vendredi 26 août 2022

Un plaisir un peu plus secret

ces orbes de chair tendre et rose…
« Prisez-vous la beauté, frère Henri ?
— Oui, dit le Flamand. Féminine. Anacréon est bon poète et Socrate fort grand homme, mais je ne comprends point qu’on renonce à ces orbes de chair tendre et rose, à ces grands corps si plaisamment différents du nôtre où l’on entre comme des conquérants pénétrant dans une ville en joie fleurie et pavoisée pour eux. Et si cette joie ment et ce pavois nous trompe, qu’importe ? Ces pommades, ces frisures, ces parfums dont l’emploi déshonore un homme, j’en jouis par le truchement des femmes. Pourquoi irais-je chercher des venelles dérobées, quand j’ai devant moi une route au soleil où je puis me pousser avec honneur ? Fi de ces joues qui cessent vite d’être lisses, et s’offrent l’amant bien moins qu’au barbier !
— Moi, dit Zénon, je goûte par-dessus tout ce plaisir un peu plus secret qu’un autre, ce corps semblable au mien qui reflète mon délice, cette agréable absence de tout ce qu’ajoutent à la jouissance les petites mines des courtisanes et le jargon des pétrarquistes, les chemises brodées de la Signora Livia et les guimpes de Madame Laure, cette accointance qui ne se justifie point hypocritement par la perpétuation de la société humaine mais qui naît d’un désir et passe avec lui, et à quoi, s’il s’y mêle quelque amour, ce n’est point parce que m’y ont disposé à l’avance les ritournelles en vogue… »

mercredi 24 août 2022

Brave Margot

Prendre les choses en main
« Cependant, tandis qu’il me débitait de si belles choses, il faisait l’inventaire de mes appas les plus secrets ; et l’esprit de débauche réveillant petit à petit sa luxure, le rufian* me mit en main ses déplorables reliques. Ce fut alors que j’eus besoin de tout le savoir que j’avais puisé dans l’école de Madame Florence, pour ressusciter cette masse informe, et la retirer de l’état d’anéantissement où elle était, insensible et rebelle aux secousses que je lui donnais, et au frottement de ses deux lâches témoins, que je pressais l’un contre l’autre ; je commençais à désespérer du succès de mon travail, lorsque je m’avisai, pour dernière ressource, de lui chatouiller le périnée, et de le socratiser** du bout du doigt. L’expédient réussit à miracle. La machine assoupie sortant tout à coup de son repos léthargique se développa d’une façon si merveilleuse qu’il me parut qu’elle prenait un nouvel être. Alors, pour profiter de cet instant précieux, et couronner mon chef-d’œuvre, je remuais le poignet avec tant de souplesse et de rapidité, que le monstre vaincu par les plus délicieuses sensations répandit un torrent de larmes dans l’excès de sa joie. »

* Débauché, souteneur, homme de mauvaise vie
** Sodomiser, pénétrer l’anus
Dispositif muséal
taille originale : 21 x 29,7 cm
& 29,7 x 21 cm

dimanche 21 août 2022

Noble dame

Banned books
« La Régente vêtue de noir, menue et ronde, avait la pâleur triste des veuves, et des lèvres serrées de bonne ménagère qui surveille, non seulement le linge et la desserte, mais l’État. Ses panégyristes vantaient sa piété, son savoir, la chasteté qui lui avait fait préférer aux secondes noces les mélancoliques austérités du veuvage ; ses détracteurs l’accusaient tout bas d’aimer les femmes, tout en convenant que ce goût est moins scandaleux chez une noble dame que pour les hommes le penchant contraire, car il est plus beau, déclaraient-ils, pour la femme d’assumer la condition virile que pour un homme d’imiter la femme. Les vêtements de la Régente étaient somptueux, mais sévères, comme il sied à une princesse qui se doit de porter les marques extérieures de sa situation royale, mais qui se soucie peu d’éblouir ou de plaire. Tout en grignotant des friandises, elle écoutait d’une oreille complaisante Henri-Juste mêler à ses compliments de cour des plaisanteries gaillardes, en femme pieuse, mais point prude, qui sait entendre sans broncher de libres propos d’hommes. »
Taille originale : 29,7 x 42 cm
& 29,7 x 21 cm

jeudi 18 août 2022

Sous le pied d'une femme

Emprise
Élévation

« Il eut un autre ricanement amer.
— Seulement... seulement, Groucha, hein, Groucha, mon Dieu ! Elle, pourquoi elle se torture, elle ! s’exclama-t-il soudain, les larmes aux yeux. Elle me tue, Groucha, ça me tue de penser à elle, ça me tue ! Elle est venue tout à l’heure.
— Elle m’a raconté. Tu lui as fait beaucoup de peine aujourd’hui.
— Je sais. Que le diable m’embroche pour mon caractère. J’ai été jaloux ! Quand elle est repartie, je me suis repenti, je l’ai embrassée. Je ne lui ai pas demandé pardon.
— Mais pourquoi tu n’as pas demandé ?
Mitia eut soudain un rire presque joyeux.
— Dieu te préserve, mon gentil petit garçon, de demander pardon pour une faute à la femme que tu aimes ! Surtout à la femme que tu aimes, surtout, aussi coupable que tu puisses être devant elle ! Parce que, les femmes, mon vieux, le diable sait ce qu’il en est. Mais moi, je m’y connais ! Essaie, tiens, d’avouer ta faute devant une femme, “je suis coupable, bon, pardon, excuse-moi” c’est là que tu vas subir une grêle de reproches ! Jamais, elle ne te pardonnera franchement et simplement, elle te réduira d’abord à l’état de larve, elle te reprochera même ce que tu n’as pas fait, elle re prendra tout, elle n’oubliera rien, elle en sortira même de derrière les fagots, et c’est seulement là qu’elle pardonnera. Et encore, pour la meilleure, la meilleure d’entre elles ! Elle te grattera toutes les dernières croûtes, et elle te les versera sur la tête, tellement, je te dis, elles ont l’esprit carnassier, de la première à la dernière, oui, ces anges-là, sans lesquels, nous, on ne peut pas vivre ! Tu vois, mon mignon, je te dis une chose claire et nette : tout honnête homme doit vivre sous le pied d’une femme. Telle est ma conviction; ce n’est pas une conviction, c’est un sentiment. L’homme doit être généreux, et ce ne n’est pas ça qui souillera l’homme. Même un héros, ça ne le souillera pas, même César ! Bon, mais quand même, ne demande jamais pardon, jamais, pour rien au monde. Souviens-toi de cette règle : ton frère Mitia te l’a donnée, lequel s’est perdu pour une femme. Non, je revaudrai ça à Groucha, d’une façon ou d’une autre, sans demander pardon. Je la vénère, Alexéï, je la vénère ! Sauf qu’elle ne le voit pas ! Pour elle, il y a toujours trop peu d’amour. Et elle me ronge, elle me ronge par l’amour. Rien à voir avec moi ! Avant, ce qui me rongeait, c’était cette façon infernale de louvoyer, mais, maintenant, j’ai avalé toute son âme dans mon âme, et c’est par elle que je suis devenu un être humain ! Est-ce qu’on nous mariera ? Sans ça, je mourrai de jalousie. Tous les jours, j’en rêve… »
Taille originale : 29,7 x 21 cm
taille originale : 21 x 29,7 cm
Coin négligé
Voie de garage

samedi 13 août 2022

Une société de petits mâles bourgeois

Panique morale ?
Taille originale : 21 x 29,7 cm
& 21 x 29,7 cm
« Rares pourtant sont ceux qui, dans leurs amours vénales, assouvissent, comme Alfred, une véritable misogynie. Ce qui frappe d’abord c’est la hâte qu’il a de raconter ses prouesses et le soin qu’il met à les détailler. […] Faut-il en conclure que le jeune homme s’empressait de “tout dire aussitôt après comme si la proximité du plaisir en permettait encore le partage” ? En certains cas, ce n’est pas douteux […] mais, la plupart du temps, il n’y a rien à partager : la sécheresse de ces comptes rendus n’invite guère à rêver. Le ton en est volontairement grossier ou trahit une intention dépréciative : la recherche de l’ignoble et du grotesque est délibérée : il s’agit avant tout de faire rire de l’accouplement, de le dévaloriser, de refuser sa moite intimité et de l’offrir publiquement en spectacle à une société de petits mâles bourgeois. Il est clair, en effet, d’après maints passages, qu’Alfred ne réservait pas au seul Gustave ses confidences ; ses anciens camarades et les jeunes Rouennais de son entourage y avaient droit eux aussi. Et, comme tous les garçons fréquentaient les prostituées, échangeaient des adresses, se passaient et se repassaient les “petites filles” dont ils avaient usé, ce n’était pas Alfred qui faisait les frais de cette publicité mais bien les femmes dont il parlait. Ses récits d’ailleurs trahissent le sadisme. “Ayant récolté une catin sur le trottoir, je n’hésitai pas à la suivre chez elle. Je la fis dénuder mais comme ver et lui promis cinq francs si elle avalait la décharge après m’avoir sucé. Il faut bien encourager les dispositions... Je ne m’en tins pas là et ma cochonnerie fut telle que je fis à cette fille l’épée de la Charlemagne. Il va sans dire que je la branlai. Malgré la crainte de la vérole, je tirai mon coup et sans capote. Ma prodigalité fut telle que je donnai 25 francs à la garce… Rentré chez moi, je me frictionnai d’eau de Saturne, étonné de mon imprudence. J’écrivis ensuite au nommé Flaubert. Adieu, vieux pédéraste. Es-tu content de moi ? (Hernani) — Alfred Caligula.” Le fils Le Poittevin, le bourgeois qui se met en frac pour faire ses visites à Fécamp se plaît à contraindre la “catin”, la “garce” qu’il a “récoltée” à se soumettre pour de l’argent à ses caprices. Voyez comme il fait d’elle l’esclave de sa “cochonnerie” et comme il se réjouit de sa toute-puissance : “Je la fis dénuder mais comme ver.” Comme ver : qu’est-ce qu’une putain nue sinon un long ver blanc ? Et quel mépris dans le : “Il va sans dire...” Entendons : cela va de soi puisque j’étais le maître et qu’elle était ma chose ; il se dépeint, somme toute, tournant et retournant ce corps vivant comme un instrument inerte. Suivent la peur et le dégoût : il se frictionne d’eau de Saturne et s’inquiète : et si ce trou de vidange était vérolé ? la malheureuse est définitivement détruite : elle était l’outil de ses plaisirs ; dans son souvenir, elle se change en charogne. Le ton de la lettre, persifleur et hautain, n’est pas supportable et l’on jugerait son sadisme assez répugnant s’il n’était, à le prendre pour ce qu’il se donne, incompréhensible : pourquoi ce fils de famille s’acharnait-il à avilir une fille qu’il tient d’avance pour avilie ? et le beau triomphe que d’obtenir d’elle contre argent comptant les “fantaisies” qu’elle a cent fois accordées à d’autres pour le même prix ? Les forfanteries d’Alfred ne se comprennent que si, en la personne de cette prostituée, c’est la femme qu’il avilit imaginairement. La femme, c’est-à-dire la bourgeoise. Sa mère. S’il réclame obscurément, dans la passivité de sa chair, la répétition des caresses maternelles, ce n’est point d’une Génitrix souveraine qu’il les attend mais d’une mère coupable et humiliée. La raison en paraît claire : Alfred le bien-aimé n’a pas eu la triste enfance du cadet Flaubert ; mâle et premier-né, il a connu un âge d’or : celui des amours enfantines dont l’épouse du filateur était l’unique objet ; mieux : jusqu’à cinq ans, il a été fils unique ; Laure est née en 1821 ; c’est dire qu’il a eu sa ration de tendresse. La rancune est venue après, pour des motifs que nous ignorons : mère trop belle, trop aliénée à sa beauté ; trop mondaine ? Ou sa sœur lui fut-elle préférée ? En 1827, quand on le met en pension, la rupture est consommée […] Une autre lettre — publiée celle-là — montre à l’évidence que son goût pour les “garces” est lié au désir de souiller son enfance. »
Femme puissante ?

mercredi 10 août 2022

Accrochée à des chaînes

Double bind?
Taille originale : 29,7 x 21 cm
« En écho aux châtiments physiques, les agressions iconoclastes [en Europe occidentale au XVIe siècle] témoignèrent d’une attention croissante prêtée à la forme de l’iconoclasme. Le Landsmuseum de Trèves abrite une statue de Vénus ou de Diane qui, accrochée à des chaînes, fut livrée au fil des siècles aux jets de pierre des pèlerins, afin d’être transformée de cette manière en un torse. L’agression iconoclaste se déroulait ici sous la forme d’un éloquent processus de déformation. En témoigne par exemple une Vierge à l’enfant mutilée par des Hussites nous venant du Hradčany, le château de Prague, mutilée comme s’il s’était agi de mettre à nu le vide se dissimulant sous le visage. Des agressions menées contre des sculptures qui, après avoir été détruites, devaient être enterrées devant la collégiale protestante Saint-Vincent de Berne, témoignent elles aussi d’une réflexion consciente sur la forme de l’acte iconoclaste. Dans la mesure où ces sculptures se voyaient infliger des types de châtiments couramment utilisés, il fut élaboré un code de l’iconoclasme édictant des principes de mutilation traitant les images comme de criminels. Le portrait d’une abbesse de la cathédrale de Münster, dont le visage est littéralement recouvert de traces de coups, est l’un des témoignages les plus saisissants de cette pratique. »

vendredi 5 août 2022

La sacralisation de l’art

Abnégation
Taille originale : 29,7 x 21 cm
« En fait, il s’est produit un changement très important au XVIIIe siècle, quand les gens ont commencé à parler de “l’art” dans un nouveau sens. Jusque-là, on parlait de peinture, de sculpture, mais on ne parlait pas de “l’art” avec cette signification générale. Cela n’a vu le jour qu’avec le développement de l’esthétique et la sécularisation des comportements : quand la contemplation est devenue quelque chose d’analogue à la prière. M. H. Abrams a écrit récemment de magnifiques études dans lesquelles il montre comment l’idée que l’art élève l’âme, que l’art est sacré, est apparue au XVIIIe siècle.
C’est important du point de vue de l’historien. J’ai dû aborder ces questions à plusieurs reprises, quand j’ai écrit sur Léonard de Vinci : il y a toutes ces considérations assommantes pour savoir comment il a combiné l’art et la science. Mais il n’aurait certainement pas dit qu’il combinait l’art et la science puisqu’il ne savait pas ce qu’était “l’art” dans ce sens-là. Pour lui, il était simplement question de connaissance, d’essayer de comprendre la réalité. »
L’amour badine
Pénitence et repentance