mardi 25 juillet 2023

Le corps, blason de l'âme

Venusté moderne
« Sur trois bancs disposés en gradins, les femmes étaient assises, serrées l’une contre l’autre à se toucher. Une femme dans la trentaine, au très joli visage, transpirait à côté de Tereza. Sous ses épaules pendaient deux seins incroyablement volumineux qui se balançaient au moindre de ses mouvements. Quand elle se leva, Tereza s’aperçut que son postérieur aussi ressemblait à deux énormes musettes et qu’il n’avait rien de commun avec le visage.
Peut-être cette femme, elle aussi, passe-t-elle de longs moments devant la glace pour regarder son corps et tenter d’y apercevoir son âme en transparence comme Tereza s’y essaie depuis l’enfance. Certainement, autrefois, elle aussi a cru bêtement que son corps pouvait servir de blason à son âme. Mais combien monstrueuse doit être cette âme si elle ressemble à ce portemanteau avec quatre sacoches ?
Tereza se leva pour passer sous la douche. Puis elle alla prendre l’air. Il bruinait toujours. Elle était sur un ponton jeté sur quelques mètres carrés de la VItava entre de hauts panneaux en planches qui protégeaient les dames des regards de la ville. En baissant la tête, elle aperçut au-dessus de la surface de l’eau le visage de la femme à laquelle elle venait de penser.
La femme lui souriait. Elle avait le nez fin, de grands yeux marron et le regard enfantin.
Elle remontait l’échelle et, sous le tendre visage, reparurent deux musettes qui ballottaient et projetaient alentour des gouttelettes d’eau froide. »
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Elle alla s’habiller. Elle était devant un grand miroir.
Non, son corps n’avait rien de monstrueux. Elle n’avait pas de sacoches sous les épaules mais des seins plutôt menus. Sa mère se moquait d’elle parce qu’ils n’étaient pas assez gros, pas comme ils doivent être, ce qui lui avait donné des complexes dont seul Tomas avait fini par la débarrasser. A présent, elle pouvait accepter leurs dimensions, mais elle leur reprochait leurs aréoles trop larges et trop foncées autour des mamelons. Si elle avait pu tracer elle-même l’épure de son corps, elle aurait des tétins discrets, délicats, saillant à peine de la voûte du sein et d’une teinte à peine discernable du reste de la peau. Cette grande cible rouge foncé lui semblait l’ouvrage d’un peintre paysan qui aurait confectionné des images obscènes pour nécessiteux. »
La jouissance du martyre
« Elle s’examinait et se demandait ce qui arriverait si son nez s’allongeait d’un millimètre par jour. Au bout de combien de temps son visage serait-il méconnaissable ?
Et si chaque partie de son corps se mettait à grandir et à rapetisser au point de lui faire perdre toute ressemblance avec Tereza, serait-elle encore elle-même, y aurait-il encore une Tereza ?
Bien sûr. Même à supposer que Tereza ne ressemble plus du tout à Tereza, au-dedans son âme serait toujours la même et ne pourrait qu’observer avec effroi ce qui arrive à son corps.
Mais alors, quel rapport y a-t-il entre Tereza et son corps ? Son corps a-t-il un droit quelconque au nom de Tereza ? Et s’il n’a pas ce droit, à quoi se rapporte ce nom ? Rien qu’à une chose incorporelle, immatérielle.
(Ce sont toujours les mêmes questions qui passent par la tête de Tereza depuis l’enfance. Car les questions vraiment graves ne sont que celles que peut formuler un enfant. Seules les questions les plus naïves sont vraiment de graves questions. Ce sont les interrogations auxquelles il n’est pas de réponse. Une question à laquelle il n’est pas de réponse est une barrière au-delà de laquelle il n’y a plus de chemins. Autrement dit : ce sont précisément les questions auxquelles il n’est pas de réponse qui marquent les limites des possibilités humaines et qui tracent les frontières de notre existence.)
Tereza est immobile, envoûtée devant le miroir, et regarde son corps comme s'il lui était étranger ; étranger, et pourtant assigné à personne d'autre qu'elle. Il lui répugne. Ce corps l'a déçue, l'a trahie. Il n’a pas eu la force de devenir pour Tomas le corps unique de sa vie. Ce corps l’a déçue, l’a trahie. »
Le rêve de Priape ou « Faut pas exagérer ! »

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