dimanche 21 avril 2024

Baiser à s'en décerveler

„Schlummert ein, ihr matten Augen,
Fallet sanft und selig zu!
Welt, ich bleibe nicht mehr hier,
Hab ich doch kein Teil an dir,
Das der Seele könnte taugen.“
« Ça a commencé peu après qu’elle s’est mise à pleurer — lorsqu’elle a fini par s’épuiser et que les mots se sont brisés, s’émiettant dans les larmes. Ivre, tout ému, je me suis levé, j’ai fait quelques pas vers l’endroit où elle était assise et j’ai passé mes bras autour d’elle en un geste de consolation. Cela nous a fait basculer de l’autre côté. Ce simple contact a suffi à déclencher une réponse sexuelle, un souvenir aveugle d’autres corps, d’autres étreintes, et un instant plus tard nous nous embrassions, puis, encore quelques moments et nous étions nus, allongés sur son lit au premier étage.
Bien qu’ivre, je n’étais pas parti au point de ne pas savoir ce que je faisais. Mais même la culpabilité ne pouvait m’arrêter. Cet instant va passer, me suis-je dit, et nul n’en aura souffert. »
« Garçon au pied léger, c’est l’heure matinale
du premier verre : apporte-moi un peu de vin.
La chaleur de l’été, la froidure hivernale
ont vu naître et mourir cent mille souverains.
 »
Taille originale : 29,7 x 21 cm
« Un mois est une longue période, c’est plus qu’assez pour qu’un homme ait le temps de se disloquer. Ces jours-là me reviennent en fragments lorsqu’il leur arrive de réapparaître, en petits bouts qui refusent de s’ajouter les uns aux autres. Je me vois un soir m’écroulant ivre dans la rue, me relevant, titubant vers un réverbère, puis vomissant sur mes chaussures. Je me vois assis dans une salle de cinéma allumée en train de regarder les gens défiler devant moi, incapable de me souvenir du film à la projection duquel je viens d’assister. Je me vois en train de rôder dans la rue Saint-Denis la nuit, puis choisir des prostituées avec qui je vais coucher, et la pensée des corps met ma tête en feu, c’est un fouillis inextricable de seins nus, de cuisses nues, de fesses nues. Je vois ma bite qu’on suce, je me vois sur un lit avec deux filles qui s’embrassent, je vois une énorme Noire qui se lave le con à cheval sur un bidet. Je ne vais pas dire que ces choses sont irréelles, qu’elles n’ont pas eu lieu. Mais il se trouve simplement que je suis incapable d’en rendre compte. Je baisais à m’en décerveler et je buvais à m’expédier dans un autre monde. »
Le périzonium disparu
Taille originale : 21 x 29,7 cm

vendredi 12 avril 2024

La certitude qu'il allait mourir

Montage numérique d'un dessin de fist-fucking dans un espace muséal
La chaise du gardien
« Mais lui, Evandro Manolo Torres, n’avait que cinq ans lorsque la certitude qu’il allait mourir s’était imposée à lui avec la force d’une révélation. Peut-être pas tout de suite, bien sûr. Ou peut-être que si.
Cette prise de conscience avait déclenché un compte à rebours dans sa tête et un glas dans son cœur, qui sonnait les heures — toutes les heures.
Alors Torres priait. Il allait à la messe. Il lisait la Bible. Il essayait de communier tous les jours avec le Seigneur Notre Sauveur et Père à tous.
Et il buvait trop.
Durant un temps, il avait aussi trop fumé et abusé de la coke, deux dépendances nocives dont il s’était cependant libéré cinq ans plus tôt.
Il aimait sa femme et ses enfants, et il s’efforçait de le leur montrer tous les jours.
Ce n’était cependant pas suffisant.
Ève, la première femme, confrontée artistiquement à des jeunes filles d’aujourd'hui
Sorties du paradis !
Taille originale : 21 x 29,7 cm
Le gouffre en lui — l’abîme, la béance, la plaie ouverte dans son cœur - ne se refermait pas. Quelle que soit l’image que les autres avaient de lui, quand Torres se regardait, il voyait un homme foncer vers un point à l’horizon qu’il n’atteindrait jamais. Et, un jour, la lumière s’éteindrait d’un coup, interrompant sa course effrénée. Pour ne jamais se rallumer. Pas dans ce monde.
Cette pensée affolait le compte à rebours, faisait résonner plus fort le glas, et plongeait Torres dans un état de panique totale, mélange d’impuissance et du désir désespéré de se raccrocher à quelque chose, n’importe quoi, qui puisse l’ancrer dans le présent.
Or, depuis qu’il était en âge de l’apprécier, c’était la chair qui avait cet effet sur lui.
Ce qui expliquait pourquoi il s’apprêtait aujourd’hui à partager de nouveau le lit de Lisa, deux ans après en être sorti. Déjà, ils retrouvaient les gestes d’avant, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés, s’accordant chacun au rythme de l’autre avant même d’atterrir sur le matelas, le souffle et la peau imprégnés d’alcool, mais rendus brûlants par le désir. Lorsqu’il jouit, Torres sentit l’onde de plaisir se propager dans tout son corps. Lisa jouit en même temps que lui, et laissa échapper un râle à faire trembler le plafond.
Il fallut à Torres cinq secondes pour se dégager, et cinq autres pour éprouver la morsure du regret.
Vision artistique et muséale de deux lesbiennes en action
Entrée au paradis ?
Taille originale : 29,7 x 42 cm
Elle s’assit dans le lit, attrapa la bouteille de rouge sur la table de nuit et but au goulot. “Dieu que c’était bon”, dit-elle. Et : “Oh, putain.” Et : “Fait chier.”
Puis elle lui tendit la bouteille.
Il avala une gorgée de vin. “Eh, te bile pas. Ça arrive, ce genre de truc.
— C’est pas pour autant que ça devrait, connard.
— Pourquoi tu me traites de connard.
— Parce que t’es marié.
— Mal.”
Elle reprit la bouteille. “T’es pas heureux ?
— Non, c’est pas ça, répondit-il. On est même plutôt heureux, dans l’ensemble, c’est juste qu’on a des problèmes avec le concept de fidélité conjugale. Pour nous, c’est aussi abscons que la théorie des cordes. Merde, quand je pense que je vais devoir confesser toutes ces conneries au prêtre demain, en le regardant bien en face...
- T’es le pire catholique que je connaisse.”
Il lui fit les gros yeux en étouffant un petit rire. “Ça m’étonnerait.
- Ah oui ? Et qu’est-ce qui te rend si sûr de toi, pécheur de mes deux ?
- Ce qui compte, c’est pas de pécher, expliqua-t-il. C’est d’accepter que t’es né déchu et que tu passes ta vie à essayer de te racheter.”
Elle leva les yeux au plafond. “Pourquoi tu déchoirais pas de mon lit pour foutre le camp ?”
Montage numérique de deux images de la  féminité
Préparez vos cartes de crédit !
Avec un soupir, il repoussa les draps. Il enfila son pantalon, assis au bord du matelas, puis chercha sa chemise et ses chaussettes. Quand il croisa le regard de Lisa dans le miroir, il comprit que, malgré tous ses efforts pour se persuader du contraire, elle l’aimait bien.
Merci, mon Dieu, pour les petits miracles. »
Montage d'un dessin pornogaphique et d'une citation d'une performeuse
Ce qu’elle en pense

vendredi 5 avril 2024

Les bonnes mœurs

« Montrer ses seins ou son sexe, ses fesses à un public qui ne l’a pas choisi, c’est une forme d’agression… »
Emprisonnement d’un mois à deux ans et une amende de 50.000 à 500.000 francs
La peine ci-dessus pour quiconque :
1. fabrique, détient, importe, exporte, transporte en vue d’en faire commerce, distribution, location, affichage ou exposition, tous imprimés, tous écrits, dessins, affiches, gravures, peintures, photographies, films ou clichés, matières ou reproductions phonographiques, emblèmes et d’une manière générale, tous objets ou images contraires aux bonnes mœurs ;
2. vend, loue, même à titre gratuit et même non publiquement, sous quelque forme que ce soit, affiche, expose ou projette les documents imprimés ou objets énumérés ci-dessus ;
3. fait entendre par geste, propos, cri ou menace, par écrit, image, dessin, imprimé, document, placard ou affiche ou tout autre moyen sonore ou visuel soit dans un lieu public ou ouvert au public, soit par un moyen permettant le contact visuel ou auditif du public, des chants, cris et discours contraires aux bonnes mœurs ;
4. attire publiquement l’attention sur une occasion de débauche ou publie une annonce ou une correspondance de ce genre quels qu’en soient les termes.

« Eh ! vous ne savez rien ?
Apprenez donc que vingt femmes de bien
Sont dans Marseille étroitement unies
Pour corriger nos jeunes étourdies,
Pour réformer tout le train d’aujourd’hui,
Mettre à sa place un noble et digne ennui,
Et hautement, par de sages cabales,
De leur prochain réprimer les scandales. »

Taille originale : 21 x 29,7 cm


jeudi 28 mars 2024

L'emblème de la marchandisation des corps

L’excitation de la création
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« En Italie, le meurtre vend plus que le cul. Cette maxime avait changé la vie de Luana. C’était le présentateur du JT régional de Brianza où elle avait commencé sa carrière il y avait plus de vingt ans qui lui avait dit ça, commentant une affaire particulièrement glauque qui avait défrayé la chronique pendant plusieurs semaines. Luana avait archivé cette “perle” dans sa mémoire, sachant qu’elle lui serait utile un jour. Aux dires de tous ses collègues, elle avait toujours été une très mauvaise journaliste : elle ne savait pas écrire, avait une préférence pour les opinions plutôt que pour les faits, n’avait pas la patience de se documenter et de vérifier ses sources, mais elle était ambitieuse et — à l’époque— belle et provocante. Son vrai talent était la télégénie. “On dirait que tu es née pour passer à la télé”, lui disaient les directeurs d’antenne pour l’attirer dans leur lit.
Ils savaient aussi pertinemment que son ambition effrénée finirait par lui jouer des tours, mais ils se gardaient bien de le lui dire. La vanité l’avait poussée à se plier aux logiques machistes du milieu ; elle s’était bouché le nez et elle avait dit oui à toutes les personnes qui comptaient, qui l’avaient récompensée en la mettant à la tête du deuxième journal télévisé national, n’en déplaise aux féministes qui dans des lettres enflammées l’accusaient d’être devenue l’emblème de la marchandisation du corps. Quand les journaux télévisés nationaux ne lui avaient plus suffi, Luana avait fait le grand saut en prenant la direction d’un talk-show, puis elle s’était rabattue sur une émission people quand son décolleté n’avait plus fait recette et que les invitations à dîner des producteurs s’étaient raréfiées. Mais plus les années passaient, et plus les séances de maquillage pré-antenne se rallongeaient, plus il était compliqué de se maintenir au sommet, face à une concurrence jeune et acharnée, prête à tout pour quelques minutes à l’écran. Des talk-shows aux programmes les plus trash de la télé misérabiliste, le pas avait été aussi rapide qu’humiliant. Mais son déclin ne faisait que commencer : après un trop grand nombre d’interventions de chirurgie esthétique qui n’avaient pas donné les résultats escomptés, sa présence télévisée avait été avancée de manière inexorable : d’abord en fin d’après-midi, puis à la tranche d’après déjeuner, pour finir en milieu de matinée, le placard absolu pour toute présentatrice. L’étape suivante aurait été l’humiliation suprême avant le télé-achat : les émissions diffusées à l’aube. Luana n’avait aucune intention de toucher le fond.
Dérapage, délire, déséquilibre
Taille originale  2 fois 21 x 29,7 cm
Aussi avait-elle fait fi du conseil d’une collègue plus expérimentée qui, à cause d’un mauvais choix amoureux, était passée du prime de la première chaîne privée nationale au journal d’après-midi d’une chaîne lombarde. Le conseil était le suivant : “Ne te maque jamais avec un politique. Ils utilisent les gens comme des toilettes publiques.” Luana, en désespoir de cause, avait enfreint la règle d’or, plantant le dernier clou dans le cercueil de sa dignité pour se mettre en couple avec un secrétaire de parti en pleine ascension, avec ses entrées dans le milieu et de vingt ans son aîné, qui avait vu dans cette liaison une occasion de redorer son image avant les élections. L’espace d’une saison, tout s’était passé comme prévu : grâce à ce coup de projecteur, Luana avait réobtenu le prime time, enjambant les corps encore épargnés par la chirurgie des jeunes bimbos qui la croyaient finie. Mais quand son compagnon s’était retrouvé au cœur d’un “complot judiciaire” orchestré par une frange dissidente du parti et qu’il avait fait l’objet d’une enquête pour corruption et prostitution de mineures, Luana — après quelques “invitations” dans des émissions où elle avait tenté en vain de réciter la partition de la pauvre victime d’un puissant dépravé — s’était retrouvée à cinquante ans bien tassés en marge du cirque médiatique auquel elle avait sacrifié sa jeunesse, sa dignité et sa carrière. Peu à peu, même les émissions à scandale les plus vulgaires l’avaient oubliée. Elle avait essayé de se recycler en reporter, mais on lui avait ri au nez.
« Une femme surprise… »
[…]
« Par le foutre Dieu ! »
Le succès ne se mesure pas à l’argent, mais à la beauté et à la jeunesse de qui tu mets dans ton lit. Luana ne se rappelait pas qui était l’auteur de cette perle. C’était forcément un homme ; un producteur ou un directeur de chaîne quelconque qu’elle fréquentait lorsqu’elle était au faîte de sa popularité. Mais qui que ce soit, il avait parfaitement raison.
À en juger par le jeune homme endormi à côté d’elle, elle comprit qu’elle avait renoué avec le statut de “femme à succès”. La plupart des fils de ses amies étaient plus âgés que ce tas de muscles avec une coupe à la mode qui gisait à côté d’elle. Elle l’avait ramené la veille, après une fête privée au Ceresio 7, l’Olympe des clubs glamours milanais, choisissant parmi une dizaine de stars de la téléréalité, d’acteurs à la petite semaine, de mannequins et de danseurs qui lui avaient fait les yeux doux toute la soirée tels des chiots dans un chenil. L’heureux élu était un ex-séducteur de L’Île de la tentation, beau comme un dieu grec, mais dépourvu de la moindre qualité intellectuelle ou artistique. Après une saison, sa carrière était déjà terminée. Vingt-sept ans, un corps parfait que Luana avait chevauché dans toutes les positions, l’essorant pour en tirer tout le plaisir possible.
« Où sont ceux qui t’accusaient ? »
Taille originale  29,7 x 21 cm
— Il y aurait moyen d’être invité dans ton émission ? lui avait-il demandé entre deux parties de jambes en l’air, le regard plein d’espoir.
Luana lui avait répondu exactement ce que lui disaient les producteurs télévisés trente ans plus tôt : “Ça dépend...” Ça dépend... Deux mots qui stimulaient la libido de ce genre d’apollon plus sûrement qu’une plaquette de Viagra. Il avait tout donné pour obtenir une "apparition" dans Verdict.
Les draps étaient encore humides de sueur. Le chiot dormait toujours. Luana s’apprêtait à le réveiller pour le chasser de chez elle, afin de s’accorder un bain chaud en toute solitude. »
Exhibitionnisme agressif ?
« L’exhibition sexuelle ne doit pas être confondue avec l’agression sexuelle. Il y a agression sexuelle lorsque la personne porte atteinte au corps de la victime. »

mardi 19 mars 2024

Un comportement masculin idiot

Survenance philosophique
« [Ruth] regarda le machiniste, qui reluquait ses seins. Si elle avait dû nommer un comportement masculin idiot, elle aurait choisi celui-là : les hommes n’ont pas l’air de se rendre compte qu’une femme voit très bien quand ils lorgnent ses seins.
“Je n’irais pas dire que c’est mon pire grief” avait répondu [son amie] Hannah. Ses seins étaient plutôt petits — du moins pour son goût. “Avec de nichons comme les tiens, avait-elle ajouté, qu’est-ce que tu veux qu’ils regardent, les mecs ?”
[…]
Intersection
[Ruth] poussa un profond soupir : elle eut conscience que ses seins se soulevaient, et que le crétin de machiniste en était médusé. Elle l’aurait entendu soupirer en réponse, ce jeune vicieux si Eddie [l’orateur sur scène] n’avait pas continué son topo soporifique. Par désœuvrement, elle croisa le regard du jeune machiniste et le soutint jusqu’à ce qu’il détournât les yeux. Il avait une de ces barbes naissantes clairsemées, une velléité de bouc avec moustache, impalpable comme de la suie. Si je ne m’épilais pas régulièrement à la cire, pensait Ruth, je crois que j’obtiendrais une moustache plus convaincante que la sienne ?
Elle soupira de nouveau, pour mettre le jeune vicieux au défi de regarder ses seins. Mais il était soudain intimidé.
[…]
Taille originale : deux fois 21 x 29,7 cm
Elle avait envie d’éclater en sanglots tant elle était fâchée contre Hannah [qui l’avait laissée en plan], mais elle vit que son geste inopiné avait fait sursauter le machiniste en rut ; elle aima son expression alarmée.
— Le public peut vous entendre de la salle, lui chuchota-t-il d’un air sournois ; il avait un sourire pointilleux.
La réaction de Ruth ne fut pas spontanée ; presque tout ce qu’elle disait était mûrement réfléchi.
— Au cas où vous vous poseriez la question, chuchota-t-elle, ils font 90 D.
— Qui ?
Il est trop crétin pour comprendre, décida Ruth.
[…]
Cet écervelé comprit à retardement ce que la romancière célèbre venait de lui susurrer. Elle fait un 90 D ! Mais pourquoi elle m’a dit ça ? Elle m’a fait des avances ou quoi ? se demanda le demeuré. »

jeudi 22 février 2024

Le désir éperdu de voir briller le soleil

Contre-plongée
« Il nous révèle quelque chose d’essentiel sur le soldat, non pas seulement celui de cette guerre mais celui de toujours, quelque chose que personne n’a jamais exprimé plus complètement, plus éloquemment que lui. L’appréhension du lendemain, la hantise de la mort, le désir éperdu de voir briller le soleil du jour suivant, du mois suivant, de l’année suivante, de l’époque glorieuse du retour. Cette aspiration à la vie fut vraiment le plus profond et le plus constant de nos sentiments, celui qui vraisemblablement nous assimilait le mieux aux soldats de toutes les guerres et celui qui était le moins concevable aux civils et aux soldats abrités. La raison en est que la vie est un privilège dont nous jouissons sans nous en rendre compte jusqu’au jour où, à la guerre, nous tombons sous la menace de la mort, menace répétée, de plus en plus redoutable à mesure que nos chances semblent s’user et se réduire. La vie se révèle alors au soldat comme le don suprême, celui sans lequel plus rien ne compte ; elle se parait à nos yeux de beautés inconnues, elle était infiniment désirable et nous en venions à concevoir le bonheur absolu dans la condition de l’homme tout simplement vivant et assuré de rester en vie par la même assurance que nous avions en temps de paix. Tous les poilus écrivains ont plus ou moins bien exprimé ce sentiment du soldat mais [Paul] Lintier l’a interprété de la façon la plus suggestive, il en a donné la sensation la plus rapprochée de la réalité, il l’a répété d’un bout à l’autre de chacun de ses livres comme ces aspirations se répétaient sans cesse dans le fond de nos cœurs. Et quand on sait que l’échéance qu’il redoutait a enfin surpris Lintier le 15 mars 1916, dans le secteur le plus paisible, on trouve un accent encore plus poignant à ses tragiques appréhensions. »
Lever les yeux au ciel
Taille originale : 2 fois 21 x 29,7 cm
« L’amour peut transformer les objets les plus vils, le néant même, et leur donner de la grâce et du prix. L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’âme ; et voilà pourquoi l’ailé Cupidon est peint aveugle ; l’âme de l’amour n’a aucune idée de jugement : des ailes, et point d’yeux, voilà l’emblème d’une précipitation inconsidérée ; et c’est parce qu’il est si souvent trompé dans son choix, qu’on dit que l’Amour est un enfant. Comme les folâtres enfants se parjurent dans leurs jeux, l’enfant amour se parjure en tous lieux. »

vendredi 9 février 2024

Sous le règne des femelles

C’est l'homme vautré dans l'amour que les vautours de la jalousie déchirent, que dévore une angoisse anxieuse ou dont le coeur se fend dans les peines de quelque autre passion.
ou
C'est un malade d'amour, livré aux vautours de sa dévorante angoisse, ou la victime déchirée par les tourments de quelque autre passion.
« Toutefois, si chez les chimpanzés la domination des mâles est nette, chez les bonobos la domination semble inversée. Frans de Waal remarque le caractère rare d'une telle situation car “la domination masculine reste la norme chez la plupart des mammifères” : “Comparée à la société chimpanzé articulée autour du mâle, la société bonobo, érotique et pacifique, centrée sur la femelle, nous offre de nouveaux axes de réflexion sur notre ascendance humaine.” Le primatologue n'a pas d'explication particulière sur ce fait, mais fait remarquer qu'“un long passé d'attachement entre femelles, qui s'exprime par beaucoup d'épouillages et d'activités sexuelles, a fait plus qu'entamer la suprématie des mâles : il a retourné la situation et fait naître une organisation foncièrement différente”. La compétition pour la nourriture, par exemple, montre que les femelles bonobos s'allient pour chasser les mâles (parfois avec beaucoup d'agressivité) et se partager les fruits, alors que les chimpanzés mâles, plus agressifs, parviennent à s'imposer dans le même genre de situation. Et “même quand il n'y a pas de vivres dans les parages, des mâles pleinement adultes réagissent avec crainte et soumission à la simple présence d'une femelle de rang supérieur”. De même, si “les meutes de chasse formées par les chimpanzés sont exclusivement composées de mâles”, les mêmes chasses sont observées chez les bonobos “mais les deux sexes participent à l'action”.
On ne dispose, à ce jour, d'aucune explication stabilisée, ni de l'activité sexuelle très fréquente, ni de la grande solidarité inter-femelles (malgré une philopatrie mâle, comme chez les chimpanzés), ni de la moindre agressivité des mâles ou de la moindre recherche de statut, ni de la participation des femelles à l'activité de chasse, ni de la domination des femelles sur les mâles dans nombre de situations. La seule chose dont on soit sûr, c'est du fait que les premières sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs ont des structures plus proches de celles des chimpanzés que de celles des bonobos, avec une domination masculine très nette et une division du travail qui réserve chasse et la protection du groupe aux hommes, et qui en exclut les femmes. »