vendredi 25 août 2023

Le frottement de la corde

Elle n’a pas froid aux yeux !
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Émilie raconta progressivement son histoire à Pascal, qui pleura plusieurs fois en l’écoutant. L’enfance d’Émilie avait été très dure, et parfois terrifiante. Arrivée au collège encore tremblante, elle ne s’était fait qu’un seul ami, fils d’un harki réfugié en Normandie après les accords d’Évian. Karim était légèrement handicapé : il avait un pied bot et devait porter une chaussure orthopédique. Un peu plus âgé qu’Émilie, il la protégeait. Il était amoureux d’elle. En cinquième, Émilie avait traversé, après la tentative de suicide de sa mère, un long épisode mystique : elle lisait sainte Thérèse la nuit, et passait tous ses après-midis libres dans la grande basilique qui lui était consacrée. Karim, qui était musulman, l’attendait à l’extérieur de l’édifice, et la reconduisait chez elle. Elle était épuisée et bizarrement excitée. Malgré les nombreuses tentations qu’elle lui faisait subir, pour tester la valeur de son amitié, Karim n’essaya jamais d’en profiter.
L’attitude de Karim plut beaucoup à Pascal. Mais poursuivant son récit, Émilie en vint à évoquer son initiation sexuelle, ce qui éveilla la jalousie de Pascal : elle montait à la corde, dans le gymnase du collège, entourée de toute sa classe, quand le frottement l’avait fait jouir, presque par surprise un peu avant le sommet ; sans l’idée de recommencer aussitôt — il lui restait un mètre — Émilie aurait probablement lâché la corde. Elle avait fait l’amour, dès la semaine suivante, avec un garçon de troisième qui avait sport juste après sa classe — elle avait fait en sorte de le croiser nue dans les vestiaires.
Courtisane ou noble femme ?
Taille originale : 29,7 x 21 cm
Karim avait un cousin qu’il admirait beaucoup. Yazid n’était pas beau, mais avait beaucoup de charme. Sa froideur calculée séduisit Émilie, qui devint, pendant l’été, sa petite amie officielle. L’année qui suivit elle abandonna quasiment le collège, et commença à fréquenter les amis de Yazid. Elle participa à plusieurs vols de voiture et à quelques petits cambriolages. Yazid la laissait conduire sa voiture, et lui offrit une chaîne hi-fi volée — qui fut à l’origine d’une dispute très violente avec son beau-père. Dès lors, chassée de l’appartement familial, Émilie s’installa chez Yazid, qui se montra moins charmeur et beaucoup plus violent. Financièrement dépendante de lui, elle accepta bientôt de le suivre à Rouen, où il exigea qu’elle gagne de l’argent.
Jamais Yazid ne parla de prostitution. Il connaissait seulement quelqu’un, l’ami d’un ami, à qui elle plaisait particulièrement. Si elle se laissait inviter au restaurant, il saurait se montrer généreux. Elle serait bien sûr libre d’accepter ou de refuser. Yazid était ambitieux et voulait monter un réseau haut de gamme : les premiers clients d’Émilie furent surtout des notables rouennais, des médecins et des avocats. Ils possédaient souvent des caméras, et réalisèrent de nombreux films pornographiques, parfois à l’insu d’Émilie. Certains de ces films, aux contours flous et bleutés caractéristiques de la vidéo amateur sur bande magnétique, furent discrètement commercialisés. Émilie devint dès lors un personnage important du milieu libertin rouennais. Elle changea ainsi de clientèle, et fut régulièrement invitée par des couples échangistes qui l’utilisaient pour rajeunir leurs soirées. Émilie se retrouva un jour seule avec quatre hommes, mais sut gérer intelligemment la situation, du moins jusqu’à ce que l’un des hommes, alors qu’elle s’apprêtait à repartir, l’oblige, en la tirant par les cheveux, à lui faire une fellation. Elle voulut porter plainte, Yazid l’en dissuada. Dès lors, elle tenta d’échapper à son emprise, mais il lui faisait de plus en plus peur. Elle continua pendant plusieurs semaines à travailler pour lui, jusqu’au jour où, passant devant la gare, elle prit le premier train pour Paris. »
D’un côté à l’autre

vendredi 18 août 2023

Une algèbre complexe

« S’il suffisait de retraduire pour mettre les choses au point, comme ce serait facile ! Mais certains cas sont épineux. Chez les Hindous, par exemple, il est grotesque de penser que le malpropre et le sacré puissent appartenir à une même catégorie linguistique. Mais la notion de pollution chez les Hindous suggère une autre manière d’aborder le problème. Après tout, le sacré et le profane ne sont pas nécessairement et toujours diamétralement opposés. Il peut s’agir de catégories relatives. Ce qui est propre par rapport à telle chose peut être sale par rapport à telle autre, et vice versa. Le vocabulaire de la pollution se prête à une algèbre complexe qui tient compte des variables dans chaque contexte. Par exemple, le professeur Harper explique comment les Havik de Malnad, région de l’Etat de Mysore, expriment le respect.
“Les conduites qui entraînent généralement la pollution sont parfois voulues et expriment alors la déférence et le respect ; en faisant ce qui, en d’autres circonstances, serait profanation, un individu exprime sa situation d’inférieur. Par exemple, le thème de la subordination de la femme à son époux se trouve exprimé par le rite selon lequel elle mange dans la feuille de son époux quand celui-ci a terminé...”
Autre exemple, encore plus net :
“Une sainte femme, sadhu, devait être traitée avec le plus grand respect quand elle rendait visite au village. C’est ainsi que le liquide où avaient baigné ses pieds passa de main en main dans un récipient spécial en argent. Toutes les personnes présentes en versèrent dans leur main droite et la burent, la traitant comme liquide sacré (tirtha). L’assistance montrait ainsi qu’elle élevait cette femme au rang de déesse et non de simple mortelle. De toutes les manifestations de respect par la pollution, la plus étonnante, la plus fréquente aussi, consiste à utiliser la bouse de vache comme produit de nettoyage. Les femmes havik adorent quotidiennement une vache, et les hommes en font autant lors de certaines cérémonies. […] On dit parfois que les vaches sont des dieux. Ou encore que plus de mille dieux les habitent. On enlève les pollutions mineures à l’eau; les pollutions plus graves s’enlèvent avec de l’eau et de la bouse de vache. […] La bouse de vache, comme les excréments de tout autre animal, est intrinsèquement impure et peut être la cause d’une souillure. Elle peut en fait souiller un dieu; mais par rapport à un homme, elle est pure. […] La partie la plus impure de la vache est suffisamment pure par rapport à un prêtre brahmine pour délivrer celui-ci de ses impuretés.”
Il est évident que nous avons affaire ici à un langage symbolique capable de différenciations très subtiles. Cet emploi du rapport entre pureté et impureté n’est pas incompatible avec notre propre langage et ne soulève pas de paradoxe embarrassant. Loin de confondre les notions de sacré et de malpropreté, les Hindous les distinguent au contraire avec la plus extrême finesse. »

jeudi 17 août 2023

La beauté d’un corps masculin

Après la déconstruction…
« Perla veut que je me mette au lit avec un bon livre. Elle ne peut toutefois pas me recommander le roman qui lui est tombé des mains cette nuit, œuvre d’un auteur étranger primé.
— Les femmes s’y expriment comme des hommes, entre deux coucheries avec le héros de l’histoire, un bonhomme chauve et d’âge mûr qui évoque étrangement l’auteur. De toute ma vie je n’ai jamais rencontré pareilles femmes. Je ne connais d’ailleurs aucun homme qui se rapproche de ce type de héros, en dépit des deux cents et quelques individus mâles que contient mon fichier. Si j’avais encore le goût d’écrire un polar, j’y verrais bien un certain écrivain, invité à un festival littéraire, retrouvé assassiné dans un parterre de fleurs.
Effet de perspective
Taille originale : 29,7 x 42 cm
Perla doit faire un saut chez elle. Elle en revient avec un tas de livres choisis pour moi dans sa bibliothèque.
— Je suggère que tu restes bien tranquille au lit jusqu’à ce que Flóki te ramène les enfants ce soir.
Elle aligne sur la couette Rilke, Auden, García Lorca, Edmund White, Shaw, Russel, Wittgenstein, Genet, et puis elle en choisit un, l’ouvre et me le tend, le doigt posé sur un vers.
— Personne ne décrit la beauté d’un corps masculin aussi bien que García Lorca.
Avant la reconstruction…
Pendant que je lis le poème, Perla s’en retourne me préparer une soupe. Comme je ne dispose que d’une carotte et deux pommes de terre, elle se charge de tout. Mais elle revient m’annoncer peu après que, son frigo étant vide, la soupe se fera plutôt sur ma cuisinière.
Elle a apporté son marchepied. Comment faut-il s’y prendre pour préparer les lentilles brunes qu’elle a trouvées dans mon placard :
— Les mettre à tremper, hein ?
Ma voisine me consulte de temps à autre sur le temps de cuisson des carottes, pour savoir où je range les bouillons cubes ou encore si j’ai des lunettes de ski pour se protéger les yeux en coupant les oignons. Elle profite de l’occasion pour discuter avec moi en me passant tel ou tel livre posé sur la couette.
Elle saisit un recueil de poèmes qu’elle feuillette.
— Écoute-moi ça :
J’ai tendu dans le noir
une main tâtonnante
et j’ai trouvé une autre
main tâtonnante.
 »
Le bras long… et musclé
ou le harceleur puni
Taille originale : 21 x 29,7 cm

mardi 15 août 2023

Le sexe partout

Le capitalisme rend sourd !
Taille originale : deux fois 29,7 x 42 cm
« Et donc nous partîmes dans la nuit, jusque vers le bord de l’eau, où l’on entendait la musique et des cris et des jurons de matelots ivres. Collins parlait tranquillement tout le long de ceci et de cela, d’un garçon dont il était tombé amoureux et des ennuis du diable qu’il avait eus pour se tirer d’affaire quand ses parents l’avaient appris. De là, il revint au baron de Charlus et puis à Kurtz qui avait remonté le fleuve et s’était perdu. Son thème favori. J’aimais la façon dont Collins évoluait sur cet arrière-plan de littérature continuellement ; c’était comme un millionnaire qui n’est jamais descendu de sa Rolls. Il n’y avait pas de royaume intermédiaire pour lui entre la réalité et les idées. Quand nous entrâmes dans le bordel du quai Voltaire, après qu’il se fut jeté sur le divan, qu’il eut sonné les filles et commandé des boissons, il pagayait encore sur la rivière avec Kurtz, et ce ne fut que lorsque les filles se furent jetées sur le divan à côté de lui, lui bourrant la bouche de baisers, qu’il cessa ses divagations. Puis, comme s’il s’était subitement rendu compte de l’endroit où il se trouvait, il se tourna vers la matronne qui tenait le bordel, et lui fit un éloquent laïus sur ses deux amis qui étaient venus exprès de Paris pour voir sa boîte. Il y avait environ une demi-douzaine de filles dans la salle, toutes nues, et fort belles à regarder, je dois l’avouer. Elles sautillaient comme des oiseaux tandis que nous trois essayions de continuer la conversation avec l’aïeule. Finalement, celle-ci prit congé et nous dit de nous mettre à l’aise. Je fus complètement séduit par cette femme, tellement elle était douce et aimable, si parfaitement gentille et maternelle. Et comme elle était bien élevée ! Si elle avait été un peu plus jeune, je lui aurais fait des avances. Certainement on n’aurait pas cru qu’on était dans un “repaire du vice”, comme on dit !
Nous y restâmes une heure ou deux, et comme j’étais le seul en condition de pouvoir jouir des privilèges de la maison, Collins et Fillmore restèrent en bas à bavarder avec les filles. Quand je revins, je les trouvai étendus tous les deux sur le divan ; les filles avaient formé un demi-cercle autour d’eux, et chantaient avec les voix les plus angéliques le chœur des Roses de Picardie. Nous étions sentimentalement très déprimés quand nous quittâmes la maison — surtout Fillmore. Collins nous emmena rapidement dans une boite gargote, bourrée de matins saouls tirant leur bordée, et nous y restâmes quelque temps, à nous divertir du déchaînement homosexuel qui battait son plein. Quand nous filâmes, il nous fallut traverser le quartier aux lanternes rouges, ou d’autres aïeules avec des châles sur les épaules, assises au seuil des portes, s’éventaient et faisaient d’aimables signes de tête aux passants. Et toutes si apparemment gentilles, si gentilles, qu’on aurait pensé qu’elles montaient la garde devant une nursery. De petits groupes de matelots passaient en zigzaguant et pénétraient bruyamment dans les boîtes tape-à-l’œil. Le sexe partout : il débordait de toutes parts, marée montante qui emportait les pilotis des fondations de la ville. On s’arrêta pour flanocher au bord du bassin, où tout était mélangé et enchevêtré : on avait l’impression que tous ces bateaux, ces chalutiers, ces yachts, ces goélettes et ces chalands avaient été chassés à terre par une violente tempête. »

Musique au choix :

  • Cee Lo Green, Crazy
  • Wolfgang Amadeus Mozart, Cavatine de Barberina : « L’ho perduta, me meschina », Les Noces de Figaro
  • Nina Simone, You Don't Know What Love Is

vendredi 11 août 2023

Le sentiment d'avoir fait un rêve

Lever les yeux
« Je me rendis donc chez Giovanni que je trouvai dans son sous-sol noir, rempli de fagots et de sacs de charbon, seule denrée qu’on trouvât à Rome, cet été-là. Je lui dis ce que je désirais et il m’écouta en silence, les yeux froncés sur son cigare à demi éteint. Finalement : — Bon… je tiendrai à l’œil la boutique et l’appartement tout le temps que tu seras partie… ce sont bien des casse-tête par le temps qui court et je me demande vraiment pourquoi j’accepte… admettons que ce soit par bonté d’âme… — Ces mots m’embarrassèrent, car il me semblait l’entendre encore me dire : “Que peux-tu faire de cette sale bête ?” Et, cette fois encore, comme l’autre, je n’en croyais pas mes oreilles. Et tout à coup, je laisse échapper : — J’espère que c’est aussi pour moi que tu acceptes ? — Pourquoi dis-je cela, je n’en sais trop rien, sans doute parce que j’étais convaincue qu’il m’aimait bien et qu’en cette heure difficile, j’aurais eu plaisir à l’entendre dire qu’il ferait cela pour moi. Il me regarda un moment, puis ôta son cigare de sa bouche et le posa sur le bord de la table. Puis alla vers la porte du sous-sol, monta les marches, la ferma, mit la barre avec le cadenas, si bien que nous restâmes dans une obscurité complète.

J’avais compris tout à coup ; le souffle me manquait, le cœur me battait fort, mais je ne puis dire que j’étais sur la défensive, je me sentais toute troublée. J’imagine que c’était la faute des circonstances : Rome sens dessus dessous, la pénurie, la peur et le chagrin de quitter ma boutique et ma maison, sans compter le sentiment de n’avoir pas, comme toutes les femmes, un homme dans ma vie qui, à cette heure, pourrait m’aider et me donner du courage. Le fait est que, pour la première fois de ma vie, pendant que Giovanni venait au-devant de moi dans le noir, je sentis mon corps se détendre et devenir tout faible et consentant ; aussi, quand il me prit dans ses bras, ma première impulsion fut-elle de me serrer contre lui et de chercher ses lèvres avec ma bouche haletante. Il me poussa sur des sacs de charbon de bois et je me donnai à lui avec la sensation que, pour la première fois, je me donnais vraiment à un homme et, quoique les sacs fussent durs et lui très lourd, je me sentais légère et soulagée. Quand ce fut fini et qu’il s’écarta de moi, je demeurai assez longtemps couchée sur les sacs, heureuse ; il me semblait presque être redevenue jeune, au temps où j’arrivais à Rome avec mon mari, rêvant d’éprouver un sentiment semblable que je n’éprouvais pas, au contraire, puisque j’avais pris en dégoût les hommes et l’amour. Au bout d’un moment, il me demanda, toujours dans l’obscurité, si je me sentais en état de parler de nos affaires ; je me relevai et lui répondis affirmativement ; alors, il alluma une petite lampe à lueur jaune, et je le vis assis devant la table comme avant, le cigare entre les dents, l’œil à demi fermé, comme si rien n’était arrivé. — Jure-moi que tu ne diras jamais à personne ce qui vient de se passer, lui dis-je en m’approchant de lui, jure-le moi… — Il sourit en me répondant : — Que dis-tu ? Je ne te comprends pas… tu es bien venue me trouver pour cette histoire de maison et de magasin, n’est-ce pas ? — Et de nouveau, j’éprouvai ce même sentiment d’avoir fait un rêve. »

Méditations pornographiques [7]

Complicité artistique ?

Après la « libération sexuelle » des années 1960 et 70, existe-t-il encore une morale en ce domaine ? La réponse est sans doute évidente : le consentement est l’exigence fondamentale, et la pédophilie interdite (interdiction qui se justifie d’ailleurs dans la même logique du consentement, un enfant étant supposé ne pas pouvoir consentir de façon éclairée). Dès lors, « tout serait permis » (à l’intérieur de ce cadre), et l’Occident (comme le lui reproche notamment l’intégrisme musulman) se livrerait à de gigantesques partouzes, à une débauche sans frein, à une fornication aussi perverse que polymorphe… Il n’en est rien évidemment. En l’absence d’études empiriques (elles existent mais, étant essentiellement déclaratives, que prouvent-elles ? que révèlent-elles de réel ?), on peut supposer que les couples (ou d’éventuels trios, quadrilatères, partouzeurs…) négocient les pratiques acceptables de façon très variable : fellation, cunnilinctus, sodomie se sont banalisés mais ne sont certainement pas universels ; ondinisme, éjaculation faciale, bondage, fessées suscitent des résistances plus ou moins importantes, et de tels désirs ne s’expriment sans doute qu’au cours d’un processus de dévoilement plus ou moins délicat (si l’on excepte les lieux et les réseaux virtuels dédiés à ces pratiques) ; mais la liste des réputées « paraphilies » est longue et, même si elles ne suscitent l’attrait que d’une minorité de personnes, elles impliquent nécessairement différentes formes de négociation. Négociation également quant au moment, à l’instant adéquat, à l’âge aussi : ce qui est envisageable à trente ans ne l’est pas nécessairement plus jeune ou plus vieux. L’on peut expérimenter certaines choses, y trouver même plaisir et jouissance, puis s’en lasser ou même s’en dégoûter. Et l’asexualité, qu’on aurait à une époque qualifiée de « misère sexuelle », se revendique désormais comme pleinement légitime.

Complicité érotique ?

On remarquera d’ailleurs que la notion même de consentement implique une zone grise où les paroles et les gestes risquent d’être évalués différemment selon les sensibilités, et l’apparente négociation laisser place dans certains cas au conflit : des propos crus (« Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit ») pourront par exemple être jugés offensants et même dénoncés comme une agression ou un harcèlement (bien qu’ils n’aient été prononcés qu’une seule fois). Une approche moins directe mais tout aussi orientée sexuellement n’aurait sans doute pas produit le même effet négatif, même si l’on peut également estimer qu’elle n’aurait fait que substituer l’hypocrisie à la vulgarité. Autrement dit, ce qu’on peut appeler les normes de la séduction comme celles de l’ensemble des comportements sexuels sont loin d’être partagées par toutes et tous, et font désormais l’objet d’évaluations contradictoires dans notre société : chacun, chacune cherche dès lors à imposer ses conceptions en la matière, ce que signalent notamment des affaires mineures comme les polémiques autour des fresques de salle de garde, des concours de « Miss » ou de l’utilisation de l’image féminine — déclarées femmes objets — dans la publicité, dont la vue seule offenserait la sensibilité des unes ou des autres, constituant même une forme d’agression visuelle. La notion de violence symbolique, promue par Pierre Bourdieu, est désormais au cœur de ces débats, son imprécision permettant les interprétations les plus larges, les plus diverses et les moins consensuelles [1].

Une question d’éducation

La pornographie fait également partie de ces négociations qui peuvent tourner au conflit. Que ces productions soient vues individuellement ou en couple ou encore en groupe, qu’elles fassent l’objet d’appréciations ou de dépréciations publiques sur les réseaux sociaux ou ailleurs, toutes ne sont pas également acceptables (en excluant d’emblée tout ce qui relève de la pédopornographie), désirables, partageables. On pourrait croire qu’en ce domaine, la liberté est générale, mais l’évaluation morale est bien souvent présente, et le jugement éventuellement négatif porté sur les images vues rejaillira sur celui ou celle qui les a vues : « Tu aimes ça, toi ?! » (on remarquera que c’est nettement moins le cas pour les productions cinématographiques « ordinaires », littéraires ou artistiques où la liberté d’appréciation reste largement de mise). La pornographie prend au corps, pourrait-on dire, et révèle l’être intime, l’être sexuel : il n’est que de considérer les productions gay pour lesquelles les hétérosexuels masculins ne devraient manifester aucune attirance, pour comprendre comment la pornographie engage celui ou celle qui regarde certaines productions (et pas d’autres). Mais cela vaut aussi pour le bondage, le rough sex, le fist fucking, les transgenres ou que sais-je encore. Et pour la pornographie elle-même : « Tu regardes ça, toi ?! » Bien entendu, montrer des images pornographiques dans l’espace public à des personnes qui ne l’ont pas sollicité, par exemple dans le cadre professionnel, sera dénoncé comme une agression hautement répréhensible.

Enfin et surtout, il y a l’accusation de « domination masculine » qui s’adresse à la pornographie « masculine, hétérosexuelle, cisgenre… » Devant l’accusation, les amateurs pornographiques objecteront mille arguments dont celui de la nécessaire distinction entre la réalité et la représentation, entre la sexualité banale, ordinaire, sans audace et les exploits de performeurs et performeuses exceptionnels. Mais l’argumentation ne mettra pas fin aux discussions, et souvent le silence sera préféré au débat qui laissera place à une « consommation individuelle » plus ou moins hypocrite.

Difficile de conclure sinon en signalant que la notion de normes sociales — normes de la beauté, de la sexualité, de la décence, du respect, de tous les comportements… — est très réductrice si l’on estime qu’elles s’imposent de façon uniforme, impérative et oppressive aux individus et que l’on ne tient pas compte des incessantes négociations qui les accompagnent.


1. Dans un article scientifique sur les fresques de salle de garde, je lis : « Une obscénité crue, sans retenue ni censure, qui pour être parfois drôle, est souvent violente, agressive ». L’évaluation morale de la chercheuse n’est nullement réfléchie (alors que c’est un principe méthodologique essentiel de distinguer jugements de fait et jugements de valeur), et il y a une confusion entre la représentation et l’objet de la représentation : sont-ce les gestes mis en scène qui sont « violents, agressifs » ou la manière de les représenter ?
Au bord de l’eau
Taille originale : 29,7 x 21 cm & 21 x 29,7 cm

dimanche 6 août 2023

Sous l'emprise de l'amant ?

De passage…
Taille originale : 29,7 x 21 cm
& 29,7 x 42 cm
« On se sourit. Je lui demande si c’est habituel d’être triste comme nous le sommes. Il dit que c’est parce qu’on a fait l’amour pendant le jour, au moment de la culminance de la chaleur. Il dit que c’est toujours terrible après. Il sourit. Il dit : que l’on s’aime ou que l’on ne s’aime pas, c’est toujours terrible. Il dit que cela passera avec la nuit, aussitôt qu’elle arrivera. Je lui dis que ce n’est pas seulement parce que c’était pendant le jour, qu’il se trompe, que je suis dans une tristesse que j’attendais et qui ne vient que de moi. Que toujours j’ai été triste. Que je vois cette tristesse aussi sur les photos où je suis toute petite. Qu’aujourd’hui cette tristesse, tout en la reconnaissant comme étant celle que j’ai toujours eue, je pourrais presque lui donner mon nom tellement elle me ressemble. Aujourd’hui je lui dis que c’est un bien-être cette tristesse, celui d’être enfin tombée dans un malheur que ma mère m’annonce depuis toujours quand elle hurle dans le désert de sa vie. Je lui dis : je ne comprends pas très bien ce qu’elle dit mais je sais que cette chambre est ce que j’attendais. Je parle sans attendre de réponse. Je lui dis que ma mère crie ce qu’elle croit comme les envoyés de Dieu. Elle crie qu’il ne faut rien attendre, jamais, ni d’une quelconque personne, ni d’un quelconque État ni d’un quelconque Dieu. Il me regarde parler, il ne me quitte pas des yeux, il regarde ma bouche quand je parle, je suis nue, il me caresse, il n’écoute peut-être pas, je ne sais pas. Je dis que je ne fais pas du malheur dans lequel je me trouve une question personnelle. Je lui raconte comme c’était simplement si difficile de manger, de s’habiller, de vivre en somme, rien qu’avec le salaire de ma mère. J’ai de plus en plus de mal à parler. Il dit : comment faisiez-vous ? Je lui dis qu’on était dehors, que la misère avait fait s’écrouler les murs de la famille et qu’on s’était tous retrouvés en dehors de la maison, à faire chacun ce qu’on voulait faire. Dévergondés on était. C’est comme ça que je suis ici avec toi. Il est sur moi, il s’engouffre encore. Nous restons ainsi, cloués, à gémir dans la clameur de la ville encore extérieure. Nous l’entendons encore. Et puis nous ne l’entendons plus.
L’intolérance du monde, un monde intolérable
Les baisers sur le corps font pleurer. On dirait qu’ils consolent. Dans la famille je ne pleure pas. Ce jour-là dans cette chambre les larmes consolent du passé et de l’avenir aussi. Je lui dis que de ma mère je me séparerai, que même pour ma mère une fois je n’aurai plus d’amour. Je pleure. Il met sa tête sur moi et il pleure de me voir pleurer. »

Titre au choix :

  • Funèbre méditation
  • « Tu as vu mon petit cul ? »
  • « Il va bientôt crever, le vieux !? »
  • Termes recherchés : salope + magnifique
« Nous allons manger dans la ville la nuit. Il me douche, il me lave, il me rince, il adore, il me farde et il m’habille, il m’adore. Je suis la préférée de sa vie. Il vit dans l’épouvante que je rencontre un autre homme. Moi je n’ai peur de rien de pareil jamais. Il éprouve une autre peur aussi, non parce que je suis blanche mais parce que je suis si jeune, si jeune qu’il pourrait aller en prison si on découvrait notre histoire. »
Perspective rapprochée

mardi 1 août 2023

Exercice de réécriture littéraire

Point sensible
Taille originale : 29,7 x 21 cm

Mettez au féminin le texte suivant, puis donnez-en une version lesbienne.

« Les hommes qui poursuivent une multitude de femmes peuvent aisément se répartir en deux catégories. Les uns cherchent chez toutes les femmes leur propre rêve, leur idée subjective de la femme. Les autres sont mus par le désir de s’emparer de l’infinie diversité du monde féminin objectif.
L’obsession des premiers est une obsession romantique : ce qu’ils cherchent chez les femmes, c’est eux-mêmes, c’est leur idéal, et ils sont toujours et continuellement déçus parce que l’idéal, comme nous le savons, c’est ce qu’il n’est jamais possible de trouver.
Comme la déception qui les pousse de femme en femme donne à leur inconstance une sorte d’excuse mélodramatique, bien des dames sentimentales trouvent émouvante leur opiniâtre polygamie.
L’autre obsession est une obsession libertine, et les femmes n’y voient rien d’émouvant : du fait que l’homme ne projette pas sur les femmes un idéal subjectif, tout l’intéresse et rien ne peut le décevoir.
Et précisément cette inaptitude à la déception a en soi quelque chose de scandaleux. Aux yeux du monde, l’obsession du baiseur libertin est sans rémission (parce qu’elle n’est pas rachetée par la déception).
Comme le baiseur romantique poursuit toujours le même type de femme, on ne remarque même pas qu’il change de maîtresses ; ses amis lui causent de perpétuels malentendus car ils ne perçoivent pas de différence entre ses compagnes et les appellent toutes par le même nom.
Dans leur chasse à la connaissance, les baiseurs libertins s’éloignent de plus en plus de la beauté féminine conventionnelle (dont ils sont vite blasés) et finissent immanquablement en collectionneurs de curiosités. Ils le savent, ils en ont un peu honte et, pour ne pas gêner leurs amis, ils ne se montrent pas en public avec leurs maîtresses. »
Toucher du doigt
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Les femmes qui poursuivent une multitude d’hommes peuvent aisément se répartir en deux catégories. Les unes cherchent chez tous les hommes leur propre rêve, leur idée subjective de l’homme. Les autres sont mues par le désir de s’emparer de l’infinie diversité du monde masculin objectif.
L’obsession des premières est une obsession romantique : ce qu’elles cherchent chez les hommes, c’est elles-mêmes, c’est leur idéal, et elles sont toujours et continuellement déçues parce que l’idéal, comme nous le savons, c’est ce qu’il n’est jamais possible de trouver.
Comme la déception qui les pousse d’homme en homme donne à leur inconstance une sorte d’excuse mélodramatique, bien des messieurs sentimentaux trouvent émouvante leur opiniâtre polygamie.
L’autre obsession est une obsession libertine, et les hommes n’y voient rien d’émouvant : du fait que la femme ne projette pas sur les hommes un idéal subjectif, tout l’intéresse et rien ne peut la décevoir.
Et précisément cette inaptitude à la déception a en soi quelque chose de scandaleux. Aux yeux du monde, l’obsession de la baiseuse libertine est sans rémission (parce qu’elle n’est pas rachetée par la déception).
Comme la baiseuse romantique poursuit toujours le même type d’homme, on ne remarque même pas qu’elle change d’amant ; ses amies lui causent de perpétuels malentendus car elles ne perçoivent pas de différence entre ses compagnons et les appellent tous par le même nom.
Dans leur chasse à la connaissance, les baiseuses libertines s’éloignent de plus en plus de la beauté masculine conventionnelle (dont elles sont vite blasés) et finissent immanquablement en collectionneuses de curiosités. Elles le savent, elles en ont un peu honte et, pour ne pas gêner leurs amies, elles ne se montrent pas en public avec leurs amants. »
Espace muséal inoccupé
« Les femmes qui poursuivent une multitude de femmes peuvent aisément se répartir en deux catégories. Les unes cherchent chez toutes les femmes leur propre rêve, leur idée subjective de la femme. Les autres sont mues par le désir de s’emparer de l’infinie diversité du monde féminin objectif.
L’obsession des premières est une obsession romantique : ce qu’elles cherchent chez les femmes, c’est elles-mêmes, c’est leur idéal, et elles sont toujours et continuellement déçues parce que l’idéal, comme nous le savons, c’est ce qu’il n’est jamais possible de trouver.
Comme la déception qui les pousse de femme en femme donne à leur inconstance une sorte d’excuse mélodramatique, bien des femmes sentimentales trouvent émouvante leur opiniâtre polygamie.
L’autre obsession est une obsession libertine, et les autres femmes n’y voient rien d’émouvant : du fait que la femme ne projette pas sur les femmes un idéal subjectif, tout l’intéresse et rien ne peut la décevoir.
Et précisément cette inaptitude à la déception a en soi quelque chose de scandaleux. Aux yeux du monde, l’obsession de la baiseuse libertine est sans rémission (parce qu’elle n’est pas rachetée par la déception).
Comme la baiseuse romantique poursuit toujours le même type de femme, on ne remarque même pas qu’elle change d’amante ; ses amies lui causent de perpétuels malentendus car elles ne perçoivent pas de différence entre ses compagnes et les appellent toutes par le même nom.
Dans leur chasse à la connaissance, les baiseuses libertines s’éloignent de plus en plus de la beauté féminine conventionnelle (dont elles sont vite blasés) et finissent immanquablement en collectionneuses de curiosités. Elles le savent, elles en ont un peu honte et, pour ne pas gêner leurs amies, elles ne se montrent pas en public avec leurs maîtresses. »