vendredi 21 avril 2023

Les hommes stagnent…

« On dit que les hommes vieillissent mieux que les femmes mais c'est faux. Leur peau perd plus vite son élasticité, surtout quand ils fument et boivent. C'est flasque, on a l'impression que ça pourrait s'effriter sous la pulpe des doigts. Elle n’a jamais compris comment faisaient les jeunes filles qui couchent avec des hommes plus vieux. C’est tellement plus agréable, la peau douce et résistante des hommes jeunes. Les hommes de son âge la dégoûtent, quand les couilles pendent et ressemblent à des têtes de tortues sclérosées. Elle pourrait vomir de devoir y toucher. Elle déteste les hommes qui ont le souffle court quand ils baisent, ou qui doivent se mettre sur le dos au bout de cinq minutes parce qu’ils n'en peuvent plus et laissent la partenaire terminer toute seule. Elle déteste leur ventre gonflé et leurs petites cuisses grises.
Les femmes évoluent avec l’âge. Elles cherchent à comprendre ce qui leur arrive. Les hommes stagnent, héroïquement, puis régressent d'un seul coup. Plus ils prennent de l’âge, plus l’amour et le sexe sont liés à l’enfance. Ils ont envie de dire des mots d’enfants à des filles qui ressemblent à des gosses, de faire des cochonneries qu’on fait dans la cour de récré. Personne n’a envie d’entendre parler du désir d'un vieillard, c’est trop embarrassant. »
Femme puissante ?
« …elle était ravissante, elle était drôle, tous les garçons étaient à ses pieds. Elle aimait bien le disquaire, mais elle avait d’autres priorités. Elle préférait les musiciens. Les groupies ont mauvaise presse, mais c’est parce qu’elles peuvent faire ce dont les garçons rêvent sans oser se le permettre : sucer tout le groupe dans le camion. »
Martyre de la cause ?
« Il faut une certaine dose d’arrogance pour remonter de Bastille à Oberkampf à pied, seule, en talons hauts et jupe au-dessus du genou, passé onze heures du soir. Tous les connards sont de service. Les miliciens se sentent investis d’une mission : pourrir la vie aux filles seules dans les rues. Éviter tout contact visuel. Avancer vite. Se tenir droite, en imaginant avoir un sabre dans son Balenciaga, façon Beatrix Kiddo. Fermer sa gueule, tracer. Les petits bruits de bouche pour attirer son attention. Les insultes — salope, connasse, grosse pute, sac à foutre viens par là, où tu vas toi viens par là, raciste, bobo de merde on va te défoncer, on voit ton gros cul, fais attention à toi doudou, toi t’as une bouche à bien me sucer. Ne pas ralentir. Elle aime les garçons, elle les aime avec pragmatisme, avec énergie, elle les aime de toute sa peau et de l’intérieur de son ventre. Mais elle aimerait, aussi, pouvoir en tuer quelques-uns. Qu’il y ait une licence — légitime défense. Vous êtes en bande, vous me suivez en me menaçant — je sors mon sabre et je décapite. Elle a l’habitude. Il faut du caractère pour être une chaudasse. Tu n’as le soutien de personne, sur cette terre. Ni des mecs avec qui tu traînes, ni des meufs qui sont tes copines, ni des mecs que tu ne suceras pas. Un jour à Sébastopol un gros lourd l’a attrapée par le poignet pour l’obliger à le suivre, elle a retiré sa main en lui disant “mais dégage” et le mec est devenu tout rouge, elle a vu qu’il allait vriller et lui en coller une. Il l’a forcée à s’excuser. Elle s’est exécutée, et puis elle a tracé. Tout le temps qu’il l’a retenue en la menaçant, elle n’a vu personne ralentir, ni leur jeter un coup d’œil. Il aurait pu la tuer à coups de pied, sur le trottoir, les gens auraient regardé ailleurs. »
Taille originale :  deux fois 21 x 29,7 cm
& 42 x 45,5 cm (collage de trois dessins)
« C’est comme ça qu’il avait eu le plan. Mais à neuf heures du matin quand il avait fallu faire la scène, Cyril n’avait pas eu d’érection. Le verdict des professionnels était sans appel : “il ne levait pas”, ça paraissait être un cas de figure bien connu des troupes, et sans remède. Deb ignorait encore que dans le porno il y a les mecs qui lèvent et les mecs qui tiennent, ceux qui lèvent et qui tiennent ne sont pas près d’être au chômage. Il avait fallu faire la scène avec quelqu’un d’autre. Le réalisateur était content du résultat. Il disait qu’elle prenait bien la lumière. Cyril n’était plus catastrophé, sa meuf assurait, il était fier. Elle avait fait sa deuxième scène, plus détendue, on l’avait complimentée, elle n’avait pas réalisé sur le coup qu’elle venait d’entrer dans la peau d’un tout nouveau personnage, et qu’elle allait l’incarner des années. Changer, c’est toujours perdre un bloc de soi. On le sent qui se détache, après un temps d’adaptation. C’est un deuil et un soulagement en même temps. C’est son voyage à elle, qui continuait. »
Femmes glorieuses ?