mercredi 25 octobre 2023

Le silence du guetteur

White Face ?
Taille originale  29,7 x 42 cm
« Mais l’appartement ? Le voulait-elle, l’appartement ?
[…]
— Oui, dit-elle fermement, je veux visiter cet appartement.
— Je vais chercher une lampe de poche, dit-il.

Musique au choix :

  • The Ronettes, Be my Baby
  • Nina Simone, You Don't Know What Love Is
  • Grace Bumbry interprète l’arioso « Che puro ciel, che chiaro sol » dans Orfeo ed Euridice, de Christoph Willibald Gluck
  • Ella Fitzgerald, Blue Moon
  • Joséphine Baker, J’ai deux amours
  • Angel Blue interprète l’aria « Vissi d’Arte » de la Tosca de Giacomo Puccini ou bien « Mi chiamano Mimi » dans la Bohème de Puccini
  • Samuel Coleridge-Taylor, Deep River, Op. 59, N° 10
  • Art Barkley & The Jazz Messengers, So Tired
  • Nicki Minaj, Anaconda
  • Florence B. Price, Quintette avec piano en La mineur
Et il rentra chez lui en tirant la porte, qui se referma avec un léger bruit de ventouse. Lutie l’entendit parler, mais sans pouvoir comprendre ce qu’il disait. La voix chuchotante à l’intérieur se tut et le chien se calma brusquement. Déjà il était revenu et poussait la porte, qui se referma avec le même bruit étouffé. Il portait une grosse lampe noire. Et Lutie se mit à monter l’escalier devant lui, en pensant que la lampe était presque aussi noire que ses mains, mais d’un noir uni et luisant. Tandis que la main qui la tenait était de la chair - de la chair couturée, calleuse, sans douceur aucune. Une main aux articulations noueuses qui pointaient sous la peau, une main habituée à manier les chaudières et le charbon, mais certainement pas la pelle et le balai. Au fur et à mesure de sa montée, l’escalier apparaissait de plus en plus sordide, plein de vieux papiers, de mégots, de tickets périmés, de papiers d’emballage. Sur chaque palier, des bouteilles vides de gin et de whisky.
Elle renonça à examiner en détail les étages et leurs recoins, pour se réchauffer en montant plus vite, car le froid la gagnait. Il semblait augmenter sans cesse. Plus ils montaient, plus il faisait froid. En été, sans doute, il ferait de plus en plus chaud jusqu’à ce qu’arrivé au sommet on ne puisse plus du tout respirer. Les couloirs étaient si étroits qu’on pouvait en toucher les murs sans presque écarter les bras. Au quatrième étage, il lui sembla que ce n’était plus elle qui essayait de toucher les murs, mais les murs eux-mêmes qui se rapprochaient d’elle, s’avançaient et se penchaient pour tenter de l’écraser. Le pas du concierge derrière elle était lent, régulier, implacable. Elle monta un peu plus vite, et, sans hâte apparente, sans même presser le pas, il maintint exactement sa distance. En fait, il semblait un peu plus près qu’avant.
Elle commençait à se demander pourquoi elle montait la première, pourquoi c’était elle qui montrait le chemin. C’était une erreur. C’était lui qui connaissait la maison, lui qui y vivait. Il aurait dû passer le premier. Comment s’y était-il pris pour la faire monter devant lui ? Elle voulut se retourner et lire dans ses yeux, mais elle savait que, si elle le faisait, leurs visages seraient à la même hauteur, et elle ne le voulait pas - à aucun prix.
D’ailleurs, elle n’avait pas besoin de se retourner. Il regardait son dos, ses jambes, ses cuisses. Elle sentait ses yeux rôder sur elle, la peser, l’estimer, chercher à deviner. En montant le dernier étage, elle se rendit compte qu’elle frissonnait de peur. Peur de quoi ? Voilà le problème. Peur de l’homme, peur de l’ombre, des odeurs du couloir, des escaliers trop raides ? Peur d’elle-même ? Elle ne savait pas, mais elle sentait la sueur couler de ses aisselles, mouiller son front et les ailes de son nez.
L’appartement donnait sur la cour. Le concierge tira une seconde lampe de sa poche et la lui tendit avant d’ouvrir la porte - très, très doucement. Et elle pensa qu’il faisait toujours tout très, très doucement.
« Qu’est-ce que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes
Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ?
Comme un tyran gorgé de viande et de vins,
Il s’endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
 »
[…]
Le concierge restait debout au milieu du salon. Il la guettait. Ce n’était pas un rêve ni une idée. Ce n’était pas un simple produit de son imagination. C’était la constatation d’un fait. Il la guettait. Elle le savait aussi sûrement qu’elle se savait là, dans cette petite pièce. Il tenait sa lampe de façon à éclairer ses pieds. Cela le faisait paraître immense. Et ce silence de guetteur et cette taille incroyable de géant la terrorisaient. Sa tête semblait atteindre le plafond et se perdre quelque part dans le noir. Et il brûlait d’un tel désir pour elle qu’elle en avait la sensation physique. Elle se disait qu’elle était folle, idiote, ivre de peur et rongée d’épuisement. Mais rien n'y faisait, l’oppressante horreur de son désir la clouait au sol et l’empêchait de bouger. C’était une faim harcelante qui remplissait la pièce, se heurtait aux murs et lui arrachait ses forces. »
« Mais il le nia devant tous, disant : Je ne sais ce que tu veux dire.
Peu après, ceux qui étaient là, s'étant approchés, lui dirent : Certainement tu es aussi de ces gens-là, car ton langage te fait reconnaître.
 »
Taille originale  29,7 x 21 cm

mercredi 18 octobre 2023

Un coup de folie charnelle passant sur la ville

Galerie
« Cependant, il y avait de bonnes aubaines, des louis attrapés avec des messieurs bien, qui montaient en mettant leur décoration dans la poche. Satin surtout avait le nez. Les soirs humides, lorsque Paris mouillé exhalait une odeur fade de grande alcôve mal tenue, elle savait que ce temps mou, cette fétidité des coins louches enrageaient les hommes. Et elle guettait les mieux mis, elle voyait ça à leurs yeux pâles. C’était comme un coup de folie charnelle passant sur la ville. Elle avait bien un peu peur, car les plus comme il faut étaient les plus sales. Tout le vernis craquait, la bête se montrait, exigeante dans ses goûts monstrueux, raffinant sa perversion. Aussi cette roulure de Satin manquait-elle de respect, s’éclatant devant la dignité des gens en voiture, disant que leurs cochers étaient plus gentils, parce qu’ils respectaient les femmes et qu’ils ne les tuaient pas avec des idées de l’autre monde. La culbute des gens chics dans la crapule du vice surprenait encore Nana, qui gardait des préjugés, dont Satin la débarrassait. Alors, comme elle le disait, lorsqu’elle causait gravement, il n’y avait donc plus de vertu ? Du haut en bas, on se roulait. Eh bien ! ça devait être du propre, dans Paris, de neuf heures du soir à trois heures du matin ; et elle rigolait, elle criait que, si l’on avait pu voir dans toutes les chambres, on aurait assisté à quelque chose de drôle, le petit monde s’en donnant par-dessus les oreilles, et pas mal de grands personnages, çà et là, le nez enfoncé dans la cochonnerie plus profondément que les autres.
Ça complétait son éducation. »
« Je ne veux pas que tu cries chez moi… Mets bien dans ta caboche que j’entends être libre. Quand un homme me plaît, je couche avec. Parfaitement, c'est comme ça… Et il faut te décider tout de suite : oui ou non, tu peux sortir. »

Une autre mise en scène…

dimanche 15 octobre 2023

La saleté des hommes

Titre au choix :

  • Qui aime bien châtie bien !
  • Féminité toxique ?
  • Elle ne lui donne pas le sein
  • Il l’a bien cherché !

Une époque que l’on aimerait révolue :

« Et Nana se sentait très bien chez elle, assise à ne rien faire, au milieu du lit défait, des cuvettes qui traînaient par terre, des jupons crottés de la veille, tachant de boue les fauteuils. C’étaient des bavardages, des confidences sans fin, pendant que Satin, en chemise, vautrée et les pieds plus hauts que la tête, l’écoutait en fumant des cigarettes. Parfois, elles se payaient de l’absinthe, les après-midi où elles avaient des chagrins, pour oublier, disaient-elles ; sans descendre, sans même passer un jupon, Satin allait se pencher au-dessus de la rampe et criait la commande à la petite de la concierge, une gamine de dix ans qui, en apportant l’absinthe dans un verre, coulait des regards sur les jambes nues de la dame. Toutes les conversations aboutissaient à la saleté des hommes. Nana était assommante avec son Fontan ; elle ne pouvait placer dix paroles sans retomber dans des rabâchages sur ce qu’il disait, sur ce qu’il faisait. Mais Satin, bonne fille, écoutait sans ennui ces éternelles histoires d’attentes à la fenêtre, de querelles pour un ragoût brûlé, de raccommodements au lit, après des heures de bouderie muette. Par un besoin de parler de ça, Nana en était arrivée à lui conter toutes les claques qu’elle recevait ; la semaine passée, il lui avait fait enfler l’œil ; la veille encore, à propos de ses pantoufles qu’il ne trouvait pas, il l’avait jetée d’une calotte dans la table de nuit ; et l’autre ne s’étonnait point, soufflant la fumée de sa cigarette, s’interrompant seulement pour dire que, elle, toujours se baissait, ce qui envoyait promener le monsieur avec sa gifle.
Écoféminisme ?
Toutes deux se tassaient dans ces histoires de coups, heureuses, étourdies des mêmes faits imbéciles cent fois répétés, cédant à la moue et chaude lassitude des roulées indignes dont elles parlaient. C’était cette joie de remâcher les claques de Fontan, d’expliquer Fontan jusque dans sa façon d’ôter ses bottes, qui ramenait chaque jour Nana, d’autant plus que Satin finissait par sympathiser : elle citait des faits plus forts, un pâtissier qui la laissait par terre, morte, et qu’elle aimait quand même. Puis, venaient les jours où Nana pleurait, en déclarant que ça ne pouvait pas continuer. Satin l’accompagnait jusqu’à sa porte, restait une heure dans la rue, pour voir s’il ne l’assassinait pas. Et, le lendemain, les deux femmes jouissaient toute l’après-midi de la réconciliation, préférant pourtant, sans le dire, les jours où il y avait des raclées dans l’air, parce que ça les passionnait davantage. »
Si vous n’avez pas encore compris !
Taille originale  2 fois 29,7 x 42 cm
& 2 fois 29,7 x 21 cm

mercredi 4 octobre 2023

L'excitation des désirs vénériens

Des « sexologues » pas si anciens que ça…

« Je pense que, médicalement, le coït anal est un acte contre-nature, et qu’il n’a jamais été encouragé par le Créateur aussi large d’esprit qu’on puisse l’imaginer. » (Docteur A.)
Reprise d'un dessin ancien
Taille originale  : 21 x 29,7 cm
« De ce fait, le terme pathologique se justifie. Et nul doute que les assassins sadiques, les transsexuels ne soient de vigoureux psychopathes. Néanmoins, on ne dira pas que les frigides sont folles, ni que les pédérastes sont tous des pervers. On dira qu’ils se privent des plus savoureux plats érotiques, qu’ils n’ont pas atteint le terme assouvissant de l’évolution érotique individuelle, condition de la normalité. Sortent de la normalité ceux que leur sexe rend malheureux ; par extension ceux dont le sexe ne procure pas toutes les joies possibles. […] Et puisqu’il s’agit de troubles, de soin, de cure, de guérison, force est bien de poser une norme de santé, référence qui demeure jusqu’à plus ample informé, l’assouvissement érotique par l’orgasme réciproque dans le coït hétérosexuel, entre personnes adultes unies par un minimum de connivence affective. » (Docteur Z.)
Tourner le dos
Taille originale  : 21 x 29,7 cm
« Comme la femme éprouve le besoin sexuel moins que l’homme, une prédominance de ce besoin chez elle doit éveiller le soupçon d’un état pathologique. » (Docteur K-E.)
D’où je viens ? Qui je suis ? Où vais-je ?
Taille originale  : 21 x 29,7 cm
« Parce que la femme, à des degrés divers évidemment, présente une structure masochiste qui lui fait rechercher certaines sensations fortes, la personnalité d’un dictateur latin ou anglo-saxon est plus mordante. Le pseudo-panache militaire intervient également et une telle s’accrochera au baudrier de celui-ci, ne touchera pas le premier bouton de cet autre civilement vêtu. Le pouvoir fascinant du képi, de la fourragère, de la cravache est certain ! » (Docteur A.)
Répétition
« Laissons aux débauchés de toutes les classes de la société le soin jaloux de se créer des sexes buccaux pour embellir leurs hideuses nuits, après avoir conseillé dans l’intérêt de la santé d’abord et de la race ensuite, à l’amante de ne pas pratiquer l’hyménée avec la bouche, à l’amant de ne pas adorer buccalement son idole, à tous enfin de faire l’amour naturel sans plus. » (Docteur H. P.)
Travelling latéral
« Partageant l’erreur commune et vulgaire que le clitoris a une action toute-puissante sur l’excitation des désirs vénériens de la femme, ils le touchent, le chatouillent en le titillant avant leur approche. En développant le volume et l’excitabilité de cet organe, par leurs frottements habituels, ils prédisposent leurs compagnes à la nymphomanie ou délire érotique qui les entraîne à la manuellisation solitaire, soir en leur absence, soit après leur mort. » (P. G.)
Travelling vertical
« Parce qu’il nie la complémentarité du masculin et du féminin, l’homosexuel vit une sexualité en miroir, teintée de narcissisme. Dans ses chasses incessantes, il n’est jamais à la recherche que de lui-même et du pénis perdu, désespérément convoité, mais jamais retrouvé. » (Docteur T.)

Humour involontaire ?

lundi 2 octobre 2023

Un frisson de curiosité

L’accusation…
« Les autres soirs, “j’allais” avec d’autres hommes que je trouvais dans la rue ou que Gisella me présentait Il y en avait de jeunes, de moins jeunes et de vieux : certains sympathiques, qui me traitaient avec gentillesse, d’autres désagréables, qui me considéraient comme un objet acheté et vendu ; mais, au fond, comme j’avais décidé de ne m’attacher à personne, c’était toujours la même musique. Nous nous rencontrions dans la rue ou au café, nous allions parfois diner ensemble, puis nous courions chez moi. Là, nous nous enfermions dans ma chambre, nous faisions l’amour, nous parlions un peu, puis l’homme payait et s’en allait, et je passais dans la grande salle où je trouvais maman qui m’attendait. Si j’avais faim, je mangeais, et ensuite je me couchais. Quelquefois, mais assez rarement, s’il était encore tôt, je sortais à nouveau et retournais en ville chercher un autre homme. Mais il y avait aussi de longs jours où je ne voyais personne et restais à la maison sans rien faire. J’étais devenue très paresseuse, d’une indolence triste et voluptueuse où semblait s’assouvir une soif de repos et de tranquillité qui n’était pas seulement la mienne, mais celle de maman et de toute ma race d’êtres toujours fatigués et toujours pauvres. Souvent, la vue du tiroir aux économies vide suffisait à me débusquer de la maison et à me faire battre les rues du centre en quête d’un compagnon ; mais souvent aussi ma paresse l’emportait, et j’aimais mieux emprunter de l’argent à Gisella ou envoyer maman acheter à crédit dans les boutiques. »
La défense…
« Et, pourtant, je ne saurais dire que, réellement, cette vie me déplût. Je m’aperçus vite que mon inclination pour Gino n’avait rien de particulier ni d’unique, et qu’au fond presque tous les hommes, pour une raison ou pour une autre, me plaisaient. Je ne sais pas si cela arrive à toutes les femmes qui font mon métier ou bien si cela indique la présence d’une vocation particulière ; ce que je sais, c’est que, chaque fois, je sentais un frisson de curiosité et d’attente qui n’était que rarement déçu. Des jeunes gens, j’aimais les corps longs, maigres, encore adolescents, les gestes maladroits, la timidité, les yeux caressants, les lèvres et les cheveux pleins de fraîcheur. Des hommes mûrs, j’aimais les bras musclés, les larges poitrines pleines, ce je ne sais quoi de massif et de puissant que la virilité met dans les épaules, dans le ventre, dans les jambes de l’homme ; enfin les vieux même me plaisaient parce que l’homme n’est pas, comme la femme, esclave de l’âge ; jusque dans la vieillesse, il conserve son charme ou en gagne un d’un genre particulier. Le fait de changer tous les jours d’amant me permettait de distinguer à première vue des qualités et des défauts avec cette précision, cette pénétration dans l’observation que, seule, l’expérience permet d’acquérir. Et puis le corps humain était pour moi la source inépuisable d’un plaisir mystérieux et jamais assouvi ; et, plus d’une fois, je me surpris à caresser des yeux ou à toucher du bout des doigts les membres de mes compagnons d’une nuit comme si j’eusse voulu, au-delà du rapport superficiel qui nous unissait, pénétrer le sens de leur prestance et m’expliquer à moi-même pourquoi je me sentais à ce point attirée par eux. Mais je tâchais de dissimuler cette attirance le plus qu’il m’était possible, parce que ces hommes, dans leur vanité toujours en éveil, auraient pu la prendre pour de l’amour et s’imaginer que j’étais éprise d’eux, alors qu’en réalité l’amour — tout au moins tel qu’ils l’entendaient — n’avait rien à faire avec mon sentiment, lequel ressemblait plutôt au respect et à la trépidation que j’avais éprouvés, jadis, quand je fréquentais l’église en accomplissant certains actes religieux. »
Le pays de Cocagne
Taille originale : 42 x 29,7 & 21 x 29,7 cm