dimanche 29 mai 2022

Le terrifiant constat de l'impossible

Taille originale : 21 x 29,7 cm
« L’abandon de tout voile et de toute mièvrerie factice éclate avec les planches du Kinoe-no-Komatsu, “Jeunes pousses de pin”, daté de 1814, dans l’une des Shunga (œuvres obscènes) les plus connues de Hokusaï, avec le rêve de Awabi, cette Ophélie au fil de l’eau et de la roche marine, demi-vivante et demi-morte, qu’enlace et suce une pieuvre monstrueuse. Loin des planches érotiques ordinaires qui, dans leur crudité exagérée de l’acte sexuel, visaient également à une excitation calculée des sens - sans se départir d’un code de mise en scène de la joliesse des plis - les vêtements japonais semblent avoir des branchies - il y a dans cette vibration rêvée de tous les sens, fusion de volupté et d’horreur, une sorte de réalisme désabusé des rêves et des désirs d’amour. Ce qu’un amant éperdu peut faire, dans un de ces rares et précieux moments où l’on croit, à travers les révélations des sens, pouvoir accéder à l’absolu, une pieuvre le saurait mieux. Planche qui est peut-être obscène parce qu’elle révélerait chez Hokusaï une tendance perverse à réfuter l’amour de la vie, mais qui est peut-être aussi très pure, comme le constat terrifiant de l’impossible. »
Vouée à la disparition
« Après le Fukujusô, tourbillon de lignes et de couleurs autour des pratiques de l’amour, publié vers 1818, Hokusaï publia encore d’autres Shunga : Tsuma-Gasane, puis Manpuku-Wagô-jin (vers 182l) et Enmushi Izumo-no Sugi (vers 1822). Avec l’exagération graphique habituelle des sexes dans ce genre de contexte, et son étonnante promptitude à saisir la vérité d’une situation, son imagination toujours en éveil, Hokusaï a sans doute exploré tout ce qu’il y a à dire en matière d’érotisme direct. La violence répertoriée de la sexualité y prend le pas sur ce qu’il y a de sauvage et d’indompté dans toute vie qui se fait. À cette lassitude de tout savoir et de n’en savoir pas plus, Hokusaï sembla céder, qui ne publia pas par la suite de nouvelle série érotique. Quoique la société japonaise, aujourd’hui pudibonde, se soit longtemps montrée bienveillante envers l’extase des corps, il y avait pour Hokusaï même une limite très exacte : l’ennui de la trop simple et trop naïve animalité.
Parmi les nombreuses et extravagantes coiffures de femmes, il en existait une, à Edo, inventée par une courtisane et appelée Tabosashi : les cheveux de la nuque, baignés d’huile et maintenus à la cire d’abeille, prenaient la forme symbolique d’un phallus. Aussi éphémère qu’une rose, cette coiffure était un aboutissement. Quelque chose d’émouvant, plutôt que de luxurieux, émane de cet appas singulier.
Dans la vie moralement compartimentée de l’ancien Japon, le compartiment de l’érotisme, parce qu’il suscitait lui aussi tout un code de raffinements, a malgré tout conservé, même dans l’amour vénal, une sorte de fraîcheur, mêlant les exigences de la courtoisie et de l’élégance des gestes à la pure sensualité tarifée. Hokusaï, menant une vie simple et fruste, ne connut guère de l’intérieur ce monde réservé et ne partagea sans doute dans sa vie que les fantaisies moins élaborées du pays populaire. En matière d’érotisme comme pour nombre de ses travaux, Hokusaï dut recourir à l’imagination pour participer lui aussi de ces rêveries de débauches raffinées qui faisaient les délices de ses contemporains. À cela sans doute nous devons ce renvoi à la sauvagerie des pulsions naturelles, à ce bien commun de tout vivant - dans ce qu’il y a de formidable au vivant - dans son imagerie érotique la plus originale. »
performeur / performeuse / performance

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