mercredi 23 mars 2022

Sens additionnel…

Le pouvoir performatif de l'insulte
Papiers collés à regarder de près
« Par opposition à la sémantique, qui s’occupe du sens des phrases identifié à leur contenu représentatif, la pragmatique étudie leur utilisation par les sujets parlants ; telle est du moins la façon dont, traditionnellement, on distingue ces deux disciplines. Selon Charles Morris, inventeur de la distinction, la syntaxe, la sémantique et la pragmatique ont pour objet respectivement la relation des signes entre eux, la relation des signes à ce qu'ils représentent, et la relation des signes à leurs utilisateurs. Lors d'une énonciation, une phrase est adressée, par un locuteur, à un auditeur, et elle se rapporte à un état de choses : la pragmatique s'intéresse à ce qui a lieu sur l'axe locuteur-auditeur, c'est-à-dire à l'échange de paroles comme activité intersubjective, comme pratique sociale ; elle étudie ce qu'on fait avec les mots, alors que la sémantique étudie ce qu'ils signifient, ce dont on parle en les employant.
À vrai dire, Morris n’entendait pas, à l’origine, localiser le sens d’un signe dans sa relation à l’objet qu’il représente : la relation du signe à l'objet n'était, dans sa conception initiale, qu'une dimension du sens, une autre dimension du sens étant constituée par la relation du signe à ses utilisateurs. On pouvait ainsi distinguer le sens sémantique et le sens pragmatique : un énoncé non seulement représente un certain état de choses, mais de plus il exprime les pensées et les sentiments du locuteur, et il suscite ou évoque chez l'auditeur des sentiments ; cette partie du sens d'un signe qui a trait aux interlocuteurs — ce que le signe “exprime” ou ce qu'il “évoque” — est son sens pragmatique, distinct de son contenu représentatif, ou sens sémantique.
Le sens d'une phrase est son sens sémantique, c'est-à-dire l'état de choses qu'elle représente, et l'énonciation de cette phrase par une certaine personne dans un certain contexte véhicule un sens additionnel qui varie selon les situations d'énonciation et ne saurait être attribué à la phrase elle-même. »
Taille originale : 21 x 29,7 cm
Body Art

samedi 19 mars 2022

Gêne, malaise et trouble

Connaître et reconnaître
Taille originale : 21 x 28,2 cm
« L’absence de belles nudités dans les œuvres d’art du XVIIe siècle, qui a pu étonner les historiens, s’explique d’abord par cette austérité imposée par le nouveau climat religieux. Mais une autre raison a dû intervenir. Après une longue période durant laquelle l’effort des artistes s’est orienté vers une définition des règles de la beauté, alors que la belle chair, au moins dans les tableaux mythologiques, continuait à retenir l’attention gourmande des peintres et du public, une tentation inverse a commencé à se faire jour : celle qui substituait à la glorification de l’homme ou de la femme jeunes, à un érotisme aimable et de bonne compagnie, la suggestion brutale de la matérialité du corps, fait d’humeurs et de graisses, sécrétant odeurs et suintements, et aux fonctions organiques inavouables. Que cette tentation ait peu de rapports avec une motivation religieuse, mais qu’elle révèle un versant de la sensualité exprimée en peinture, paraît une évidence. En Italie, en Angleterre, en France, se manifeste chez les écrivains de la même époque — les XVIe et XVIIe siècles — une réaction identique contre les excès d’une littérature qui fait de la femme une déesse intouchable, qu’il s’agisse de concettismo, de gongorismo, d’euphuisme, de bembisme enfin. L’Irlandais Jonathan Swift résumera plus tard par une formule hardie l’exaspération suscitée par cette idéalisation du corps féminin, à propos de l’Anglaise Elizabeth Ière, la reine vierge, baptisée Cynthia — la Dame de la Mer — par les poètes du temps : “Yes, but Cinthya pisses and Cynthia shits”… Les artistes se livrent au même processus de désacralisation, quand ils remplacent la nudité parée d’artifices par un “nu” véritable, c’est-à-dire un corps non seulement déshabillé, mais livré aux regards tel qu’il est, capable, en bref, d’inspirer la gêne, le malaise et, avec eux, le trouble. »
Une interaction réussie ?

mercredi 16 mars 2022

La sélection muséale des œuvres d'art

Art ou technique ?
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Un fait est certain : les musées du XIXe siècle ont failli à leur devoir d'offrir aux visiteurs la possibilité de définir leur propre conception du goût, ni plus ni moins du reste que les musées d'aujourd'hui, comme le savent bien tous ceux qui, il n'y a pas si longtemps encore, ont cherché à voir dans ces mêmes musées les tableaux non conformes à l'interprétation de l'art du XIXe siècle divulguée par les manuels. Mais était-ce bien là leur devoir ? Beaucoup de gens estimaient au contraire que la fonction du musée était d'éduquer plutôt que d'informer, d'imposer le goût et non d'en mettre en question les fondements. Un musée, répétait-on, n'est pas une bibliothèque : au contraire, selon un polémiste virulent, “la création d'une galerie nationale constitue de la part du gouvernement qui l'entreprend une reconnaissance formelle de l’influence déterminante que les Beaux-Arts sont appelés par la providence à exercer sur l'humanité. La seule manière pour le législateur de rendre cette influence effective est d'émanciper autant que faire se peut les principes du goût le plus valide et de l'art véritable des caprices et des fluctuations de la mode. Par conséquent, la sélection des œuvres d'art est un problème d'importance nationale”.
Pour conclure, nous trouverons une illustration éclatante de cette attitude en jetant un coup d'œil aux débats d'un autre comité chargé d'examiner la gestion de la National Gallery. Nous sommes en 1857; Ruskin se voit poser la question suivante : “Vous faites beaucoup pour l'éducation artistique des classes laborieuses. À la lumière de votre expérience, pouvez-vous nous dire ce que cette catégorie de gens aime et rejette en matière d'art, et si, dans l'ensemble, les personnes dénuées d'instruction préfèrent la peinture antérieure à Raphaël, ou celle qui vient après? Prenons par exemple l'école bolonaise [du XVIIe siècle] et la première école florentine : laquelle des deux, selon vous, serait susceptible d'intéresser le plus un ouvrier ?” Et Ruskin de répondre : “Je ne sais que vous dire, étant donné qu'on ne permettrait jamais à mes ouvriers de regarder un tableau de l'école bolonaise”. »
Éduquer ou informer ?
Taille originale : 29,7 x 21 cm
Autre version muséale

lundi 14 mars 2022

L'honneur de l'homme

Intromission en suspens
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Elle avait les yeux pleins de larmes et je suis allé chercher du papier cul pour les torcher.
— Qu’est-ce que tu vas devenir sans moi, Momo ?
— Je vais rien devenir du tout et puis c’est pas encore compté.
— Tu es un beau petit garçon, Momo, et c'est dangereux. Il faut te méfier. Promets-moi que tu vas pas te défendre avec ton cul.
— Je vous promets.
— Jure-le-moi.
— Je vous jure, Madame Rose. Vous pouvez être tranquille de ce côté.
— Momo, rappelle-toi toujours que le cul, c'est ce qu'il y a de plus sacré chez l'homme. C’est là qu'il a son honneur. Ne laisse jamais personne t’aller au cul, même s'il te paye bien. Même si je meurs et si tu n’as plus que ton cul au monde, ne te laisse pas faire.
— Je sais, Madame Rose, c'est un métier de bonne femme. Un homme, ça doit se faire respecter.
On est resté comme ça une heure à se tenir la main et ça lui faisait un peu moins peur. »
Sous-sol muséal
Au bord de l'abîme

dimanche 13 mars 2022

Support/surface

 Figure féminine, grotte Bürgermeister (Europe du nord)
Période mésoapocalyptique (40 000 ans avant l’ère de la Sagesse)
« Les Préhistoriques ont animé les espaces et les volumes souterrains et porté les parois, les sols et les plafonds au rang d'œuvres de la nature, de symboles minéraux vivants pleinement intégrés dans leurs projets conceptuels. Ainsi l’architecture sémantique des dispositifs pariétaux s'est couplée à l'architecture naturelle des cavités. La morphologie des parois, leurs accidents (fissures, reliefs, concrétions, etc.) et leurs caractéristiques structurelles et colorimétriques ont dû jouer un rôle fondamental dans la conception et la réalisation des œuvres, largement contraintes par les lueurs vacillantes des lampes et des torches. »
Figures masculine et féminine dessinées en noir
dans une cavité naturelle
« La distribution et l'organisation spatiales des œuvres relèvent aussi de choix d'ordre topographique et morphologique. L'utilisation des reliefs naturels, qu'ils soient manifestes ou au contraire très discrets, crée un lien esthétique ou formel, mais également sensuel entre le support, qui participe à l'œuvre car il la suggère, et l'image produite par la main de l'homme, mais inspirée ou contrainte par la pierre. Mais ne peut-on pas spéculer un instant sur ces formes naturelles et supposer qu'elles auraient pu être à l'origine même des premières représentations figuratives? Peut-on imaginer qu'elles aient éveillé l'intérêt des premiers artistes en détournant leur regard vers le monde souterrain et ses formes suggestives ? Les plus discrètes d'entre elles auraient ensuite été repérées et sciemment recherchées pour entretenir et sceller ce lien intime avec le support et faire émerger le vivant de sa surface et de ses profondeurs. Mais de tout cela nous n’avons à ce jour aucune preuve. Les faits sont têtus et muets. »
Détail de la figure masculine esquissée
sur le plafond de la grotte
« L’intégration de toutes les parties topo-morphologiques des grottes, y compris les plafonds et les sols, est une constante sans cesse réinventée par les artistes en fonction des multiples configurations offertes par chaque cavité et des pressions que leur topographie respective exerce sur la pensée, l’œil et la main du créateur. »
Le sol de la grotte avec des pièces de mobilier sculptées
Relevé par l'auteur des différentes figures
sur les trois panneaux de la grotte

samedi 12 mars 2022

7 polygames

Héroïne du désir
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« À beaucoup d'égards, le grand phénomène de la chasse aux sorcières, qui, par ses multiples aspects (maléfice, satanisme, possession) et ses images fortes (la sorcière, le Diable), semblait très exceptionnel, paraît de plus en plus aux historiens devoir être inséré dans un contexte plus large. Pour nous, il n'est qu'un des aspects d'une persécution plus générale, d'une volonté plus ou moins consciente de répression, d'autoflagellation et de purification vertueuse qui agita presque en permanence l'Occident du IIe millénaire. “Il s'est bien agi d'une normalisation”, reconnaît Jean Delumeau. Par normalisation, il faut entendre réduction à la norme, au même, tous ceux qui dépassent du moule étant exclus. Or, les normalisations, l'histoire de l'Europe en est un sanglant recueil. Que de fois la prétendue vertu conduisit à la terreur… On normalisa chaque fois qu'on voulut discipliner les conduites, unifier les croyances, faire la part belle à l'absolutisme catholique ou à d'autres. Dans ces moments- là, l'Occident fit assez peu de différences entre ses prétendus ennemis, hérétiques, juifs, sorcières ou autres. Un exemple : au cours de l'autodafé de 1560 à Murcie, les 48 condamnés se répartissaient ainsi : 22 juifs ou marranes, 12 islamisants, 15 luthériens, 7 polygames, 2 blasphémateurs. Tous ces adversaires de Dieu, c'est clair, étaient en même temps des maléfiques, et d'ailleurs en enfer, Luther, Mahomet et quelques autres ne pouvaient qu'être les amis du Diable. »
Orientation scolaire
Taille originale : 21 x 29,7 cm

vendredi 11 mars 2022

Héritiers

Sens dessus dessous
« Les résultats des enquêtes effectuées dans les différents pays du monde occidental sur les caractéristiques sociales de la population artistique présentent, du point de vue des tendances lourdes, plus de ressemblances que de différences — dès lors que les indicateurs adoptés pour caractériser la pratique artistique sont identiques.
Dans tous les pays occidentaux, les artistes plasticiens se recrutent majoritairement dans les catégories sociales élevées et, dans une proportion importante, ils ont vécu dans des familles d’artistes. Les artistes ont, en majorité, reçu une formation artistique, et le décalage est partout important entre le nombre d’artistes qui ont suivi un enseignement artistique et le nombre de ceux qui ont obtenu un diplôme sanctionnant une activité artistique. Il n’existe pas de discrimination sexuelle à l’entrée dans la carrière artistique ; par contre, les chances de réussite varient très significativement en fonction du sexe. Enfin, dans tous les pays occidentaux, la population artistique est d’un âge élevé, supérieur à celui de la population active — et ce, en dépit de quelques réussites spectaculaires de jeunes artistes. »
Taille originale : 21 x 29,7
« Les artistes se recrutent surtout dans les catégories sociales élevées (leur recrutement est comparable à celui des professions libérales). Moins de 10 % d’entre eux ont un père ouvrier, et près de la moitié sont fils de cadres supérieurs, artistes ou membres des profession intellectuelles. Les artistes sont des héritiers non seulement parce qu’ils sont issus proportionnellement davantage des classes supérieures que des classes populaires, mais aussi parce qu’ils ont vécu dans une famille d’artistes. »
À la renverse
« Les femmes — influence de la formation reçue dans des écoles de faible niveau ou/et intériorisation de l’image sociale traditionnelle de la féminité artistique — font, pour une majorité d’entre elles, des œuvres qui les situent dans la zone floue entre amateurisme et professionnalisme, et qui assurent éventuellement leur succès sur les marchés locaux sans être en mesure de leur procurer une notoriété nationale ou internationale. Les femmes sont en effet moins nombreuses que les hommes à pratiquer des disciplines artistiques multiples. Elles se cantonnent, pour la majorité d’entre elles, dans le secteur de la figuration traditionnelle, et elles sont moins nombreuses que les hommes à opter pour les mouvements d’avant-garde. Leurs pratiques artistiques et leurs choix esthétiques contribuent à éloigner les femmes du niveau le plus élevé de la réussite sociale. »

mardi 8 mars 2022

L'échelle du plaisir

Fashion Week
Taille originale : 27,7 x 21 cm
« Le directeur est inlassablement aiguillonné par sa chair et les inconvenances de la presse. Il prend des libertés, aime par ex. uriner à la manière des chiens contre sa femme après avoir fait d’elle et de ses vêtements une petite montagne, afin que plus vertigineuse soit la chute. Vers le haut l’échelle du plaisir ne connaît pas de limites, nul besoin de juge en ce domaine. Cet homme utilise et barbouille sa femme comme le papier qu’il produit. Il fait chez lui la pluie et le beau temps, extirpe, avide, sa queue du sac avant même d’avoir fermé le sas de la porte d’entrée. La lui met dans la bouche, encore toute chaude de chez le boucher, à lui faire grincer les mâchoires. Même lorsque des invités au cours d’un dîner viennent éclairer son âme, il lui chuchote à l’oreille quelque futilité concernant ses parties génitales. Grossier, il porte la main sur elle, sous la nappe, travaille son sillon, et devant les invités fait faire sa petite promenade à sa femme qui tire sur sa laisse dans sa crainte aux abois. Elle ne doit pas pouvoir se passer de lui, c’est pourquoi il lui tient la bride. Elle ne doit pas pouvoir penser à autre chose qu’à l’âcre et cuisante tisane qu’il pourrait lui verser. Devant des invités, il glisse la main dans son corsage, rit, et passe les cochonnailles. Tous, n’est-ce pas, ont besoin de son papier, et le client satisfait est roi. Et qui, d’ailleurs, ne comprendrait la plaisanterie ? »
Travailleuses essentielles

samedi 5 mars 2022

400 messages ou 40 000 ans

Vue générale du tunnel Matuvu
Période mésoapocalyptique (40 000 ans avant l’ère de la Sagesse)

 

Vue gauche du tunnel :
deux phallus archaïques

 

Vue centrale du tunnel :
phallus et vulve primitifs

 

Vue droite du tunnel :
vulves et coït (exceptionnellement représenté)

 

Il ne faut pas confondre dans les réalisations du paléolithique l’art pariétal qui s’exerce dans les cavernes — des lieux reculés, obscurs, difficiles d’accès, sans doute secrets — et l’art rupestre que l’on trouve sur des parois extérieures (éventuellement protégées par un surplomb rocheux) visibles par toutes et tous, intégrés au paysage environnant et que l’on parcourt de façon libre (alors que la grotte impose un cheminement plus ou moins contraint). L’art pariétal s’est épanoui (si l’on tient compte des cavernes aujourd’hui découvertes) il y a environ 40 000 ans et est fortement localisé essentiellement en Europe, notamment dans la région franco-cantabrique L’art rupestre se retrouve quant à lui sur tous les continents.

Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’art mobilier de l’époque préhistorique qui regroupe des dizaines de milliers d’objets (actuellement retrouvés) facilement transportables, objets utilitaires plus ou moins décorés ou objets sans fonction pratique apparente comme les célèbres Vénus paléolithiques.

« Si l’art pariétal est strictement localisé dans l'espace, il est inégalement réparti dans le temps. Les grottes ornées attribuées aux périodes antémagdaléniennes (de l'Aurignacien au Solutréen) sont beaucoup plus rares que les grottes magdaléniennes. Quelles que soient les raisons qui ont motivé l'appropriation des milieux souterrains, il est évident que porter un geste artistique dans des grottes profondes constitue un acte original, presque anormal ou contre-nature, dont la résonance symbolique a pu être puissante. À l'opposé des objets, qui sont ancrés dans un quotidien prosaïque où les activités techniques semblent dominantes, l'univers des grottes constitue le terrain de l’ailleurs et de toutes les expériences sensibles. Dans les méandres de la vie nocturne souterraine, secrète et mystérieuse, agissent des forces qui transcendent les individus. Les grottes sont des univers clos aux dimensions multiples, naturellement architecturés, parfois inhospitaliers, souvent d'accès malaisé, toujours éloignés du temps des hommes et la plupart du temps plongés dans une obscurité totale. Ces milieux extrêmes ont vraisemblablement exercé sur ceux qui s'y sont aventurés une grande fascination et ont nourri leur imaginaire.
On peut supposer que les grottes revêtaient des qualités et des propriétés spécifiques dans lesquelles des histoires ou des messages pouvaient prendre corps et se transmettre durablement. Mais il n'est pas naturel de vivre sous terre, sauf à penser que l'expérience souterraine était vécue comme une nécessité fondamentale, la condition par laquelle était confiée à l'éternité, au silence et à l'intimité de la pierre la mémoire des hommes. Si l'environnement de ces hommes a radicalement changé depuis la fin du Paléolithique et si les objets qu'ils ont fabriqués, dont les œuvres d'art, ne nous sont parvenus pour la plupart que sous forme de fragments peu loquaces, les grottes profondes ont conservé une excellente mémoire du passé. Les dessins, les peintures, les gravures et les modelages, qui traduisent les pensées et les croyances les plus profondes, les rêves et la vision du monde de leurs créateurs, ont défié le temps et ses conséquences destructrices. Comme l'écrit Denis Vialou, “les Paléolithiques ont donné à leurs œuvres la durée qui porte la création de génération en génération”. Mais en avaient-ils conscience ? »
Ci-dessous,
Phallus, vulves et coït
Relevés du tunnel de Matuvu
faits par l'auteur
La signification de ces peintures reste mystérieuse.
 
Phallus monté

Phallus courbe

Phallus ruisselant

Vulve ouverte

Vulve mouillée

Coït banal

jeudi 3 mars 2022

Capuchon de sécurité

« Dans la voiture la chaleur est si agréable que le sang luit à travers les corps. Dans la nature s’est fait un grand vide. Au loin, plus un enfant ne s’époumone. Ils braillent à présent, bâillonnés, dans les chambres sévères des chaumières sur lesquelles s’abat la grêle paternelle, en cette heure d’obscurité précoce où les femmes se voient remettre comptant toute la grandeur de l’homme. Dehors le souffle gèle au menton. Cette mère-ci toutefois est activement recherchée par son infâme famille. Son Tout-Puissant, le directeur de l’usine, ce cheval colossal, encore tout fumant du rôti qu’il vient de manger, souhaite démesurément l’enserrer des bras et des jambes, éplucher goulûment son fruit, et la lécher à fond avant que son braquemart lui porte l’estocade. Cette femme est là pour être croquée et grignotée. Il rêve de dépiauter ses bas quartiers et de les avaler encore fumants, arrosés d’un bon jus. Entre ses cuisses, le membre agile attend. Contre les lourdes bourses se presse une toison, un instant, et il déchargera dans la tête inclinée ! Une seule femme suffit quand l’homme enflé d’appétit marche dans le droit chemin. Qu’il aimerait frapper avec ses tripes aux portes de son ventre, histoire de voir s’il y a quelqu’un. Bon gré mal gré il faudra bien qu’elles s’entrouvrent ces lèvres coincées dans une barboteuse rose, et se laissent comparer à d’autres, similaires, explorées en d’autres temps. Car de tous les stades de l’enfance, cet homme en est resté à l’anal et l’oral. Que faire d’autre que se rafraîchir, enlever le capuchon de sécurité, secouer ses boucles et sauter tout joyeux dedans ? Personne ne se perd, pas un son dans l’air. »

L’écrivaine autrichienne met en scène, d’après les critiques des lecteurs ou lectrices, un porc, un prédateur, un phallocrate qui considère sa femme comme un bout de viande. C’est un roman sur l’exploitation, la possession, la soumission d’une femme réduite à pratiquement à l’inexistence : elle est transparente, subissant les assauts brutaux de son mari, silencieuse, soumise à un pur rapport de forces comme le sont les ouvriers exploités par l’infâme mari et patron d’usine. À première vue, on pourrait croire qu’il s’agit, pour cette écrivaine qui se dit communiste et féministe, d’une dénonciation du pouvoir, de la domination, de l’exploitation, et que toute sa sympathie va à la pauvre victime. Mais celle-ci n’existe pas, n’a aucune présence, n’est qu’une chair muette, un trou que son maître ramone brutalement sans égard ni considération. Mais en fait, il n’en est rien. C’est le maître qui fascine l'écrivaine, c’est à lui qu’elle s’identifie parce qu’il est fort, qu’il prend ce dont il a envie, qu’il jouit autant que faire se peut, qu’il est complètement égoïste, que seul compte pour lui son propre plaisir. Ce n’est pas un gagne-petit, il ne se retient pas, il assouvit ses pulsions, rien ne le retient (si ce n’est la peur du Sida…), il n’a pas peur, il commande, rien ne sert de discuter.

Attention, c’est de la littérature, mais il ne faut pas croire que c’est une vengeance littéraire dirigée contre le père, contre la scandaleuse domination masculine. Car ce qui fait jouir l’écrivaine, c’est de pouvoir prendre la place du maître abject tout le temps de cette écriture. Il faut montrer le porc, l’abjection, décrire l’infâme en action, mais le plaisir sinon la jouissance est bien là, dans cette description dégueulasse d’un maître égoïste dont elle prend ainsi la place. Maintenant elle sait ce que c’est que d’être le maître. Enfin, elle croit savoir, car ce maître est bien sûr sa propre création, c’est celui qu’elle voudrait être, qu’elle aurait voulu être si le destin l’avait mise à sa place. Elle jouit d’imaginer ce que peut être la jouissance du porc.

C’est l’inverse de la position littéraire de Sade. On croit généralement que le marquis était sadique (ce qu’il était effectivement) mais, quand il écrit Justine (dont il a donné trois versions de plus en plus développées), il prend sa place, il veut partager ses infortunes, ressentir son effroi, son dégoût, éprouver dans son âme et dans sa chair — les libertins se font fouetter pour bander — toutes les infamies qu’ils font subir à pauvre héroïne. Il est de son côté. Il imagine être Justine en particulier quand elle est confrontée au spectacle des malheureuses livrées à leurs bourreaux avant qu’elle-même connaisse un sort similaire. Il veut ressentir le même tremblement, être violenté comme elle et être soumis à la toute-puissance du désir de ses maîtres. Et tous les discours des libertins qui justifient philosophiquement les multiples outrages auxquels ils viennent de soumettre Justine n’ont pour effet que de faire éprouver au marquis l’impuissance de Justine, qui est tout aussi bien la sienne propre. Même les ridicules qu’il attribue à sa vertueuse héroïne sont les siens, car il sait qu’il lui est impossible de retrouver l’innocence naïve de la jeunesse. Il rit de lui-même, libertin cruel qui voudrait jouer à la donzelle.

Pollution et jouissance

« Ces philosophes sont tristes, sévères, durs ; nous serons gais, doux, complaisants. Tout Âme, ils font abstraction de leur corps ; tout corps, nous ferons abstraction de notre Âme. Ils se montrent inaccessibles au plaisir et à la Douleur ; nous nous ferons gloire de sentir l’un et l’autre. S’évertuant au sublime, ils s’élèvent au-dessus de tous les événements, et ne se croient vraiment hommes, qu’autant qu’ils cessent de l’être. Nous, nous ne disposerons point de ce qui nous gouverne ; nous ne commanderons point à nos sensations ; avouant leur empire, et notre esclavage, nous tâcherons de nous les rendre agréables, persuadés que c’est là où git le Bonheur de la vie. »
Théorie critique
Taille originale : 21 x 36 cm
« Quoique le bonheur ne doive pas être placé en général dans la volupté des sens, il y a cependant de fortunés mortels pour qui c’est un besoin si urgent que, sans cet acte vénérien qu’il leur faut répéter tous les jours, ils seraient malheureux et fort à plaindre. Au contraire, donnez une ample carrière à leur luxure, ils sont heureux, non seulement dans la volupté et par la volupté même, mais dans le sein de la débauche, de la folie et du désordre. Quelle preuve en demandez-vous ? Leurs jours s’écoulent, presque sans qu’ils s’en aperçoivent, parce qu’ils sentent vivement et ne réfléchissent point. Ils sont de toutes les fêtes, de tous les festins, de tous les plaisirs. »
L'agir communicationnel
Taille originale : 21 x 36 cm
« Et toi-même, voluptueux, puisque sans plaisirs vifs, tu ne peux parvenir à la vie heureuse, laisse là ton Âme et Sénèque, chansons pour toi que toutes les vertus stoïques ! ne songe qu’à ton corps. Ce que tu as d’âme ne mérite pas en effet d’être distingué. Que la pollution et la jouissance, lubriques rivales, se succédant tour à tour, te faisant nuit et jour fondre de volupté, rendent ton âme aussi lascive qu’il se peut et, pour ainsi dire, aussi gluante que ton corps. Enfin, puisque tu n’as point d’autres ressources, tires-en parti : bois, mange, ronfle, rêve, et si tu penses quelquefois, que ce soit comme entre deux vins ; et toujours, ou au plaisir du moment présent ou, si tu as cet esprit d’économie, au désir ménagé pour l’heure suivante. Mais si, non content d’exceller dans le grand art des voluptés, la crapule et la débauche n’ont rien de trop fort pour toi, l’ordure et l’infamie sont ton partage ; vautre-toi comme font les porcs et tu seras heureux à leur manière. Je ne te dis au reste que ce que tu te conseilles à toi-même, et que ce que tu fais, mais de manière à t’en inspirer de l’horreur, si tu m’entends : je perdrais mon temps et ma peine à prendre un autre ton : parler de tempérance à un débauché, c’est parler d’humanité à un tyran. »