jeudi 22 février 2024

Le désir éperdu de voir briller le soleil

Contre-plongée
« Il nous révèle quelque chose d’essentiel sur le soldat, non pas seulement celui de cette guerre mais celui de toujours, quelque chose que personne n’a jamais exprimé plus complètement, plus éloquemment que lui. L’appréhension du lendemain, la hantise de la mort, le désir éperdu de voir briller le soleil du jour suivant, du mois suivant, de l’année suivante, de l’époque glorieuse du retour. Cette aspiration à la vie fut vraiment le plus profond et le plus constant de nos sentiments, celui qui vraisemblablement nous assimilait le mieux aux soldats de toutes les guerres et celui qui était le moins concevable aux civils et aux soldats abrités. La raison en est que la vie est un privilège dont nous jouissons sans nous en rendre compte jusqu’au jour où, à la guerre, nous tombons sous la menace de la mort, menace répétée, de plus en plus redoutable à mesure que nos chances semblent s’user et se réduire. La vie se révèle alors au soldat comme le don suprême, celui sans lequel plus rien ne compte ; elle se parait à nos yeux de beautés inconnues, elle était infiniment désirable et nous en venions à concevoir le bonheur absolu dans la condition de l’homme tout simplement vivant et assuré de rester en vie par la même assurance que nous avions en temps de paix. Tous les poilus écrivains ont plus ou moins bien exprimé ce sentiment du soldat mais [Paul] Lintier l’a interprété de la façon la plus suggestive, il en a donné la sensation la plus rapprochée de la réalité, il l’a répété d’un bout à l’autre de chacun de ses livres comme ces aspirations se répétaient sans cesse dans le fond de nos cœurs. Et quand on sait que l’échéance qu’il redoutait a enfin surpris Lintier le 15 mars 1916, dans le secteur le plus paisible, on trouve un accent encore plus poignant à ses tragiques appréhensions. »
Lever les yeux au ciel
Taille originale : 2 fois 21 x 29,7 cm
« L’amour peut transformer les objets les plus vils, le néant même, et leur donner de la grâce et du prix. L’amour ne voit pas avec les yeux, mais avec l’âme ; et voilà pourquoi l’ailé Cupidon est peint aveugle ; l’âme de l’amour n’a aucune idée de jugement : des ailes, et point d’yeux, voilà l’emblème d’une précipitation inconsidérée ; et c’est parce qu’il est si souvent trompé dans son choix, qu’on dit que l’Amour est un enfant. Comme les folâtres enfants se parjurent dans leurs jeux, l’enfant amour se parjure en tous lieux. »

vendredi 9 février 2024

Sous le règne des femelles

C’est l'homme vautré dans l'amour que les vautours de la jalousie déchirent, que dévore une angoisse anxieuse ou dont le coeur se fend dans les peines de quelque autre passion.
ou
C'est un malade d'amour, livré aux vautours de sa dévorante angoisse, ou la victime déchirée par les tourments de quelque autre passion.
« Toutefois, si chez les chimpanzés la domination des mâles est nette, chez les bonobos la domination semble inversée. Frans de Waal remarque le caractère rare d'une telle situation car “la domination masculine reste la norme chez la plupart des mammifères” : “Comparée à la société chimpanzé articulée autour du mâle, la société bonobo, érotique et pacifique, centrée sur la femelle, nous offre de nouveaux axes de réflexion sur notre ascendance humaine.” Le primatologue n'a pas d'explication particulière sur ce fait, mais fait remarquer qu'“un long passé d'attachement entre femelles, qui s'exprime par beaucoup d'épouillages et d'activités sexuelles, a fait plus qu'entamer la suprématie des mâles : il a retourné la situation et fait naître une organisation foncièrement différente”. La compétition pour la nourriture, par exemple, montre que les femelles bonobos s'allient pour chasser les mâles (parfois avec beaucoup d'agressivité) et se partager les fruits, alors que les chimpanzés mâles, plus agressifs, parviennent à s'imposer dans le même genre de situation. Et “même quand il n'y a pas de vivres dans les parages, des mâles pleinement adultes réagissent avec crainte et soumission à la simple présence d'une femelle de rang supérieur”. De même, si “les meutes de chasse formées par les chimpanzés sont exclusivement composées de mâles”, les mêmes chasses sont observées chez les bonobos “mais les deux sexes participent à l'action”.
On ne dispose, à ce jour, d'aucune explication stabilisée, ni de l'activité sexuelle très fréquente, ni de la grande solidarité inter-femelles (malgré une philopatrie mâle, comme chez les chimpanzés), ni de la moindre agressivité des mâles ou de la moindre recherche de statut, ni de la participation des femelles à l'activité de chasse, ni de la domination des femelles sur les mâles dans nombre de situations. La seule chose dont on soit sûr, c'est du fait que les premières sociétés humaines de chasseurs-cueilleurs ont des structures plus proches de celles des chimpanzés que de celles des bonobos, avec une domination masculine très nette et une division du travail qui réserve chasse et la protection du groupe aux hommes, et qui en exclut les femmes. »

lundi 22 janvier 2024

Un formidable appareil de contrôle

Ce n'est pas l'âne de Buridan

 

« Cet intérêt très marqué de l’Église pour les questions familiales a reçu nombre d’explications. Le lier à des préoccupations supérieures d’ordre éthique ou moral semble largement une explication post factum (même si leurs conséquences ont été importantes), et ne rend pas compte de contradictions patentes (tel le fait que le Nouveau Testament révèle une hostilité aux liens familiaux). En fait, l’explication de cet intérêt est à chercher moins loin  : on a pu soutenir qu’“il n’avait rien à voir avec les questions de succession et que son seul but était d’imposer le contrôle ecclésiastique sur une étape capitale de la vie du croyant”. Nul doute que cette volonté de contrôle ait joué  : placer dans les mains du clergé les événements que sont la naissance, le mariage et la mort donnait à l’Église un immense pouvoir, incarné par le prêtre officiant dans chaque paroisse, et lui-même soumis à l’autorité d’un évêque. Il semble qu’aucune autre religion se soit jamais dotée d’un appareil de contrôle local aussi formidable, lié aux succès de son activité missionnaire.
Pas de jalousie ou Par-devant et par-derrière
Il faut faire également la part des bénéfices considérables, spirituels et matériels, que ce contrôle procurait à l’Église, lequel, à son tour, libérait les couples (et d’abord les femmes) de l’autorité parentale. L’histoire de Roméo et Juliette (où les deux amants bénéficient de l’appui d’un prêtre face à l’hostilité de leurs familles respectives) illustre bien le conflit entre les objectifs du groupe de parenté et ceux de l’Église  : en reconnaissant la liberté de choix, elle “favorisait objectivement les femmes”, et celles-ci ont su en profiter. Toute activité religieuse inclut nécessairement des dons de l’homme à la divinité (à travers ses représentants sur cette terre), sous forme d’offrandes, de sacrifices, de prières, d’art et de rituels. Les dons à la divinité requièrent une aliénation (un “sacrifice”) de la part de l’individu ou de la famille, comme c’est aussi le cas dans la charité, quel qu’en soit le destinataire. Bien entendu, cela s’accompagne de récompenses et de dons en retour, mais, globalement, tout acte de charité implique un don de biens matériels en échange d’un bénéfice spirituel. L’Église dépendait de ces dons pour devenir une “grande organisation”, pour l’édification et la maintenance de ses lieux de culte, pour l’entretien de son personnel et le financement de ses multiples activités, éducatives, charitables, sacerdotales.
Taille originale : 2 fois 21 x 29,7 cm
Au départ, l’Église chrétienne ne possédait rien, elle était même vouée à la pauvreté. Peu à peu, elle a acquis des responsabilités (à l’égard de ses veuves, par exemple), un personnel, des lieux d’assemblée, toutes choses qui demandaient une capacité de soutien matériel, notamment après la conversion de l’empereur Constantin (en 312) qui lui assignait un rôle officiel. Le cas des veuves est intéressant. La pratique antérieure, qui voulait qu’elles fussent prises aussitôt en mariage (léviratique) ou en quasi-mariage par un frère de leur défunt époux, était désormais interdite, bien qu’elle eût été largement répandue dans le monde méditerranéen. Une des raisons possibles de cette interdiction était que l’Église entendait veiller sur ses ouailles alors que le lévirat impliquait un risque, pour la veuve et ses enfants, de passer sous la coupe d’un nouvel époux qui ne serait pas chrétien, et qu’il la privait de l’exercice de sa libre volonté dans le choix du conjoint. Qui plus est, on pouvait espérer que des veuves non remariées apporteraient à l’Église une contribution plus efficace (en legs et en participation à des activités religieuses) que des veuves remariées. Simultanément, les veuves pauvres (moins susceptibles de se trouver un nouvel époux) devaient être aidées par l’Église, ce qui lui donnait une raison toute particulière de solliciter des legs. »
Casser les stéréotypes ?

lundi 15 janvier 2024

Le troisième œil

Toilettes muséales
« La contemporanéité de Michel-Ange et du maniérisme est fondamentale. Il me semble que la catégorie de maniérisme nous met très bien sur la voie de ce qu’est le fait pictural, au sens le plus grossier du mot : quelque chose de maniéré dans la figure du tableau telle qu’elle sort du diagramme. Elle en sort avec une sorte de maniérisme qu’on peut toujours interpréter d’une manière anecdotique. Prenez les figures de Michel-Ange, du Tintoret, de Vélasquez. Si on parle très anecdotique, la première impression qu’on a, c’est un mélange d’extraordinaire efféminement, de maniérisme dans l’attitude, dans la pose, presque d’exubérance musculaire, comme si c’était à la fois un corps trop fort et un corps singulièrement efféminé. Les personnages de Michel-Ange ne sont pas croyables. L’école qu’on appelle maniériste, et qui fait des chefs-d’œuvre intenses, la manière dont ils font du Christ une figure, ce n’est pas croyable, ce qu’on pourrait appeler le caractère artificiel des attitudes et des postures. C’est notre œil qui voit ça, à première vue.
Taille originale : 29,7 x 21 cm

Rendez-vous plus cruels, beaux yeux qui me blessez,
Ce traict doux et piteux m’empoisonne et me tue :
Ah ! non, durez ainsi. Mon âme est combatue
De trop de desespoirs vous voyant courroucez.

Temperez seulement ces rayons elancez
Trop clairs et trop ardans qui m’offusquent la vue,
Mais ne les baissez pas : car mon mal continue,
Et mon espoir defaut quand vous les abaissez.

Doux, cruels, humbles, fiers, gais et trempez de larmes,
Amour pour ma douleur trouve en vous assez d’armes,
D’agreables langueurs, et de plaisans trespas 

Bref, toutes vos façons, beaux yeux, m’ostent la vie.
Hé donc pour mon salut cachez-vous je vous prie !
Non, ne vous cachez point, mais ne me tuez pas.

Il est évident que, d’une certaine manière, l’affirmation du fait pictural, c’est le plus beau de la peinture. C’est bien forcé que, par rapport au donné visuel, le fait pictural présente la figure sous des formes qui paraissent à l’œil extraordinairement maniérées, extraordinairement artificielles. Là-dedans, il y a quelque chose — ce n’est pas le plus profond — comme une espèce de petite provocation du peintre. La manière précisément de dire : ce n’est pas ce que vous croyez. Si bien que lorsqu’on se précipite au niveau de l’anecdote sur des considérations sur l’homosexualité des peintres, ce n’est pas ça. C’est en tant que peintres qu’ils font du maniérisme, forcément. Tout ça, c’est très insignifiant. Vous voyez : défaire les données visuelles par le diagramme qui instaure une possibilité de fait. Mais le fait n’est pas une donnée, c’est quelque chose à produire. Ce qui est produit, c’est le fait pictural, c’est-à-dire l’ensemble des lignes et des couleurs, c’est-à-dire le nouvel œil. Il a fallu passer par une catastrophe manuelle du diagramme pour produire le fait pictural, c’est-à-dire pour produire le troisième œil. »
De haut en bas

mercredi 10 janvier 2024

Une secousse faite de défaillance et d'attraction

La tête à l’envers
« Préoccupé qu’il est par la définition du jugement de goût et le rapport, harmonieux ou conflictuel, qu’entretiennent entre elles les facultés, Kant n’est pas porté à faire l’hypothèse d’une autonomie du nu, ni non plus à reconnaître la force d’effraction qui le fait apparaître. Kant se méfie de l’ontologie ; il se défie par avance de tout ce qui, déchirant le voile, ferait surgir la chose même en la livrant à l’intuition. Sinon il n’aurait peut-être pas pu s’en tenir aussi sereinement à la distinction si courante en ce temps des Lumières, à laquelle il avait lui-même consacré un opuscule de jeunesse, et qui est au cœur de sa dernière Critique comme séparant les deux espèces d’un genre commun : le sublime et le beau. Mon hypothèse est que, sous son apparent conformisme, le nu dérangerait celles-ci ; et que, en dépit de son statut de pur sensible, il exige de faire retour à l’ontologie.
Hommage (?) à Baselitz
Car on a beau tout faire pour faire oublier sa capacité de surgissement, le recouvrant sous tant d’académisme, au point même de ne plus le voir, de le voir toujours comme un déjà-vu, le nu nous rappelle impérativement à la question de l’“être” ; il la rouvre de but en blanc : la décapant de tant de surcharges accumulées par le passé de la philosophie, comme nous rattrapant nous-mêmes dans notre fuite — proprement moderne ? — de toute expérience radicale. Et c’est en quoi, en fin de compte, le nu m’intéresse. Car je crois, me retournant vers Kant, que si le nu des ateliers, en reproduisant inlassablement du canonique, fabrique du “beau” à répétition, li est des Nus qui sont “sublimes”, d’un sublime qui n’est pas à entendre comme un superlatif du beau, ou même comme un dépassement du beau, mais bien, selon son acception kantienne, comme faisant paraître quelque chose d’un “tout autre ordre” et servant à sa révélation. Par le fait du nu — je dirais plus brutalement : sous le coup du nu (quand ce nu est un grand Nu) — voici donc qu’une distinction aussi bien entérinée se brouillerait, des prédicats du sublime se désamarrant soudain pour venir errer de son côté. Est sublime, nous dit Kant, ce qui nous révèle une totalité absolue excédant le pouvoir compréhensif de notre faculté de représentation, et même de notre imagination ; or, cette totalité absolue est précisément celle que le Nu, non pas offre, c’est trop peu dire, mais impose, assène, sous couvert du normatif, par ce que j’évoquais en commençant comme le “tout est là” de sa présence. Du sublime, le Nu possède la violence, celle de la cataracte ou de l’océan déchaîné, et même d’autant plus intense qu’elle est contenue dans la limite de ce corps si parfaitement proportionné÷ Nous le vérifions à chaque fois en dépit de la lassitude du visiteur de musée devant ce déjà-vu : en faisant surgir le “tout est là” de sa présence, le nu fait imploser notre capacité d’intuition ; face au surgissement d’un grand Nu, l’œil soudain est débordé par ce “tout” qui s’entrouvre soudain devant lui, le regard, démuni, ne sachant plus où regarder. En même temps qu’il est comblé par l’harmonie des formes, ce regard, happé par ce tout, est bousculé dans son pouvoir perceptif et chavire, dépossédé de sa maîtrise — il fait l’épreuve d’un renversant. De même, le nu fait violence à l’espace dans lequel il était censé s’inscrire, auquel on prétendait le retenir, lui qui surgit incommensurable à tout ce qui l’entoure, et ce sensible alentour se reconnaissant d’emblée inadéquat à la révélation qu’il ouvre.
« …a toujours pris un malin plaisir à entretenir des ambiguïtés »
Taille originale : 29,7 x 21 cm
“Ex-tase” du grand Nu, de part et d’autre, et que rien ne pourra banaliser (ni aucune mystique récupérer) : il continue de se détacher du fond tissé des formes et des choses, son pouvoir d’étonner ne s’amortissant pas ; et le regard qu’il arrête est désemparé, débordé par ce tout qui s’engouffre en lui. À quoi l’on reconnaît un grand Nu. Quand, d’une salle à l’autre du musée, ou en feuilletant les pages d’un livre d’art, nous passons devant un grand Nu, quelque chose soudain se passe qui rappelle le mouvement de secousse, fait de défaillance et d’attraction, que Kant attribuait au sublime — ce nu sublime produisant une surprise et même un trouble, chez qui le découvre, qui ne se laissent jamais complètement résorber par le sentiment de plaisir qu’on éprouve à jouir de son harmonie : tant il est vrai que, en lâchant soudain le “tout est là” de sa présence, et la laissant déferler, il réalise quelque chose — et cela au sein même su sensible, du plus proche et du plus sensible — auquel on ne se sent soudain plus en mesure d’accéder. Retour à l’“affolement” platonicien, à l’“effroi” plotinien… »
« En tant qu’artiste, je ne suis pas en mesure de travailler en termes de discours, de questions et de réponses »
Taille originale : 29,7 x 21 cm

dimanche 7 janvier 2024

Le sentiment du beau selon Darwin

Mode, beauté, amour… et un peu d’astrologie
« L’ensemble du monde vivant manifeste des capacités d’interaction entre membres de la même espèce en vue d’actions communes. Les espèces végétales entretiennent des réseaux d’échanges via leurs systèmes racinaires, les bactéries coopèrent entre elles à l’intérieur des organismes de toutes les espèces animales, les baleines à bosse chassent ensemble en produisant des bulles autour d’un banc de poissons afin de maintenir leurs proies dans un espace restreint, ce qui permet de les manger plus facilement, les meutes de loups comme les primates non humains peuvent aussi pratiquer la chasse collective (par exemple, les chimpanzés chassent collectivement les singes colobes avec des rabatteurs et des singes en embuscade, puis partagent le produit de leur chasse). Les grands singes comme les humains “peuvent lire et interpréter les mouvements du visage et des yeux de leurs congénères” ; ils “suivent presque toujours le regard et les mouvements des yeux afin de déterminer ce que les autres observent et pensent”. D’autres travaux néanmoins soulignent le fait que les singes observent davantage l’“orientation de la tête de leurs congénères” tandis que les enfants suivent la direction de leurs yeux, et que cette attention spécifique qui permet de savoir où regarde autrui est facilitée par la sclérotique, qui est le blanc de l’œil permettant de mieux distinguer l’iris. »
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Darwin a émis une hypothèse séduisante à propos du sentiment du beau chez les animaux en lien avec la sélection sexuelle. Les mâles de nombreuses espèces sont dotés de propriétés phénotypiques, produits de la sélection sexuelle, leur permettant d’apparaître séduisants aux yeux des femelles. Patrick Tort a souligné le fait que ces moyens sont parfois permanents (e.g. faisans), parfois éphémères, le temps de la saison des amours (e.g. les bois du cerf se détachent, les plumes magnifiques de l’oiseau de paradis tombent), et parfois purement extérieurs et artefactuels (e.g. cas de la construction sophistiquée du berceau nuptial par le jardinier satiné, avec des décorations et des peintures). Dans les deux derniers cas, il y a comme une “autonomisation du symbolique” qui prendra chez l’homme un caractère strictement artéfactuel. (Cf. Darwin, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, 1871). »
Slogan ancien, slogan moderne
Taille originale : 29,7 x 21 cm

mardi 2 janvier 2024

Une immense imposture

Les yeux au ciel
Taille originale : 50 x 29,7 cm et 29,7 x 21 cm
« Vous autres poètes avez fait de l’amour une immense imposture : ce qui nous échoit semble toujours moins beau que ces rimes accolées comme deux bouches l’une sur l’autre. Et pourtant, quel autre nom donner à cette flamme ressuscitant comme le Phénix de sa propre brûlure, à ce besoin de retrouver le soir le visage et le corps qu’on a quittés le matin ? Car certains corps, frère Henri, sont rafraîchissants comme l’eau, et il serait bon de se demander pourquoi les plus ardents sont ceux qui rafraîchissent le plus. »
Espaces hétérogènes
« Elle ne leva pas les yeux sur lui au cours de la journée mais le servait abondamment aux repas avec une sorte de sollicitude grossière. Il verrouilla sa porte la nuit venue, et entendit les lourds pas de la servante s’éloigner après qu’elle eut sans bruit essayé le loquet. Elle ne se comporta pas le lendemain envers lui différemment de la veille ; il semblait qu’elle l’eût une fois pour toutes installé parmi les objets qui peuplaient son existence, comme les meubles et les ustensiles de la maison du médecin. Par mégarde, plus d’une semaine plus tard, il oublia de verrouiller sa porte : elle entra avec un sourire niais, troussant haut ses jupons pour faire valoir ses pesants appas. Le grotesque de cette tentation eut raison de ses sens. Jamais n’avait éprouvé ainsi la puissance brute de la chair elle-même, indépendamment de la personne, du visage, des linéaments du corps, et mème de ses propres préférences charnelles. Cette femme qui haletait sur son oreiller était une Lémure, une Lamie, une de ces femelles de cauchemar qu’on voit sur les chapiteaux d’église, à peine apte, semblait-il, à se servir du langage humain. En plein plaisir, pourtant, une kyrielle de mots obscènes, qu’il n’avait plus eu l’occasion d’entendre ni d’employer en flamand depuis l’âge de l’école, s’échappaient comme des bulles d’air de cette bouche épaisse ; il la bâillonnait alors d’un revers de main. Le matin suivant, la répulsion prit le dessus ; il s’en voulait de s’être commis avec cette créature comme on s’en veut d’avoir consenti à coucher dans un douteux lit d’auberge. Il n’oublia plus de s’enfermer chaque soir. »
« Tanquam membrum putridum et fetidum »
« Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l'humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. »