jeudi 7 janvier 2021

Paroles d'artistes

Après s’être fait enculer à quatre pattes, Angelica (c’était un nom de scène bien sûr) se mit à genoux, et Erik éjacula sur son visage et dans sa bouche ouverte. Pointant son regard dans l’objectif de la caméra, elle avala ostensiblement le foutre en se pourléchant les lèvres. Ce n’était pas la fin du tournage, même si cette scène clôturerait très vraisemblablement le montage final du film. Toutes les scènes en solo où elle se branlait les cuisses grandes ouvertes et s’enfonçait un gros gode (à l’apparence surdimensionnée à cause du grand-angle) dans l’anus étaient déjà terminées. Le matin, elle avait également réalisé ses premières prestations à trois avec Erik et Tony qui, à tour de rôle, l’avait baisée et enculée avant de se faire sucer jusqu’aux couilles. Angelica était une performeuse professionnelle, habile à se prendre une bite bien dure dans l’anus tout en écartant de la main une fesse pour que la caméra saisisse en gros plan la pénétration ; en même temps, elle pompait avec vigueur la queue de son second partenaire, avant que les deux hommes n’échangent leur place. Et si elle gardait globalement la même position à quatre pattes, elle variait suffisamment les gestes et les attitudes pour éviter une répétition dommageable à l’intérêt des spectatrices et spectateurs.

L’après-midi serait consacrée aux doubles pénétrations avec ses multiples variantes : Angelica couchée sur le ventre face à Erik pendant que Tony se positionnait derrière elle pour l’enculer visiblement avec sa grosse queue noire (Angelica soutenait le mouvement BlackLivesMatter et voyait dans ses performances avec Tony un acte symboliquement antiraciste) ; Angelica s’asseyant à califourchon sur un de ses partenaires en exposant entre ses cuisses grandes ouvertes à la fois son cul déjà défoncé par une des deux bites et sa chatte offerte à la pénétration subséquente ; Angelica soulevée de terre entre les deux hommes debout et s’enfonçant en elle par-devant et par-derrière (une position difficile à tenir qui exigeait des partenaires musclés et bien bandés, mais des injections de papavérine palliaient à d’éventuelles défaillances)…

Interview militante
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Après une douche, elle mit un peignoir et rejoignit l’équipe pour le déjeuner. Elle s’attabla à côté de la réalisatrice, Claire, une quinquagénaire (sinon une sexagénaire) au verbe haut et aux gestes précis. Ancienne actrice porno à une époque où l’on tournait encore en argentique ou en vidéo analogique, elle avait acquis progressivement toutes les techniques de la réalisation d’un film de qualité à l’esthétique léchée à l’opposé des prétendues vidéos amateurs. Elle préférait cependant illustrer toutes les formes de sexualité extrême, weird ou rough selon les expressions consacrées. Pour elle, il fallait zapper les préliminaires : ça ne sert à rien, disait-elle, c’est chiant. On va direct à la pénétration et à l’éjaculation, et c’est tout. Il faut que ça tape dedans et que ça soit assez violent. Et surtout, il faut qu’il y ait de l’anal, c’est impossible sans.

Outre sa réputation de grande professionnelle dans le cinéma gonzo, elle était censée avoir obtenu un master en philosophie ou un doctorat. Elle aurait même donné cours à l’université (en réalité, juste une invitation à un séminaire). C’est ce qui intéressait notamment Angelica, l’intelligence de cette femme qui était capable de rebondir sur n’importe quel sujet de façon réfléchie et argumentée sans qu’on perçoive dans ses propos la moindre condescendance à l’égard de ses jeunes interlocutrices (il faut bien reconnaître que les mecs dans le métier étaient plutôt des bourrins surtout intéressés par le foot et les bagnoles, et ils étaient rares dans le domaine à parler du réchauffement climatique ou de la mondialisation).

On parlait d’une interdiction possible du tournage des films pornos au nom de la lutte contre la prostitution. Loin d’être reconnues comme des travailleuses du sexe, les actrices étaient désignées comme des victimes de l’exploitation patriarcale. Des confessions d’anciennes actrices alimentaient et répétaient la thèse de la servitude volontaire. Les professionnels envisageaient déjà de travailler dans des pays plus hospitaliers, mais redoutaient également un mouvement international en faveur de la prohibition.

Proposition politique
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Angelica, se tournant vers Claire, questionna : « Mais pourquoi cette haine de la pornographie ? Pourquoi elles nous méprisent comme ça ? Moi j’aime baiser, j’aime ce que je fais. Pourquoi on voudrait me l’interdire ? » Claire ne répondit rien. Angelica savait que c’était sa manière de faire. Peut-être réfléchissait-elle ou bien voulait-elle être sollicitée à plusieurs reprises, priée même, suppliée avant qu’elle ne consente à répondre ? Ou bien voulait-elle que le brouhaha s’estompe, qu’une plage de silence s’installe pour qu’elle puisse développer sa pensée ? Il fallait en tout cas lui laisser un peu temps. Peut-être répondrait-elle dans cinq minutes, ou dans une heure, ou même le lendemain comme cela lui était déjà arrivé. Angelica savait parfois se montrer patiente.

Mais Claire ne répondit rien. Ce n’est que le soir qu’Angelica reçut un long courrier qu’elle lut et relut longuement avant de s’endormir.

Je pense que cette condamnation de la pornographie, c’est plus large, mais aussi plus profond comme mouvement.
Ce que Freud appelle le désir, la pulsion, peut se porter sur n’importe quoi, le « sexe » bien sûr (encore faut-il voir que le sexe peut prendre de multiples formes sous l’emprise du désir), mais aussi l’argent, le pouvoir ou encore la morale, ce que la psychanalyse désigne comme l’idéal du moi. Ça, c’est ce qu’on peut décrire sommairement comme la passion de la loi, de la vertu, de la pureté morale.
À l’époque lointaine de la « libération sexuelle », la « répression sexuelle », le « puritanisme », la « haine du désir », le contrôle de la sexualité étaient vus comme une espèce d’aberration, un « ordre » imposé par la société, comme quelque chose d’arbitraire, d’incompréhensible même, sans que l’on perçoive que l’amour de la loi est également une forme de passion entière, impérieuse, fondamentalement désirante, parce que la loi fait jouir ou donne du moins l’espérance de la jouissance. En cela, ce qui apparaissait alors comme une forme de perversion de l’esprit est sans doute une constante anthropologique ou du moins une tentation anthropologique largement répandue, et qui reparaît d’ailleurs sous une forme renouvelée, mais tout aussi exacerbée d’un moralisme qui se déguise à peine tant il est convaincu de son bon droit. Mais en son fondement, il y a moins une vérité morale à défendre qu’une passion exacerbée pour le Juste, la Justice, le « bon droit ». Avec l’effacement des consciences de la « libération sexuelle », ce n’est pas à la fin d’une époque qu’on assiste, plutôt à une nouvelle mode. C’est une mode, un déplacement du désir, de la sexualité, de « l’érotisme » vers la pureté morale… On se refait une virginité. Il s’agit d’incarner la loi la plus pure, la loi la plus dure, et surtout de dénoncer tout manquement à loi. C’est par la dénonciation qu’on prouve, qu’on éprouve sa propre identification à la loi.
 Je me souviens de ce quinquagénaire ou sexagénaire sans grande envergure, sans grande ambition sinon déçue, qui s’était pris ainsi de passion pour le code de la route. Cela peut sembler ridicule, mais toute infraction au code de la route le rendait fou, le plongeait dans la fureur et le ressentiment (parce qu’il n’y a pas de passion négative qui n’ait une cause inaperçue). Il s’en prenait en particulier aux gamins à vélo qui prenaient la rue à sens unique devant chez lui à contresens. Il les interpellait, il les querellait, il leur hurlait même dessus, au nom de la sécurité, pour les prévenir du danger, pour protéger ces jeunes inconscients de leur propre insouciance… Bien entendu, les gamins n’écoutaient pas et accéléraient même en l’entendant. Alors, il les guettait, mine de rien, il s’arrangeait, je ne sais pas trop comment, pour avoir de chez lui toujours un œil sur la rue et bondir au moment où des enfants étaient prêts à s’y engager à contresens. Et il se serait planté devant eux pour les empêcher de passer, pour leur faire la morale, pour leur faire prendre conscience de cette absolue nécessité de respecter ce code de la route dont il était le héraut incontestable. Aux alentours, on ne se souciait guère de ses interventions dont il essayait pourtant d’expliquer la justesse aux voisins par hasard rencontrés. Les années passaient ainsi dans cette rue tranquille, jusqu’à ce que la mairie ou toute autre autorité compétente décide inopinément d’ajouter au signal de sens interdit un panonceau autorisant les cyclistes à emprunter la rue à contresens. Là, le monde s’est écroulé pour lui, il a perdu son sens… avec jeu de mots !
Enfin, c’est le genre de types qui retombe toujours sur ses pattes. Par la suite, il s’en est pris à tous ces chauffards qui ne respectaient pas les limitations de vitesse ou qui brûlaient les feux rouges. Tu vas me dire : comme tout le monde, mais la fixation sur le code de la route et seulement sur le code de la route était symptomatique de sa passion pour la Loi, parce que, dans sa jeunesse, il avait aspiré à la prêtrise à une époque où la foi religieuse s’estompait… Je ne sais pas pourquoi il avait renoncé. En tout cas, cette foi qu’il avait voulu transmettre à toute sa famille, à sa femme en particulier, fille de divorcés, n’était plus partagée autour de lui. On n’y croyait plus. Il a dû le sentir. Cet amour immodéré de la Loi, il ne pouvait plus l’incarner dans la prêtrise. Alors je pense qu’avec l’âge, il a renoncé, ou plus exactement, il a reporté cette passion sur un substitut qui peut paraître ridicule, le code de la route, mais qui était incontestable : qui oserait défendre l’insécurité routière ?
Acte militant
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Cette pureté morale, cette dureté morale même, est présente à toutes les époques chez certains individus qui y trouvent une jouissance plus ou moins cachée, plus ou moins niée. Ce sont les moines, les saints, les anachorètes, les ermites, et puis bien sûr les inquisiteurs, les fous de Dieu, les Savonarole, les contempteurs de la corruption mondaine, les chevaliers de la foi, les prophètes du malheur et de la rédemption ! Et cette passion réapparaît aujourd’hui de façon visible. Elle a bien sûr besoin d’une scène, de gestes spectaculaires, de dénonciations rageuses de l’ignominie morale dans laquelle baignerait le bas-peuple, de tous ces misérables comme dirait Pascal qui ignorent la vraie foi !
Oui, c’est une mode… Il ne faut pas croire que les époques se transforment radicalement, avec des « ruptures épistémologiques » ou des « épistémè » soudainement métamorphosés, surtout dans une période aussi courte, un demi-siècle à peine. Ce sont des déplacements, des glissements, ce qu’en sémantique on appelle des « connotations » qui évoluent, même si ces connotations dont je parle ont évidemment un effet ou des effets « réels » : je veux dire que ce n’est pas seulement une question d’idées, d’idéologie, c’est une question de prise de pouvoir dans l’espace public… Il y a cinquante ans, on disait que certaines personnes, des hommes généralement, étaient portés sur la chose, puis on a dit portés sur le sexe, et enfin, obsédés sexuels (aujourd’hui on écrirait — mais qui l’oserait — obsédé·e·s sexuell·le·s). Et donc, je disais, des « obsédés sexuels », il y en a toujours eu, il y en a encore certainement, mais c’est passé de mode. Elles et eux ont eu leur heure de gloire au moment de la « libération sexuelle », au cinéma, en littérature, en photographie, en art, et dans les magazines bien sûr quand il s’agissait de mettre fin aux « tabous », à « l’oppression patriarcale » (au sens exact du terme, l’oppression des pères), au « refoulement bourgeois »… mais aujourd’hui que c’est acquis, que la libération sexuelle est une évidence et qu’en particulier la peur de tomber enceinte pour les femmes et surtout le « déshonneur » qui l’accompagnait ont disparu, que, de ces anciennes craintes, rien ne subsiste sinon le souvenir littéraire, que pourrait donc signifier la « libération sexuelle » ? Cela n’a plus de « sens », ou plus précisément, ce n’est plus rentable idéologiquement. Les obsédés sexuels, les nymphomanes n’ont plus droit à la parole ou, en tout cas, n’ont plus aucune place sur le devant de la scène. Retour dans les marges pour Sade et Apollinaire. Anaïs Nin aussi. Et la salope de Catherine Millet (oui, finalement, il y a peut-être rupture épistémologique : qui peut encore comprendre ce qu’elle a écrit ?).
L’attrait pour la sexualité s’est, je pense, « émoussé » pour beaucoup de gens. Ce que j’entends à présent, c’est la glorification d’une sexualité douce, sans risque, sans excès, sans « fureur » sadienne, une sexualité précautionneuse, parfaitement civilisée, où l’on ne s’expose pas, le vrai bonheur conjugal en somme. On ne croit plus — enfin beaucoup ne croient plus — à la promesse d’une jouissance extatique, sublime, absolue… Et on ne la recherche plus, sinon quelques-uns, quelques-unes. C’est ce qui explique le succès des asexuels : finalement, il vaudrait mieux se débarrasser de la sexualité qui est un risque, un problème, une source d’angoisse et de conflit… (« Tu ne me désires plus ! » reproche ultime de la trahison.)
Et l’on est passé à autre chose, à d’autres « combats » soudainement dramatisés, exacerbés, glorifiés. Je ne dirais pas que c’est de la bien-pensance parce que c’est méprisant, c’est juste la pensée dominante d’aujourd’hui, celle en tout cas qui cherche à s’imposer par la virulence verbale… Avec cet amour de la loi qui promet à son tour la « félicité » (la « jouissance » est désormais un mot trop connoté, passé de mode). Et bien sûr, comme je le disais, en corollaire, cette obsession de la dénonciation. On en a de multiples exemples anciens. L’époque de la « libération sexuelle » était aussi celle de la « Révolution culturelle » : certains ici y ont joué dans des groupuscules, mais en Chine, c’était du sérieux. Cet imbécile de Badiou essaie de nous faire croire que c’était une révolte contre l’ordre ancien, contre les « mandarins », contre les « droitiers », alors que bien évidemment cette humiliation publique de professeurs, d’intellectuels, de « réactionnaires » ou « d’ennemis de classe » de toutes sortes (avant souvent leur mise à mort ou leur suicide), à laquelle les « révoltés » ont souvent participé avec enthousiasme, avec un enthousiasme furieux, leur donnait la jouissance suprême du pouvoir le plus brutal bien sûr, mais surtout d’incarnation de la parole du maître, du Mao déifié par la propagande. Ces « étudiants » n’étaient pas des fonctionnaires sans âme d’un système répressif (dont parlait Hannah Arendt), mais les zélateurs d’une foi sans compromis, sans concession. Et c’est cela qui les faisait jouir : se sentir l’âme et la conviction du Juste, de l’élu de Dieu. J’utilise consciemment un langage religieux que les adeptes repentis du maoïsme l’utilisent à leur tour aujourd’hui pour décrire leur propre fascination pour le « Grand Timonier », parce que la foi — et cela peut être la croyance en n’importe quoi — donne sens à la vie de certains, mais surtout elle est pour elles et eux la promesse d’un futur rayonnant et la dénonciation catastrophique d’un présent haïssable.

Au nom de la liberté
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Bien entendu, on n’en est pas là aujourd’hui, même si l’infâme réseau est le lieu de la mise à mort symbolique de l’Ennemi… Mais comme tous les mouvements sociaux, il a peu de mémoire ou du moins une mémoire sélective. Comme son objet, son « combat » est neuf, c’est une pensée qui se croit neuve, qui croit mettre fin aux siècles de ténèbres. Pourtant, les ressorts ou au moins certains ressorts de ces mouvements sont bien les mêmes… Il suffit de penser à la prohibition. Cela nous paraît absurde, mais ce n’était pas seulement un mouvement porté par des pasteurs rigoristes mais également par des groupes progressistes et de nombreuses associations féminines. L’alcool était associé à la pauvreté, à la misère, à la déchéance des couches les plus pauvres de la population, ainsi qu’à la violence, en particulier aux violences conjugales. On l’oublie volontiers aujourd’hui parce qu’on préfère désigner une autre cause « systémique », mais l’alcool est un facteur essentiel de ces violences et pas seulement une « circonstance aggravante » comme on le constate quand on observe les violences entre hommes : dans ce cas, on n’hésite d’ailleurs pas à mettre leurs bastons sur le compte de l’alcool. Tout cela pour dire que la prohibition ne fut pas un phénomène aberrant, mais a surgi à la confluence de différents mouvements convaincus d’agir au nom du Bien.
L’identification à la vertu est au fond plus rassurante que la sexualité qui implique toujours une certaine prise de risque, au moins un lâcher-prise, une confiance dans l’autre… C’est une expérience qui peut se révéler négative. Beaucoup de premières fois sont décevantes et l’orgasme loin d’être garanti. D’ailleurs, c’est pour cela — et je le dis un peu négativement bien qu’il s’agisse de nos clients ou clientes— que beaucoup « consomment » de la pornographie, parce que précisément c’est sans risque, même si le plaisir est au final moindre qu’avec un ou une partenaire réelle, comme tout le monde le pressent ou le sait bien. Personnellement, je pense qu’on ne devrait regarder de la pornographie qu’avec un ou des partenaires, comme des stimulants avant l’action ou pendant l’action. J’aime qu’on me lèche pendant que je vois des gays s’enculer sur un écran panoramique.
La Vertu en revanche, non seulement est rassurante et glorifiante, mais elle permet de désigner un « objet » comme diabolique, l’alcool, la pornographie, n’importe quoi, n’importe quel objet supposé menaçant, pervers, monstrueux, envahissant… L’objet cristallise toute la haine, toute la rage, toute la colère qu’on peut avoir en soi. Et bien entendu, Dieu vomit les tièdes !
Et, comme la vertu n’est jamais satisfaite, comme le monde reste impur, l’exigence d’idéal reste entière, reportant sa satisfaction aux lendemains qui chantent. Elle ne se satisfait jamais et se répète, s’exacerbe, se déchaîne dans la dénonciation, au moins verbale, et dans un fantasme de toute-puissance. C’est ce fantasme qui joue le rôle de substitut à la jouissance promise. Dès lors, l’identification à la loi peut perdurer indéfiniment même si elle finit assez communément par s’épuiser parce que le réel finit bien par déjouer nos attentes. Certains s’en aperçoivent, d’autres non.

On est dans une époque comme celle-là, quand la vertu promet plus de bénéfices spirituels que la sexualité. On va mortifier la chair, comme l’ont fait les ermites ou les moines, sauf que ce n’est pas la sienne que l’on flagellera, mais plutôt celle des autres en condamnant notamment le plaisir solitaire devant la malfaisance pornographique. Mais bon, les femmes et les hommes donc ne savent pas l’histoire qu’ils font, selon la belle expression de Marx, et je ne sais pas plus qu’elles ou eux ce qu’il en adviendra.

Angelica fut au final un peu déçue par cette longue missive. Elle s’attendait à des arguments plus forts, plus saillants, plus décisifs en faveur de ce qu’elle était prête à appeler sa vocation. Elle aurait voulu un texte animé d’une fureur sadienne, qui aurait cloué le bec à ses adversaires. Qui lui aurait échauffé le sang et le clitoris. Elle rumina quelque temps puis s’endormit au milieu de ses réflexions de plus en plus vagues et éparses.

Le tournage n’était cependant pas terminé, et il fallait encore mettre en scène l’une ou l’autre double pénétration. Tout se mettait déjà en place quand Angelica s’approcha de Claire et lui glissa quelques mots à l’oreille. Celle-ci lui répondit que c’était impossible, qu’on n’était pas dans ce genre de films, que les deux autres n’avaient aucune raison d’accepter sa demande. Et puis elle connaissait les règles du milieu. Ça ne se faisait pas. Angelica dit alors à voix haute : Alors, je ne joue plus. Erik et Tony s’approchèrent, demandèrent des explications. La discussion devint confuse. Angelica ne voulait parler qu’à Claire, mais celle-ci répondait non, non, non… Finalement, la jeune performeuse s’adressa directement aux deux hommes sans cependant que les autres membres de l’équipe ne puissent comprendre exactement ses propos. Voilà, dit-elle, je veux vous enculer à tour de rôle sur le canapé avec un gode-ceinture. Sinon, je refuse, moi, d’être enculée par vous deux ! Bien entendu, les deux hardeurs refusèrent en rigolant. Il n’en était pas question.


Inverser le stigmate
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Claire fit semblant de ne pas prendre position. Angelica répéta ses exigences. Elle parla de justice et d’égalité. Et puis elle en avait marre, elle avait envie d’autre chose. Les deux hommes essayaient de la calmer par de courtes répliques ironiques. Finalement, Claire rappela que personne ne serait payé si le tournage s’arrêtait. Tout le monde protesta. Erik et Tony s’écartèrent et discutèrent un moment. Ce n’étaient pas des machos stupides et obtus. Ils avaient déjà pris un doigt dans le cul, en privé ou en tournage, et ils avaient accepté toutes sortes de pratiques — comme se faire lécher la rondelle par une partenaire — qu’on avait pu exiger d’eux. Dans ses débuts dans le métier, Erik avait même participé à un tournage gay, bien qu’il s’affirmait hétéro. Mais ce que demandait Angelica était connoté comme une pratique « spécialisée ». Après quelques palabres, ils acceptèrent sa demande pour autant que la scène soit rapidement tournée. Cela resterait dans les séquences des à-côtés de tournage ou dans une version alternative.

La jeune femme avec un sourire de contentement dirigea toute la manœuvre. Elle les fit s’agenouiller sur le canapé blanc, côte à côte, le derrière tourné vers la caméra. Elle leur fit courber l’échine comme à une femelle en chaleur, tout en écartant les cuisses pour que la vue sur leur service trois-pièces soit bien dégagée.

Elle encula d’abord Tony, sans violence, en lubrifiant abondamment l’engin, en pénétrant très lentement, en forçant légèrement l’accès. Celui-ci était effectivement serré et avait été peu pratiqué. Mais elle parvint à s’y enfoncer entièrement, le gode n’étant pas du tout surdimensionné. Lorsqu’elle sentit pour la première fois que le passage était complètement ouvert, elle éprouva un fort tremblement et une joie éructante, persuadée en outre que sa chatte devait être trempée. Elle pistonna un bon moment, saisit Tony par les cheveux, le tira en arrière, lui donna deux de ses doigts à sucer avant de vérifier l’état de sa queue. Elle n’était pas raide mais suffisamment gonflée pour qu’elle s’en empare pour la branler rapidement. Elle savait qu’il ne jouirait pas mais la sentir durcir entre ses doigts, la sentir de plus en plus grosse et solide la fit jouir sinon physiquement du moins spirituellement. L’extase lui parut le mot le plus approprié pour rendre compte de son état. Elle fit subir le même sort à Erik mais peut-être avec une rage plus grande, une fureur moins érotique, qui resta cependant dans des limites raisonnables, sa monture ne se plaignant à aucun moment des outrages qu’on lui faisait subir.

Renouveler les clichés
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Trois raisons expliquaient sans doute ce mouvement d’humeur nouveau chez Angelica.

Elle voulait bien sûr montrer à ses adversaires symboliques (mais absents) qu’elle n’était pas réduite à n’être qu’un « objet sexuel » et qu’elle pouvait soumettre ses partenaires à son propre désir pervers.

Mais elle éprouvait peut-être aussi une certaine baisse de son excitation face à des situations et des mises en scène qui se répétaient à présent selon des schémas devenus prévisibles : elle n’éprouvait plus le trouble qui avait été le sien lors des premières doubles pénétrations ou des soumissions extrêmes auxquelles elle avait participé de manière aussi active qu’inattendue. Enculer Erik et Tony était une expérience inédite où elle découvrait soudain en elle-même des ressources inédites.

Enfin, il lui sembla qu’il était temps de philosopher à coups de gode, que le désir qui l’animait était plus fort que tous les mots, tous les discours, tous les sermons. Le gode qu’elle tenait en main lui semblait plus vivant, plus réel, plus impérieux que ce flot de paroles ininterrompues.

Et puis, elle ne put s’empêcher de sourire, de rire même sans trop savoir pourquoi…

Question transversale
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