nouvelle.
Dans un court commentaire de la célèbre citation biblique selon laquelle l’homme a été créé à l’image de Dieu, Psellos définit sa conception philosophique de l’image comme un concept dynamique, caractérisé surtout par une compréhension éthique. Il y polémique contre tout concept statique de l’eikôn, tel qu’on le trouvait dans la tradition philosophique, en lui opposant sa conception d’un accomplissement éthique progressif de l’homme vers l’“image de Dieu”. L’image n’a pas d’existence propre, n’est pas une instance indépendante entre Dieu et l’homme, mais elle reflète la plus ou moins grande proximité de l’homme à Dieu. Le vice est donc une “incapacité de concevoir la beauté”, qui est une catégorie morale. Les figures de la peinture d’icônes peuvent ainsi être conçues comme modèles de l’accomplissement spirituel atteint après que la souffrance a été surmontée. Dans le texte sur la Crucifixion, Psellos voit en Marie au pied de la croix l’“image idéale vivante des vertus. Ses douleurs ne lui ont pas fait perdre sa dignité.”
Une esthétique de la peinture, qui s’applique particulièrement à l’icône, commence à se mettre en place à l’époque. Ses bases étaient à la fois formelles (telles la symétrie et l’harmonie dans la composition) et théologico-philosophiques, philosophiques dans la mesure où le peintre peut capter la vie dans le miroir de son art, théologiques parce que, par la “grâce” (charis), il participe à la révélation d’une vérité supérieure. Les deux niveaux se fondent sur la distinction néo-platonicienne entre l’interne et l’externe, l’âme et le corps, l’esprit et la nature. Cette vision dualiste peut également s’appliquer à la description de personnes vivantes. Ainsi que l’exprime Anna, la fille de l’empereur, la régularité des traits de ses parents surpasse encore les symétries dans l’art. Mais le feu des yeux atteste d’une vie intérieure, la vie de l’âme, supérieure à celle du corps. C’est pour cette raison que, dans la peinture d’icônes, le regard est souvent en biais par rapport à l’axe du corps, afin d’exprimer le mouvement et la liberté par rapport à la simple corporéité. Mais la mimique reste bannie, sauf si le contenu la rend nécessaire, car elle détruirait la beauté iconique du corps.
Dans un de ses écrits, Psellos se qualifie lui-même de “grand connaisseur des icônes, parmi lesquelles une [icône mariale] m’enchante particulièrement, Pareille à un éclair, elle me touche par sa beauté et me ravit force et raison […]. Je ne sais si elle révèle l’identité de l’original, mais la variété des couleurs rend parfaitement compte de la nature de la chair.” Dans un autre texte sur la Crucifixion, Psellos célèbre la beauté des moyens purement formels tels que le “contraste” (antilogia) et l’“harmonie” (euharmostia) des différentes parties. Comme il le fait dire à un “homme sage”, la couleur contribue également à donner l’effet d’une “peinture vivante”. Mais il s’agit ici de règles artistiques, qui ne garantissent pas encore la vérité au sens supérieur, même si elles y participent, dans la mesure où la beauté physique y renvoie. L’image idéale de la beauté juvénile et de l’élégance de cour s’incarne à l’époque dans le médecin et officier Panteleimon aux belles boucles. Sa légende ne célèbre pas seulement sa “beauté extraordinaire” (to kallos exaisios) mais aussi son regard calme et majestueux. L’empereur païen Maximien l’avait choisi comme courtisan à cause de son aspect, mais le saint se voua au service du Christ. Il représente une figure sociale idéale en même temps qu’un prototype céleste dans la peinture médiévale. Mais le véritable prototype de la beauté restait évidemment le Christ, dont le portrait imprimé sur un tissu constituait la base d’un canon idéal de l’icône.
L’icône n’a pas d’espace pictural propre, elle n’est qu’une figure et peut donc être “habillée” d’or et d’argent à condition de laisser au moins le visage et les mains visibles, car elle doit donner l’impression de la vie, ce que seule peut faire la peinture. On peut orner la figure, non la remplacer par des décorations. Les inventaires de l’époque distinguent ainsi les icônes “décorées”, c’est-à-dire serties de métal, des autres. La représentation de la figure est soumise à un double critère : elle doit donner l’impression de vie, faisant ainsi oublier le produit matériel, inerte, mais doit également révéler l’existence supraterrestre de la personne représentée, au-delà de la vie physique. »

dimanche 6 avril 2014

Il n'y allait pas de main morte

taille des dessins originaux: 29,7 x 21

« dans le bus du retour déjà
l’obscurité s’installe il est
venu se mettre près de moi
son œil était très grave et noir
j’avais trop tremblé sous les vi-
brations des cars j’avais trop rê-
vé de son corps et des baisers
que j’y posais près du pubis
sur les reins sur le ventre et par-
tout sur les cuisses) sa chair s’offrit
à mes caprices et soulagé
de mes images et fatigué
comme un cadavre je reçus
la vigueur de son cœur hirsute
il n’y allait pas de main morte
et moi je me traînais sans force