lundi 28 février 2022

Théorie de bistrot…

Taille originale : 21 x 29,7 cm

Il n’était pas (encore) saoul, seulement dans cet état où l’alcool, sans entamer la lucidité, libère l’esprit de sa retenue comme du souci des possibles réactions de son interlocuteur, et en particulier du fait que celui-ci se fiche peut-être complètement de ce qu’on est susceptible de lui raconter. Heureusement, j’étais encore capable de l’écouter et surtout de retenir l’essentiel de ses propos.

— Pour moi, il y a deux types de mecs avec deux types de sexualité, tu vois.

Je ne voyais rien, mais j’écoutais vaguement, m’attendant à un défilé de clichés et de lieux communs, sur les hommes, les femmes et l’humanité en général (et peut-être la bestialité s’il comptait m’entretenir de sexualité toujours plus ou moins animale).

— Ce n’est pas une question de personnalité ou de nature intime. Enfin si, mais ça s’explique pour moi par des parcours personnels différents. À l’adolescence, les gars, ils ne pensent qu’à baiser.
— À l’exception de cette nouvelle espèce en voie d’apparition, tu sais… les asexuels…
— Oui, on m’a informé… Enfin bon. Parlons d’une supposée majorité qui n’existe peut-être pas. Tu m’embrouilles. Imagine une situation type : le gars veut baiser ; au minimum à l’adolescence, il veut embrasser, il veut s’enfoncer, plonger sa bite dans une chatte ou dans une bouche complaisante… Tout ce qu’il attend pour la première fois, c’est une fille qui accepte ça, qui l’accueille entre ses bras, entre ses cuisses…
— Je vois, oui…
— Mais il faut imaginer l’autre côté, le côté de la fille. Suppose qu’elle aussi, c’est sa première fois. Elle, elle attend. Elle attend de voir.
— C’est un peu conventionnel. Pourquoi elle, elle n’aurait pas aussi envie ? Pour quoi elle attendrait passivement ? C’est vieux jeu, non ?
— Oui, bon, c’est conventionnel, mais convenu ne veut pas dire faux. Je parle d’une situation type avec plein d’exceptions possibles. Ou de nuances. Évidemment, il n’y a sans doute plus la peur de la grossesse non désirée… mais il y a d’autres mots, d’autres représentations qui sont toujours là, toujours prégnantes. Défloration, pénétration… Elle s’attend à être pénétrée. Défoncée. Elle a dû entendre ça : « je vais te défoncer ». Même si elle sait que c’est excessif, l’image est là. Elle va attendre, elle va s’attendre à quoi ? au pire ? au meilleur ? Ça dépend des mecs, paraît-il… s’ils savent s’y prendre ou pas. Tu comprends pourquoi elles commencent par la fellation…
— Non, pas vraiment…
— Parce qu’elles ont le sentiment de contrôler la situation. Là, elles goûtent à la chose, mais c’est elles qui mènent le jeu.
— Expression un peu malheureuse…
— Quoi ?
— Goûter…
— Bof ! J’imagine juste une situation type : le gars qui veut embrasser, qui veut baiser, et la fille en attente, disponible mais en attente… Ça peut bien se passer. Le type aura l’impression d’avoir atteint son but, embrasser, baiser en se disant que la fille y a trouvé son compte. Elle aura pu lui montrer des signes d’excitation, ou même de plaisir, mais tout ce qu’il pourra lui demander, c’est : ça t’a plu ? Et après ça, il se conduira toujours comme un bourrin. Peut-être pas toujours, mais généralement, par principe. C’est lui qui a envie et c’est lui qui donne du plaisir… Et s’il a bien retenu sa leçon, il se sentira obligé de « tenir » le plus longtemps possible pour que sa partenaire accède à l’orgasme.
— C’est un schéma traditionnel. Je ne vois pas ce que ça apporte…
— Attends. Imagine que le type, c’est sa première fois, mais pas la fille. Elle est plus âgée ou plus expérimentée. Elle, elle a repéré un mec, et elle a envie de lui. Ce qui va se passer, c’est que le gars va être confronté à son désir à elle, à son excitation, à ses envies. Ça peut être peu de choses : c’est elle qui le regarde, un regard tellement intense qu’il vaut signe. C’est elle qui lui propose d’aller ailleurs, dans un endroit plus tranquille. Il se dit qu’il va l’embrasser, mais c’est sa bouche à elle qui se colle presque immédiatement à la sienne. Et elle pose rapidement sa main sur le haut de sa cuisse, contre son sexe qui se met à bander. Il a des gestes maladroits mais elle n’en arrête aucun, et quand il met sa main sur son sein, il le sent pointer sous le tissu de la blouse… Et elle n’arrête pas de l’embrasser. Il lui fourre la langue au fond de la bouche mais elle fait pareil, elle n’arrête pas de l’embrasser et ça dure pendant des minutes et des minutes à tel point que c’est lui qui perd le souffle…
— Ça sent l’expérience vécue, cette histoire-là !
— Sans doute, sans doute ! Mais ce n’est pas ça qui importe…
— Pour un écrivain, si.
— Ce que je veux dire, c’est que lorsque ta première expérience est celle-là, de ce type-là, et bien, tu ne découvres pas seulement le plaisir partagé, mais le désir partagé… Le désir. Ça ne vient pas de toi, tu ne te contentes pas seulement de donner du plaisir (ou tu crois en donner), non, tu sens un désir qui vient vers toi, qui t’arrive sans que tu l’aies décidé, qui t’envahit même, te submerge. Et tu as envie de renouveler l’expérience. Tu as envie de sentir ce désir-là, tu as envie que l’autre te désire, de ressentir cet emportement, cette excitation qui n’est pas la tienne mais qui vient de l’autre. C’est tout à fait différent comme première expérience.
— Même si ce n’est qu’un baiser ?
— Disons une longue séance de baisers réciproques. Après, tu n’as pas seulement envie de baiser, de tirer ton coup comme on dit. Tu as envie que l’autre ait envie de toi, absolument, qu’elle manifeste qu’elle te désire autant que toi, tu peux la désirer. Tu n’es plus un bourrin.
— Et ceux que tu appelles des bourrins, ils ne peuvent pas faire cette expérience ultérieurement ? Ils sont condamnés à rester des bourrins comme tu dis ?
— Haha, oui, c’est la première expérience qui compte ! Enfin, j’en sais rien. Mais les témoignages littéraires sont à mon avis éloquents : quand les romanciers évoquent une première fois avec une femme plus expérimentée, ça marque les gars à vie, et on devine que c’est pour eux une révélation. C’est le mot : ils ne s’attendaient pas à cela, ils ne sont pas dominés, ils sont envahis par quelque chose qui ne leur appartient pas, qui vient de cette femme qui n’hésite pas, qui montre qu’elle a envie, qu’elle te désire, même si bien sûr ce n’est qu’une passade…
— Et le pauvre bourrin, qu’est-ce qu’il ressent d’après toi ?
— Au mieux, il recherche le plaisir de sa partenaire, pas son désir. Il ne cherche pas à éprouver son désir, il se contente de la faire jouir, avec d’ailleurs le soupçon qu’elle simule peut-être.
— Et au pire ?
— Il bourre, il tire son coup ! Enfin, tu vois bien. Pour moi, ce sont des expériences qui produisent des personnalités différentes. Quand tu as ressenti le désir d’une femme, c’est ça que tu cherches à retrouver ; tu ne peux pas baiser sans d’abord ressentir ça.
— C’est un peu discriminant comme théorie, non ? Méprisant même pour les bourrins dont je fais partie je suppose.
— J’en sais rien, moi.
— Une théorie assez intéressante néanmoins. Tu crois que ça concerne quelle proportion d’hommes ?
— Je ne sais pas trop.
— Et les femmes, qu’est-ce qu’elles en pensent ? Comment ça se fait que certaines sont désirantes comme tu dirais et d’autres pas ?
— Je ne sais pas. J’ai pas de théorie là-dessus. 

Appartement à vendre

samedi 26 février 2022

Baiser

Taille originale : 21 x 29,7 cm
En suspens
« Dans l’une des plus vieilles salles de cinéma de la ville, un samedi après-midi, alors que je suivais un policier américain, peut-être encore plus vieux que la salle (L’âme de la cité), j'avais pu voir sur l'écran un baiser assez bref. Il s'agissait d'un baiser ordinaire, guère différent des autres scènes d’amour des films en blanc et noir, scènes que nos censeurs coupaient au bout de quatre secondes, mais je ne sais pas pourquoi ni comment, le désir de poser mes lèvres sur celles de l'actrice, en appuyant de toutes mes forces, s'éveilla en moi, si intensément que je faillis suffoquer de chagrin. J’avais vingt-quatre ans, et je n’avais jamais encore embrassé une femme sur la bouche. Bien sûr, j’avais couché avec des femmes au bordel, mais ces femmes ne vous embrassent jamais, et d'ailleurs, je n'aurais jamais désiré toucher leur bouche de mes lèvres. »
Plein soleil
Taille originale : 21 x 29,7 cm

dimanche 20 février 2022

Vénus au hachoir

Taille originale : 21 x 29,7 cm
Chassés du paradis ?

Il faut revenir sur le geste de la suffragette Mary Richardson lacérant avec un couteau (plutôt qu’un hachoir) le 10 mars 1914 la Vénus à son miroir de Vélasquez. Son engagement féministe est admirable et courageux — elle fut arrêtée plusieurs fois et entama une grève de la faim — (même si l’on s’étonne qu’elle ait rejoint plus tard, de façon temporaire, le parti fasciste d’Oswald Mosley). Mais on peut également voir dans son geste la première expression de l’exigence de ne pas être offensé, de ces nouveaux « trigger warnings », de ne pas être confronté à des paroles ou des images potentiellement perturbantes. En effet, si Mary Richardson présentait son action comme une protestation contre l’emprisonnement d’Emmeline Pankhurst (nourrie alors de force…), elle ne s’en était pas prise à n’importe quel tableau, ni même au portrait d’un quelconque représentant du pouvoir patriarcal, mais à l’image d’une autre femme. Deux raisons à cela, précisera-t-elle : « J’ai essayé de détruire le portrait de la plus belle femme de l’histoire mythologique pour protester contre le Gouvernement qui détruit Mme Pankhurst, la plus belle figure de l'histoire moderne », et « je n’aimais pas la façon dont les visiteurs masculins du musée restaient bouche bée devant elle à longueur de journée ». Elle précisera encore : « Le fait que je n'aimais pas la peinture m'a permis de faire plus facilement ce que j'avais en tête ».

Pour Mary Richardson, la Vénus de Vélasquez est offensante comme le seront plus tard pour nombre de féministes, les pin-ups et autres femmes de papier. Mais il faut bien comprendre ce qui s’y joue. Ce n’est pas « la haine des hommes », ni même du désir masculin, mais bien l’interaction entre le désir et la beauté, ici en l’occurrence féminine qui pose problème. Car la beauté est discriminante. Les Grecs l’on bien vu, qui l’ont réservée à travers leurs sculptures aux dieux et aux déesses éternellement jeunes.

Et la beauté se soutient du désir, ce qu’une sociologie sommaire ne peut comprendre lorsqu’elle affirme que la beauté n’est qu’une norme sociale arbitraire, variable dans le temps et dans l’espace, destinée à fonder ou à maintenir un quelconque système de domination. Freud était plus lucide lorsqu’il voyait la beauté comme un processus de voilement de notre curiosité enfantine pour les organes sexuels, toute beauté (artistique, naturelle…) étant alors un dérivé de cette beauté première des corps érotisés. Et toute réflexion plus ou moins philosophique sur la beauté n’échappera pas à la remarque désabusée de Socrate qui conclut (ou ne conclut pas) en affirmant que « le beau est difficile », donnant finalement raison à Hippias pour qui, de façon immédiate, « le beau, c’est une belle vierge » !

Mais la condamnation ou la dénonciation de la beauté érotique, et de ces spectateurs bouche bée devant le cul de Vénus, ne peut guère déboucher que sur de nouvelles formes de refoulement, de censure, d’iconoclasme et d’hypocrisie plus ou moins générale 1. On n’abolit pas la beauté d’un geste purement politique, et Mary Richardson elle-même la déplace sur « Mme Pankhurst, la plus belle figure de l'histoire moderne », incarnation soudaine d’une Athéna moderne. D’autres opposeront à cette beauté physique jugée « superficielle » la véritable beauté intérieure, la beauté morale sans trop s’apercevoir que nous ne sommes sans doute pas beaucoup plus libres de choisir notre « personnalité » (qui devrait être enjouée, aimable, plaisante, séduisante, sympathique…) que notre apparence corporelle. Mais cela signifie bien, comme le soupçonnait Freud, que la « beauté » se déplace, se diffuse, se métamorphose, mais sans perdre complètement son caractère érotique. Dès lors, nier la beauté, privilège de quelques femmes, en prétextant notamment son caractère discriminant (qui est indéniable) équivaut à une indifférence esthétique générale : si le fessier de Vénus n’est pas universellement admirable, comment pourrait-on être sensible à la lascivité de l’esclave mourant de Michel-Ange ? Comment pourrait-on comprendre que l’énorme derrière de la Vénus au miroir de Rubens mérite autant d’éloges que le tableau de Vélasquez alors que les supposées « normes » esthétiques et corporelles du peintre flamand ne sont censément plus les nôtres ? Comment admirer l’élégance des courbes d’un violon ou des mains de la Cathédrale de Rodin si l’on se prétend indifférent à la beauté des femmes ? Comment ne pas voir que le lisse, le poli, l’arrondi régulier, la symétrie souvent légèrement désaxée des objets les plus banals qui nous entourent mais que nous avons choisis esthétiquement s’observent d’abord sur la peau de Vénus, au bord de ses hanches et dans son pli fessier ?

Oui, la perfection de Vénus ou d’Apollon sont des offenses à notre humanité commune. Et l’on peut également préférer la justice à la beauté comme c’est le cas de Mary Richardson qui n’aimait pas la peinture. D’autres enfin ratiocineront en répétant que la beauté est un leurre, une construction sociale arbitraire, une illusion collective…

Mais il n’est pas du tout sûr que le désir, qu’il soit d’ailleurs homosexuel ou hétérosexuel, obéisse à de telles injonctions.


1. Il faut bien sûr se rappeler le climat de l’époque victorienne où les contraintes sexuelles étaient extrêmes et où la visite d’un musée était pour ces messieurs une des rares occasions de satisfaire leurs pulsions scopiques. Aujourd’hui, le tableau de Vélasquez ne susciterait sans doute plus les mêmes passions ni érotiques ni destructrices. Quoique…
 
 
Taille originale : 21 x 29,7 cm

lundi 14 février 2022

Complaisance sensuelle

« Rubens est un des plus authentiques et prestigieux baroques. Son goût du lyrisme, son imagination magnifique, sa complaisance sensuelle pour la chair et la carnation des femmes de son pays, évoquées jusque dans les figures mythologiques, sa chaude lumière prêtent à son œuvre puissance et maîtrise. »
Artiste non-binaire
Taille originale : 29,7 x 21 cm (deux fois)

samedi 12 février 2022

La douleur cristallisée en passion

Taille originale : 21 x 29,7 cm
Baroque ou rococo…
« Comme il lui disait : “C’est plus que du sexe”, elle avait répondu, catégorique : “Non, C’est parce que tu as oublié ce que c’est que le sexe. Le sexe, c’est ça. Va pas te foutre en l’air en prétendant que c’est autre chose.”
Qui sont-ils à présent ? L’épure d’eux-mêmes. L’essence de la singularité. La douleur cristallisée en passion. Ils ne regrettent peut-être même plus que les choses soient ce qu’elles sont. Ils sont trop retranchés dans l’écœurement pour ça. Ils ont réussi à faire surface malgré ce qui s’est amoncelé sur eux. Dans la vie, plus rien ne les tente, ne les excite, n’éclipse leur haine de la vie que cette intimité. Qui sont ces gens si radicalement disparates, si incongrûment alliés, à soixante et onze et trente quatre ans ? »
Taille originale : 21 x 29,7 (ou plus) cm

Taille originale : 21 x 29,7

mardi 8 février 2022

Vestiges de la bête

Les mots de la (nouvelle) tribu
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Mais ça n’est pas la seule chose qui le pousse. Il y a le désir de laisser sortir la bête en lui, de libérer cette force — l’espace d’une heure, de deux heures, peu importe la durée, de donner libre cours à la nature. Il est resté marié longtemps. Il a eu des gosses. Il a été doyen de la faculté. Pendant quarante ans, il a fait ce qu’il avait à faire. Il avait du boulot, et la nature, la bête en lui, il les a remisées dans une boîte. Or voilà que cette boîte est ouverte. Le doyen, le père, le mari, l’universitaire, le lecteur de livres, le conférencier, celui qui corrigeait les devoirs, qui mettait des notes, c’est fini. Certes, à soixante et onze ans, on n’est plus la bête joyeusement assoiffée de sexe qu’on était à vingt-six. Mais il reste des vestiges de la bête, des vestiges de la nature et il renoue avec ces vestiges. Et ça le rend heureux, il est reconnaissant de cet état de fait. Il est même plus qu’heureux, il est en émoi, et le voilà lié à elle, déjà profondément lié à elle à cause de cet émoi. Ce n’est pas la famille qui lui fait cet effet — la biologie n’a que faire de lui, aujourd’hui. Ce n’est pas la famille, ni les responsabilités, ce n’est pas le devoir, ce n’est pas l’argent, ce n’est pas le partage d’une philosophie, ou l’amour de la littérature, ce n’est pas les grandes discussions sur de grandes idées. Non, ce qui le lie à elle, c’est cet émoi. Demain, il développera un cancer, et boum. Mais aujourd’hui, l’émoi est là.
Pourquoi me le raconter ? Parce que, pour qu’il puisse s’y abandonner librement, il faut que quelqu’un le sache. Il est libre de s’abandonner, me disais-je, parce qu’il n’y a pas d’enjeu. Parce qu’il n’y a pas d’avenir. Parce qu’il a soixante et onze ans, et elle trente-quatre. Il n’est pas là pour apprendre, pour faire des projets, mais pour l’aventure ; il est dans cette liaison pour la même raison qu’elle : pour le plaisir. Ces trente-sept années d’écart lui donnent beaucoup de licence. Lui, le vieillard qui connaît pour la dernière fois la charge sexuelle. Quoi de plus émouvant, pour qui que ce soit ? »

dimanche 6 février 2022

L’évanescence des poils

Taille originale : 21  x 29,7 cm

Le corps féminin (mais aussi masculin) était entièrement couvert. Les beaux-arts seuls, sculpture et peinture, permettaient d’imaginer ce qu’étaient les seins, les hanches, les fesses, mais pas le sexe féminin définitivement masqué entre les jambes fermées (quant au sexe masculin, il avait alors des allures de micro-pénis). C’est la photographie qui révélera enfin ce qui était caché. Le nombril d’abord, piètre révélation cependant que chacun pouvait observer sur son propre corps mais qui annonçait une fille quelque peu dévergondée (pour reprendre une expression désuète). Celle-là n’avait pas honte de son corps ni surtout du regard que l’on pouvait porter sur elle : la pin-up souriait de se savoir vue et admirée, Aphrodite moderne se riant de ses mortels admirateurs maintenus à distance par l’infranchissable épaisseur du papier.

Mais la première véritable transgression fut celle qui dévoila (photographiquement) les seins, parce que, oui, les seins sont féminins. Et plus bas, les fesses seulement. Deux attitudes étaient alors possibles. Soit elle regardait l’objectif, et l’on devinait qu’elle s’amusait de façon mutine — on était loin de la provocation car les censeurs veillaient— de l’émoi que suscitait la vision de ses seins généreux et généreusement offerts. Soit elle regardait ailleurs, s’exhibant nue, révélant l’une et l’autre face (mais jamais la toison) comme s’il lui était naturel de se promener en tout lieu à moitié ou complètement nue, comme si le regard que l’on pouvait poser sur elle jamais ne la troublerait. Ce n’étaient pas des marbres antiques. Chacune d’entre elles se savait regardée, et le voyeur savait qu’elle le savait. C’était une relation à double entente qui seule pouvait provoquer l’excitation. Elle tirait fierté, plaisir, satisfaction, argent, ironique supériorité de son exhibition, mais surtout elle s’affirmait nue. C’était une affirmation : je suis nue, naturellement, immédiatement, facilement, évidemment. Intersubjectivité, sans doute largement fantasmée par le voyeur mais indispensable à l’expérience érotique[1].

L’histoire ensuite est bien documentée[2]. Il faut montrer la toison pubienne. D’abord le triangle plongé dans l’ombre puis révélé dans la lumière. La transgression est là. Cela ne s’était jamais vu sinon clandestinement (même l’Origine du monde de Courbet n’est pas visible dans ces années-là et restera, malgré quelques reproductions, dans une collection particulière jusqu’en 1995). Les poils sont abondants, bien fournis, sombres le plus souvent même chez les blondes. Elles continuent à sourire, à poser naturellement dans une euphorie partagée. Mais quand elles écartent les jambes — car il faut qu’on y arrive —, les photos changent de sens. La position est parfois encore celle d’une belle endormie mais l’ouverture des cuisses avec le regard plongé dans l’objectif est désormais provocation, audace, affranchissement, évidente supériorité. C’est bien le sexe, surtout le sexe que l’on veut voir, et elle le montre, de façon obscène : elle sait que son geste est scandaleux.

L’échange de regards semble perdu : elle me regarde, mais je regarde son sexe, tout en sachant qu’elle me regarde le regarder. Pourtant je remonte vers le visage. Le corps se voit encore en entier (on n’est pas dans la pornographie pure qui prospère ailleurs). Et ses yeux m’interpellent. Elle sourit, elle rit même de moi : c’est ce que tu veux voir, aimable pervers, cochon affamé, voyeur impatient, je te le montre, car je suis sublime putain…

Oui, elle est sublime. Son visage surtout. C’est le lieu de la beauté mais aussi de la personnalité, quoi qu’on en dise sur le caractère stéréotypé de ces nudités. Elles peuvent être arrogantes, mystérieuses, aimables, enjouées, sévères, sportives, sensuelles, sophistiquées, provocantes, naïves (faussement) ou n’importe quoi d’autre, mais le voyeur ne les confond pas. Et des préférences s’expriment. Les noms (qu’il s’agisse de pseudonymes importe peu) circulent et pour certains deviennent célèbres. Filles de papier pour les contempteurs ou contemptrices, mais pleinement femmes évidemment singulières sinon uniques pour les voyeurs, elles ont bien plus que tout autre objet inanimé une âme.

De l’anatomie mystérieuse fallait-il encore révéler aux adolescents le dessin précis. Les toisons échevelées font obstacle au regard (et aux derniers soubresauts de la censure), et les lèvres buissonnières s’éclaircissent complètement avant que le pubis ne devienne un mont chauve.

Quand le sexe est enfin exhibé, il n’y a plus rien à voir, tout est vu. Il n’y aura pas d’autre révélation. Le désir change alors de sens. Il ne porte plus sur une femme dont le corps serait superbement dévoilé en même temps que son âme révélée — ne répétez pas stupidement que tout cela n’est que fiction —, et la dynamique des gestes obscènes saisie par la caméra prend désormais le pas sur l’aimable posture photographique. Aux sourires magnifiques se substitue la beauté des visages en pleine fellation. À l’écartement maximal des cuisses s’ajoute la profonde sodomie jusqu’aux couilles. À l’exposition fessière, la double pénétration apporte l’éclat d’une performance inédite. Les pratiques audacieuses importent plus que la jeune femme dans sa sublime nudité, et le voyeur est désormais à la recherche d’un corps en action, traversé par le désir, bandé par le plaisir.

Le poil est largement absent à quelques exceptions près. Pourtant il ne masquerait plus rien face à l’insistance des gros plans sur les vulves et les anus grands ouverts. Il ne faut sans doute pas surinterpréter ce qui n’est sans doute qu’une mode contestée par ailleurs pour différentes raisons. On ne croira pas non plus aux motifs esthétiques qui préféreraient un corps glabre à une pilosité mal venue : les crânes rasés devraient alors être universellement préférés. Ce dernier exemple peut cependant nous interpeller : certaines performeuses se font remarquer par leur tête rasée (mais pas nécessairement la chatte !), et l’on peut admirer leur singulière beauté. L’on comprend facilement qu’il s’agit là d’une inversion des signes : la chevelure longue et abondante est connotée féminine, et les poils dispersés ou en toison seront perçus comme masculins. Si la beauté est réelle, elle est également idéalisation, accentuation, uniformisation de la réalité : le poil pourtant bien présent disparaît du corps féminin que l’on veut « féminiser ». Mais de ces signes, il est toujours possible de jouer : crânes rasés, chattes poilues.

Une célèbre performeuse italienne a récemment demandé à ses « suiveurs » si elle devait se raser la chatte qu’elle avait laissé repousser : beaucoup de réponses furent négatives et déplorèrent la possible disparition de cette pilosité jugée attractive. D’un point de vue érotique, le poil est signe ou plus exactement rappel de la réalité alors que l’obscénité pornographique est précisément dévoilement d’une réalité que l’on voudrait « cacher » : les poils peuvent être perçus comme plus « obscènes » qu’une épilation qui « masque » ou qui « neutralise » la réalité (ou une part du réel).

Et d’un point de vue artistique, le poil a l’élégance des calligraphies à l’encre de Chine. Pour ces raisons mineures ou majeures, il me paraît préférable dans un esprit véritablement pornographique de maintenir les pilosités dans mes créations graphiques même si une esthétisation picturale en accentue peu ou prou l’élégance.


[1] Preuve s’il en est qu’il ne s’agissait pas de femmes-objets : le succès des personnalités connues, actrices essentiellement, lorsqu’elles posaient pour ces magazines. Pour le voyeur, cette actrice, qu’il connaissait par ailleurs (même si bien sûr ce n’était que médiatiquement), soudain franchissait le pas, n’hésitait pas à se montrer nue… C’est cet affranchissement de la norme, cette audace plus grande sans doute pour une personnalité connue, qui, pour le voyeur, était admirable et excitante, tout autant que le corps dénudé.
[2] Du moins sur la version française de Wikipedia (version du 30 septembre 2021 à 14:49)
Évanescence du poêle

mardi 1 février 2022

Réécriture sauvage

Analytique de l'éjaculation faciale
Taille originale : 21 x 29,7

 

« Il y a désormais cette injonction à ne pas jouir pour les femmes, car il ne faut pas que les hommes aient accès facilement aux corps féminins.
L’injonction de ne pas jouir est désormais une condition de la santé et de l’équilibre mental. Bref, les femmes qui trouvent leur “point G” doivent se culpabiliser d’avoir un orgasme vaginal plutôt qu’un orgasme clitoridien. Ça va comme ça ne devrait pas aller. Les femmes ont beaucoup de facilités à assumer cette idée qu’elles peuvent être performantes : non seulement elles peuvent faire jouir leur partenaire, mais elles veulent jouir elles-mêmes absolument ! Cette soi-disant trouvaille débouche sur une optimisation des performances coïtales et la possibilité de jouissances multiples.
Dans des interviews réalisées avec de jeunes hommes, il y avait une pratique qui revenait très fréquemment, c’était la sodomie passive. Des jeunes gens qu’on a interviewés avaient accepté de de se faire sodomiser avec un gode ou avec les doigts, parce qu’ils trouvaient ça excitant et que cela faisait plaisir à leur compagne. Les filles trouvaient que ce n’était pas un problème et même que c’était très érotique. Donc, les enquêtes féminines sur la sexualité induisent des comportements où l’assujettissement du partenaire masculin devient un simple jeu sexuel normal. »
Le rire
 
Le Cri
Taille originale : 21 x 29,7