vendredi 8 janvier 2021

Séminaire

Il faut bien comprendre que ce qu’on appelle les normes sociales, les valeurs, sont toujours construites comme des oppositions simples entre par exemple le sacré et le profane, le masculin et le féminin, la nature et la culture, le blanc et le noir… Ce dernier exemple est éclairant : nous pensons en noir et blanc, pas en couleur… Le carré sémiotique de Greimas — vous lirez sa Sémantique structurale si vous ne l’avez déjà pas fait — est une structure logique mais non psychologique et encore moins sociologique… Le noir n’est pas le non-blanc, c’est le contraire parce que, dans le non-blanc, il y a toutes les autres couleurs. Nous ne sommes pas logiciens (encore que Greimas multiplie lui aussi les entorses à la logique), et les idéologues modernes pensent naïvement que, si ce n’est pas naturel, c’est nécessairement culturel. Et inversement.

Tout cela est sans doute évident, mais il faut ajouter aussitôt que notre « esprit » manipule ces catégories non pas par gradation (comme le pense Greimas) ni par complexification (comme le voudrait la Science) mais d’abord et avant tout par inversion. Sur ce point, Lacan est sans doute pertinent pour comprendre nos contemporains ou contemporaines. Le blanc devient noir comme l’envers caché du revers apparent. Pile ou face. Il n’y a pas bien sûr de renversement complet, mais la division suscite le désir sinon la nécessité de son inversion. Le roi devient fou et le fou devient roi, le temps du carnaval dont parle Bakhtine. L’émetteur reçoit du récepteur son message sous une forme inversée, selon telle célèbre formule analytique. Mais pas toujours ! Nécessairement pas toujours… le sacré doit le rester.

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Les réalités devraient être « distinctes et séparées », et « une ligne de démarcation nettement tranchée devrait séparer l’une de l’autre » comme l’écrit Durkheim, mais le sacré ne peut se constituer sans la possibilité de la profanation, de son inversion dramatique ou risible, à tel point qu’on ne sait pas toujours si c’est la constitution du sacré qui crée cette possibilité, ou si c’est la profanation qui d’abord institue l’ordre du sacré. Il faut penser ce point d’inversion. On s’étonne qu’un député homophobe soit surpris dans une partouze gay, et on s’en gausse. Mais l’on doit comprendre ce lieu, qui n’est pas seulement psychologique mais aussi sociologique, où se croisent ces deux dimensions apparemment incompatibles. Essayez de penser comment se conjoignent ces deux propositions : le député est homophobe parce qu’il est gay, mais également, il est gay parce qu’il est homophobe.

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Je prendrai un autre exemple, celui de l’éjaculation faciale dont le succès pornographique est interprété trop souvent de façon naïve. Le sperme comme le sang menstruel relève dans notre culture comme le relève Mary Douglas de la souillure. Mais la souillure est seulement comprise comme une transgression, alors que l’éjaculation faciale est une inversion. Il ne faut pas s’étonner que ce sont les femmes belles, les plus belles femmes mêmes qui en sont les meilleurs objets. D’aucuns, d’aucunes affirment qu’il s’agit d’un geste humiliant alors que sa capacité d’excitation vient au contraire du fait que c’est un acte d’hommage. Hommage à la beauté, à la féminité (si l’on est dans un cadre hétéro), au partenaire qui seul suscite en moi un tel désir et un tel jaillissement. C’est parce que ce autre singulier suscite le désir qu’il me faut me répandre sur son visage qui, loin de n’être qu’un objet, répond par son trouble (rire, émerveillement ou dégoût) à mon propre trouble. L’hommage est la figure inversée de l’humiliation.

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Vous connaissez sans doute la légende qui entoure le bukkake, cette pratique venue du Japon qui consiste pour un grand nombre d’hommes à éjaculer sur le visage d’une femme généralement agenouillée, consentante, souvent imperturbable comme un Bouddha contemplatif. Dans une réalisation de ce genre, l’une de ces actrices japonaises jouait le rôle d’une présentatrice de journal télévisé lisant longuement une série d’actualités alors que des dizaines d’hommes entièrement nus venaient se dresser à côté d’elle (sans doute sur l’un ou l’autre escabeau caché derrière le bureau), la bite au niveau de son visage qu’ils arrosaient consciencieusement l’un après l’autre, leur foutre dégoulinant ensuite dans ses cheveux, sur ses joues, ses lèvres, son chemisier, son tailleur… Il y avait quelque de chose de sublime, au sens kantien du terme, dans cette mise en scène. Je vous relis cela : « pour l’évaluation esthétique de la grandeur, il y a bien un maximum, et j’affirme de celui-ci, que lorsqu’on le considère comme mesure absolue, par rapport à laquelle il n’est rien qui puisse être subjectivement plus grand (pour le sujet qui juge), il indique l’Idée du sublime et produit cette émotion qu’aucune évaluation mathématique de la grandeur par les nombres ne saurait susciter ». Mais, si c’est bien moi, comme l’affirme Kant, le sujet qui juge qu’il y a là du sublime, le respect et l’admiration ne s’adressent qu’à celle dont l’impassible beauté suscite en moi « l’Idée de son infinité » et dont le visage transformé en objet informe par le foutre dégoulinant suscite pourtant en moi cet ébranlement de l’imagination face à l’abîme (et me fait ressentir ma propre impuissance).

Quoi qu’il en soit, j’en reviens à cette légende entourant le bukkake qui aurait été une pratique ancienne dans on ne sait quels villages archaïques où les hommes rassemblés auraient ainsi « puni » les femmes adultères. Or il n’y a dans de telles scènes pornographiques rien de plus excitant que l’innocence des visages exposés à l’humiliation d’une punition imméritée. Le trouble provient de cette conjonction au plus étroit entre l’innocence et la culpabilité : l’imagination peut se mettre à courir à la recherche des vices cachés, des crimes enfouis, des perversités masquées chez l’extatique victime, mais c’est le symbolique qui est ici efficient, l’inversion de l’innocence en culpabilité qui à son tour, en un nouveau tour de carrousel, se métamorphose en innocence injustement bafouée.

Nous en resterons là pour aujourd’hui.

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Question dans le public

Je ne comprends pas grand-chose à vos explications qui me donnent l’impression d’un charabia jargonnant, pseudo-philosophique, plein de références savantes mais qui masquent en fait le vide de la pensée. D’ailleurs, je pense que vous cherchez surtout à justifier vos propres désirs de vieux pervers.

Cris dans la salle

Gros porc !

Réponse

Votre objection ainsi que l’interpellation anonyme subséquente est très pertinente. Je consacrerai en effet mon prochain séminaire à l’insulte comme déterminant social de l’excitation sexuelle.

Taille originale : 29,7 x 42

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