samedi 28 décembre 2024

From 4 to 5 a.m.

Aux cimaises

C’est un rêve. Est-ce que je suis en train de m’endormir

ou suis-je déjà dans un sommeil profond avec la vague conscience que je suis en train de rêver ? Je

rêve de Cléo, une ancienne collègue que j’ai revue récemment à une soirée et qui m’a semblé toujours aussi belle. Je devrais dire aussi

bandante. Pas très grande, un mètre soixante-cinq

un corps tout en courbes, de gros seins, bien montés, un visage agréable, toujours souriant. L’éclat de la jeunesse, l’éclat des clichés… Déjà, à l’époque, quand on travaillait ensemble, j’avais envie de la baiser, non seulement de la baiser mais de lui faire

une faciale sur son joli sourire. Mais je pensais n’avoir aucune chance, elle semblait tellement amoureuse de son mari, un grand mec très beau à la voix claire qui portait loin. Non, je n’étais pas

à la hauteur. Et puis, je l’avais revue, toujours aussi bien roulée, c’est le mot. À cette soirée, je m’étais retrouvé derrière elle et j’avais admiré son fessier, ses hanches, ses cuisses, qui semblaient bouger de manière aussi fluide qu’un roulement à billes. Plutôt une rotule bien huilée, un

cul fuselé par un pantalon moulant. Mais mon complexe d’infériorité était toujours le même, et j’avais essayé de ne pas trop la reluquer comme un sale voyeur. Voyeur, voyeur. La porte d’entrée, je crois que j’ai oublié de la fermer à clé. Je ne sais plus. Non, elle doit être fermée. Oublie ça. Rêve à son cul, à ce cul qui s’agite devant toi.

Hors d’atteinte

Mais, dans le rêve à présent, c’est elle qui me fait de la gringue. (D’ailleurs, oui, à cette soirée-là, elle avait été trop souriante, trop aimable avec moi, trop demandeuse

« fais-moi une faciale puisque tu en as envie… moi aussi j’ai envie » aurait-elle pu me dire.)

Assise à mes côtés, sur un tabouret de bar, comme dans un film américain, elle croise les jambes pour me faire apercevoir au travers de sa jupe fendue le haut de ses cuisses. Je sais qu’elle mouille, et j’ai hâte de lui enfoncer un doigt dans la chatte entre ses lèvres trempées. Mais ce n’est pas possible d’être

ouvertement infidèles dans cette soirée où tout le monde nous sait mariés par ailleurs. Mais, dans un rêve, il est facile de changer de pièce, et, même si les murs sont transparents, il semblerait que plus personne ne nous voie. On se trouve derrière une paroi japonaise coulissante en papier translucide. Le Fuji, Pearl Harbor. Perle, perle, clitoris. Un paysage de rêve. Le désert. S’égarer. Est-ce qu’il pleut ? Revenir, remonter, retrouver le rêve. Je rêve de caresser son clitoris gonflé, mouillé entre ses cuisses.

Quels sont nos rêves ?

Elle m’embrasse, je sens sa langue qui s’immisce pleine de désir entre mes lèvres. Elle devrait murmurer comme dans ce film déjà vu « Mike, oh Mike ». Plus directement : « J’ai envie que tu me baises ». Et je sens ma queue qui bande

spontanément. Elle se dresse dure, sans que mes doigts ne doivent l’enserrer, la branler. L’incroyable sensation de l’érection spontanée, forte, dure, dressée. Pur plaisir de l’érection dans le noir. Survient par magie un type, sans visage, mais que Cléo semble bien connaître. Il est blanchâtre, presque transparent. Il est déjà nu. Il s’appelle X. Elle semble très heureuse de le voir. Elle sourit. Elle lui dit des choses agréables. Elle se met à genoux devant lui et prend sa queue en main. « Mike, Mike, mets-toi à genoux avec moi.

Oui, oui, suce-le, suce-le ! » Elle se relève, se met derrière moi et me pousse par derrière pour que j’avale la bite de X. C’est la première fois que je suce un mec. C’est une vidéo porno, c’est une bite bien grosse, bien dure, mais terriblement agréable à sucer. J’avale,

je pompe cette queue (abstraite), je mets les mains sur les fesses de X pour mieux contrôler le mouvement. Pendant ce temps, sa bouche et celle de Cléo se mélangent, leurs langues de salopes s’échangent des baisers et de la salive. Leur excitation m’excite

et érige plus fortement encore la bite que je suce. J’attends, j’espère le foutre, saumâtre, dégoulinant dans ma bouche. Mais j’en oublie ma propre queue qui est en train de s’affaiblir. Il faut relancer la machine à fantasmes. Devinant mon injonction, Cléo se retourne — elle est nue maintenant — se dresse au-dessus de moi, sa chatte au-dessus de ma bouche

et elle se met à pisser. Ma bite durcit instantanément, m’amenant au bord de l’éjaculation. (Je sais que je rêve, je garde les yeux fermés, mais la délicieuse sensation de la bandaison est bien au bas de mon ventre, et il faut que je replonge dans le sommeil, dans le rêve, pour que l’érection se prolonge, s’accentue même, pour que cette délicieuse sensation perdure indéfiniment jusqu’à la fin de la nuit, jusqu’à la fin du sommeil.) L’infâme salope me pisse dans la bouche, sur le visage, sur le corps entier, entièrement nu, je suis sa chienne, son esclave… mais non, je vais la baiser, je vais la foutre, l’enculer, sentir sa mouille sur mes doigts, lui défoncer

le cul. «  Dans mon cul, dit-elle en se retournant à nouveau. Vas-y, fourre ta langue dans mon cul ». J’écarte ses fesses de deux mains, et je commence à lui lécher le cul, mais je suis trop excité, j’ai trop envie d’enfoncer ma langue dans son trou

et de me branler. Il faut que je me branle, que je me réveille. Je dois… continuer à rêver. Le jour se lève, ne se lève pas, c’est la nuit encore, le plaisir exquis de l’obscurité. Sombre, sombre vide, Titanic. Elle revient, elle mène la danse nuptiale,

animale. « Venez, on va faire une DP… » Une double pénétration ! elle est incroyable ! alors qu’il y a plein de monde à trois mètres de nous, juste derrière ce paravent ! Il faut aller à l’hôtel, l’hôtel à côté, une chambre, un lit. On va baiser, connaître à nouveau l’excitation

des débuts de rencontre, où l’on est encore habillé, où l’on se déshabille frénétiquement, maladroitement. Toucher les seins, les gros seins qui se libèrent du soutien-gorge, les pointes qui se dressent que j’embrasse. Je ferme les rideaux rouges, cramoisis. Elle est installée sur le lit, couchée sur le dos, les cuisses bien écartées. Elle sait que j’aime voir son sexe, ouvert, mouillé, trempé même. La sensation des doigts qui s’enfoncent dans son trou humide, la délicieuse sensation qui

me fait bander, la sensation délicieuse de la bandaison. Elle m’appelle, mène la danse bestiale. « J’ai envie que tu me baises », encore.

Je me tourne à peine, et ma queue frotte contre le drap. Elle est aimantée par la chatte où se diriger, où plonger, où s’enfoncer lentement mais jusqu’aux couilles, la chatte qui s’ouvre, qui m’engloutit comme le Titanic, non, qui engloutit mon petit chalutier… Toujours ce plaisir inouï de la bandaison s’enfonçant délicieusement dans son trou humide, trop attirant, trop aimantant. Je suis entre ses cuisses, et je la baise, je la pénètre lentement, profondément, doucement, jouissivement. Je vais jouir

pas tout de suite, pas tout de suite. Prolonger l’excitation, prolonger encore et encore, pendant que X s’approche à son tour. Il s’approche de nous, dans mon dos. Je sens sa queue, sa bite dure, énorme contre mes fesses que Cléo écarte bientôt des deux mains, pour faciliter l’intromission, tout en m’attirant plus profondément en elle. Non, ce n’était pas ce qui était prévu, ce n’était pas ça la DP ! mais je ne peux pas résister, elle veut que je me fasse enculer, et je veux aussi sentir cette bite forcer le passage, ouvrir mon cul, s’y enfoncer profondément régulièrement, sans hésitation, jusqu’aux couilles. De tout son poids, X m’écrase (mais il est tellement transparent qu’il est léger comme une plume), mon visage s’abaisse contre la joue de Cléo, ma bouche s’approche de son oreille, et je murmure : « Mon dieu, mon dieu… » (elle est trop grosse, trop dure, tellement agréable). Et je l’entends me répondre en riant : « Tu es un vrai pédé

maintenant !

— Mais qu’est-ce qui te fait penser que je suis gay ? » Je baise et je suis baisé, d’avant en arrière, c’est à moi à présent d’accomplir les mouvements, d’assurer plus exactement la mouvance qui nous unit, tant mon cul et ma bite sont lubrifiés, soyeux, mouillés. Et je vais et je viens entre X et Cléo. À la poursuite de l’orgasme… Je suis hanté. Le Cul ! le Cul ! le Cul ! le Cul  ! Mais pas de poète impuissant ici ! Personne ne bande mou dans mon cul ! Jouir

enfin. Il faut que j’éjacule tant que je sens ma bite dure, tant que dure ma bite, tant que l’érection raide… élections piège à cons ! Cléo, laisse-moi éjaculer sur ton visage, ta bouche ouverte, tes cheveux, tes lèvres, tes joues. Trop de pornographie tue la pornographie ! Je m’agenouille au-dessus d’elle, je me branle, ou plus exactement, c’est X qui a pris ma place, transparent, il m’a traversé, il est devant moi au-dessus de Cléo, il se branle, il va éjaculer, il va la couvrir de sperme, de foutre, il le fait pour moi, pour que je regarde, pour que je voie les jets de foutre, il va jouir et je jouirai en même temps. Un coup de sonnette soudainement. Il a l’air tellement

réel. Je suis éveillé. Il m’a réveillé. Je ne suis plus en train de rêver. Mais personne ne sonne à cette heure-ci. Il est trois ou quatre heures du matin : quatre heures vingt. Le coup de sonnette, je l’ai rêvé, mais il avait l’air tellement vrai. Il m’a réveillé pourtant. L’érection faiblit rapidement.

J’ai besoin de pisser. Il faut que j’aille pisser. Sorti de la chambre, je me penche par-dessus la rampe de l’escalier, mais il n’y a personne évidemment à la porte d’entrée (même si je ne peux pas en être absolument sûr, mais personne ne sonne à cette heure-ci). Je descends lentement à l’entresol vers les toilettes. Foutue prostate. HPB (hyperplasie prostatique bénigne). Ça s’est bien bloqué pendant le sommeil, pendant le rêve. Il me faut du temps pour commencer à pisser. Foutue vieillesse. Quatre-vingt-quatre ans. Je n’irai plus très loin. Je pisse lentement, par à-coups. Foutue vieillesse.

Ma vie n’a-t-elle encore de sens que parce que je bande encore, parce que je ressens au milieu de la nuit, dans un demi-sommeil, l’ineffable plaisir d’une érection spontanée ? Le rêve nécessaire car la jeunesse des corps est trop éloignée. Quelle femme, quelle belle salope aurait encore envie de moi ? J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille, Et je t'emmerde en attendant. Vieux pervers, vieillard lubrique, gros cochon, maigre lard…

Je remonte. Mourir dans son sommeil. Dormir encore.

Rêver encore.

Cinquante nuances de gris… ou de brun
Taille originale : 2 fois 21 x 29,7 cm

jeudi 12 décembre 2024

Un réceptacle de l'esprit saint

In contrast to common assumptions in the literature, as well as the findings of content analyses of popular videos, very few viewers expressed a preference for ejaculation on a woman’s face or in her mouth, with many more viewers (both men and women) finding these practices unappealing or even disturbing.

Les mystiques : saintes ou hérétiques ?

« On peut constater à partir du XIIe siècle, et plus encore au XIIIe, l’existence d’une “profonde inquiétude religieuse” qui a poussé beaucoup d’hommes et de femmes à abandonner les formes traditionnelles de piété et, rassemblés le plus souvent en groupes ou en groupuscules de croyants animés par les mêmes idées, à chercher le salut de leur âme par des voies que l’Église n’avait pas indiquées, ou qu’elle avait même interdites, et qui conduisaient à l’hérésie et à la persécution. Au nord des Alpes, cet élan nouveau était surtout soutenu par les femmes, au point que le poète Ulrich de Lichtenstein, au milieu du XIIIe siècle, se plaignait, par manière de plaisanterie, de ce que soudainement toutes les femmes, telles des nonnes, courussent en tout sens, voilées et munies du rosaire, se hâtant jour et nuit vers l’église, sans plus octroyer aux chevaliers et à l’amour courtois un mot plaisant.
Ce mouvement, qui s’étendit à l’ensemble du continent européen mais s’épanouit surtout dans les grandes villes commerçantes possédant des capitaux et un haut niveau de développement économique, en Italie, en France, en Flandre et le long du Rhin, avait des objectifs variés ; au premier chef, il visait cependant au renouveau religieux de la chrétienté et au retour vers des valeurs ascétiques et apostoliques telles que la pauvreté, l’humilité, la chasteté, et enfin le travail, la vita activa.
Galvanisées par les prédicateurs qui parcouraient le pays et appelaient à se détourner du monde de l’ignoble Mammon, du bien-être superficiel et de l’usure, toutes choses qu’ils pensaient trouver dans les villes florissantes où les tensions sociales allaient croissant, des femmes se rassemblèrent dans des maisons privées ou dans de petites cabanes à la limite des villes pour mener une “vie apostolique” et subsister, à l’image des disciples du Christ, grâce à la prédication et à la mendicité. L’amour chrétien du prochain devait également occuper une grande place dans cette nouvelle existence plus agréable à Dieu. C’était une entreprise téméraire pour des femmes, dans une société où celles qui vivaient dans la rue sans être contrôlées et organisées étaient plutôt considérées comme des putains que comme des saintes. Sous la pression croissante de la société, des instances laïques et surtout ecclésiastiques, cette manière de vivre, à laquelle avaient aspiré par exemple Claire d’Assise, Élisabeth de Thuringe ou Mechthild de Magdebourg (vers 1250), fut de plus en plus restreinte et condamnée. Lorsqu’il devint évident qu’on ne pouvait pas endiguer le mouvement et que femmes et jeunes filles, issues de toutes les couches sociales, décidaient, en nombre toujours plus grand, de suivre cette nouvelle forme de vie religieuse, on tenta, avec succès, de diviser et de canaliser le mouvement.
L’approbation et la reconnaissance furent réservées aux groupes et aux communautés qui avaient accumulé suffisamment de biens et qui s’étaient installés dans une maison fixe. Quant aux autres groupes et aux communautés qui vivaient de mendicité et, parfois, “vagabondaient” par groupes mixtes dans les rues, sur les places et par les grands chemins, on les considéra désormais comme des “hérétiques”, des destructeurs de la communauté chrétienne et des gens qui divulguaient des doctrines blasphématoires, d’autant plus que, souvent, ils répandaient des idées très anticléricales et extrêmement critiques vis-à-vis de l’Église. Ces “Frères et Sœurs du Libre Esprit” devinrent dans le courant du XIVe siècle la cible principale des poursuites inquisitoriales. Beaucoup d’entre eux connurent le même sort que Marguerite Porète, mystique cultivée et auteur du traité du Libre Esprit le Miroir des simples âmes, qui finit sur le bûcher à Paris en 1310 après avoir comparu devant le tribunal de l’Inquisition .
C’est en particulier l’intérêt que montraient de nombreuses communautés féminines pour la théologie qui éveillait la méfiance chez leurs contemporains. La multiplication des textes d’inspiration mystique venus des cercles de ces communautés féminines animées par un idéal religieux et qui y circulaient, par exemple les vers d’une Hadewijch (vers 1230), l’autobiographie de Béatrice de Nazareth ou la Lumière ruisselante de la Divinité de Mechthild de Magdebourg (vers 1250), aboutit finalement à une floraison culturelle “féminine” jusque-là inconnue en Europe — un état de fait qui provoquait un grand étonnement, même chez ceux qui leur étaient favorables. Vers la fin du XIIIe siècle, le franciscain Lamprecht de Ratisbonne constatait avec surprise que “de nos jours les femmes aussi s’expriment sur des questions théologiques, et même semblent s’y entendre mieux dans les questions religieuses que des hommes avisés”. Il donnait à ce phénomène l’explication suivante : “Quand une femme s’efforce de mener une vie agréable à Dieu, son cœur tendre et la moindre volonté quelle doit à la simplicité de ses facultés intellectuelles l’enflamment plus rapidement, si bien que son désir de Dieu appréhende mieux la sagesse du Ciel que ne le ferait un homme rude qui est peu apte à cela.”
Thinking Sex: Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality
Cette explication manquait de pertinence dans la mesure où les femmes auteurs d’écrits mystiques n’étaient en aucune manière moins bien pourvues en “facultés intellectuelles” que leurs contemporains masculins ; la plupart d’entre elles ne manquaient pas non plus de formation théologique. Le traité de Marguerite Porète témoigne, comme les œuvres d’une Hildegarde de Bingen (✝ 1196) ou d’une Catherine de Sienne, de leurs bonnes connaissances des écrits théologiques et de la Bible et d’une volonté déclarée de développer une autre “vision” des questions théologiques controversées. Cependant, la parole de l’apôtre Paul déclarant que la femme doit se taire à l’intérieur de la communauté chrétienne s’appliquait encore aux femmes de la fin du Moyen Age ; elles étaient privées de l’ordination sacerdotale et, par là, de l’accès à la théologie ainsi qu’à la prédication publique. Aussi la voie que les femmes animées d’un sentiment religieux choisirent à la fin du Moyen Age fut-elle celle du “discours mystique”. Hildegarde de Bingen se définit elle-même comme un “réceptacle de l’Esprit saint”, image que les mystiques venant après elle reprirent à leur compte ; de ce fait, ces femmes pouvaient éprouver le sentiment d’être “l’instrument de Dieu”, et elles trouvèrent presque partout une oreille attentive auprès des croyants désorientés par l’état de désolation où était tombée l’“Église pontificale”, divisée en factions rivales luttant pour le pouvoir, et déchirée par le Grand Schisme jusqu’à la “réconciliation” provisoire du concile de Constance (1414-1418).
En fait, tout au long du Moyen Âge tardif, des femmes ne cessèrent de prendre la parole jusque dans des situations politiques très explosives ; Catherine de Sienne et Brigitte de Suède, qui tentèrent toutes deux de mettre fin au Grand Schisme, étaient certainement les plus connues d’entre elles, mais n’étaient pas, de loin, les seules. Dans le sud et le sud-ouest de l’Allemagne vivaient plusieurs femmes animées par un sentiment religieux “ayant le don de mysticisme”, et qui non seulement mettaient ou faisaient mettre par écrit leurs visions et révélations mystiques, mais aussi s’immisçaient activement dans les conflits sociaux et politiques. Et elles étaient écoutées, ainsi la Suissesse Marguerite Ebner ou son homonyme de Nuremberg Christine Ebner (toutes deux vers 1350), ou en Italie, outre Catherine de Sienne, des femmes éminentes comme Angèle de Foligno et Claire de Montefalco (✝ 1308). Dans la France ravagée par la guerre de Cent Ans, ce furent surtout des femmes qui se sentirent appelées à sauver le pays, l’Église et la chrétienté : Jeanne d’Arc, qui s’intitulait elle-même la libératrice, n’était qu’une des nombreuses “envoyées de Dieu” qui n’avaient cessé de faire parler d’elles depuis la fin du XIVe siècle et qui n’étaient pas mieux vues de l’Inquisition que la “Pucelle d’Orléans” : par exemple la “veuve de Rabastens” dans le Sud-Ouest, vers 1350, ou Jeanne-Marie de Maillé en Touraine (1331-1414).
Dans cette mesure, la fin du Moyen Âge fut une époque particulièrement marquée par les femmes dans les domaines politique et religieux ; jamais le nombre des femmes canonisées n’avait été et ne devait être aussi élevé que durant les trois derniers siècles du Moyen Age : les femmes constituent jusqu’au quart de l’ensemble des saints canonisés à cette époque — et une grande partie d’entre elles étaient même des femmes mariées et des mères. Jamais auparavant ni par la suite, les femmes n’eurent le sentiment de vivre dans un monde de fidèles et de saints aussi “féminisé”, même si leur exclusion du service de l’autel et du sacrement sacerdotal ne fut jamais sérieusement remise en question - du moins à l’intérieur du cadre ecclésiastique.
Car, comme dans le monde du travail où les femmes se préoccupaient manifestement peu — trop peu, ainsi que l’historienne américaine Martha C. Howell l’a récemment écrit — d’assurer leur position sur le plan juridique et institutionnel, les visionnaires, les mystiques et toutes les femmes animées par un idéal religieux ne profitèrent pas de cette importance nouvellement acquise pour obtenir un statut meilleur et bien établi au sein de l’Église ; elles se fièrent au contraire au charisme des mystiques, c’est-à-dire à la force de l’esprit divin capable de faire voler en éclats autorités et hiérarchies.
Alors que Brigitte de Suède et Catherine de Sienne, plus avisées, se mettaient à couvert en recherchant la protection de la curie et d’une organisation monastique, et réussissaient, au moins partiellement, à faire partager leurs aspirations politiques et leurs idées théologiques, la mauvaise humeur grandit à l’encontre du “goût excessif des femmes pour le miraculeux” au cours du XVe siècle, et pas seulement dans le milieu des théologiens. De plus en plus de femmes furent dénoncées comme “fausses prophétesses”, et Rome refusa la canonisation à des mystiques et des visionnaires déjà vénérées communément comme des saintes - notamment Jeanne d’Arc ! Dès les débuts de la Réforme et, avec elle, d’une critique radicale du concept de sainteté promu par l’Église catholique, les possibilités qu’avaient les femmes d’exercer une influence sur la théologie, en ce monde comme dans l’autre, diminuèrent sensiblement. La fin du Moyen Age sonna le glas de la célébrité et de la sainteté féminines. Dès le XVIe siècle, lorsque, dans le sillage de la Réforme et de la Contre-Réforme, les faits et les arguments, la connaissance solide de la Bible et la formation théologique commencèrent à compter davantage que l’inspiration divine, le nombre des femmes vénérées comme saintes, voire canonisées, baissa nettement. Au XVIe siècle, finalement, on ne fit plus que se méfier de la spiritualité féminine, du “tendre cœur” des mystiques et de leur “volonté amoindrie par la simplicité de leurs facultés intellectuelles” ; ne pouvaient-elles pas, aussi bien, être inspirées par le Diable, voire “pénétrées” par lui ? La place réservée à la spiritualité féminine, quand celle-ci revêtait un caractère exceptionnel, fut dorénavant la chambre de torture des inquisiteurs et pour finir le bûcher, et non plus l’autel. On transforma les ravissements extatiques des mystiques en voyages nocturnes de sorcières.
Jetons un dernier regard sur l’ensemble des évolutions multiformes qui ont affecté l’existence et l’expérience quotidiennes des femmes, telles qu’on peut les appréhender au travers des sources textuelles et iconographiques de la fin du Moyen Age. Comme on l’a montré pour le travail féminin, mais aussi pour le mariage et la religiosité, la fin du Moyen Age a été une époque de renouveau et de formidables changements qui, vers la fin de la période, pour partie se consolidèrent, et pour partie cédèrent la place à d’autres transformations radicales. Tous ces bouleversements marquèrent de leur empreinte et transformèrent la vie et la place de la femme, par le fait qu’ils impliquaient et modifiaient les relations entre les sexes, que ce fût d’un point de vue économique ou juridique, religieux ou idéologique.
Il nous semble assez clair que, dans les trois derniers siècles du Moyen Age, avec des différences selon les couches sociales et les régions, les femmes conquirent des espaces de liberté et purent ouvrir des brèches dans la structure patriarcale du “mâle Moyen Age” ; ainsi en alla-t-il de leur place dans les corporations artisanales des villes, ou de leur situation juridique de “mineures”. Dans l’ensemble, le rapport des sexes apparaît vers 1500 plus ambigu qu’auparavant.
C’est ce que montre, par exemple, la polémique menée par Christine de Pizan contre une tradition fondée sur des croyances et une culture misogynes, à laquelle la femme de lettres franco-italienne dans sa Cité des Dames opposa le projet de “sauver l’honneur du sexe féminin” ; mais c’est ce que montrent aussi les attaques toujours menées contre l’ensemble du sexe féminin par les maîtres de métier et les compagnons s’efforçant d’évincer la concurrence féminine. L’émancipation et la répression, la valorisation et la dévalorisation des femmes sont les deux côtés d’une même médaille. Tel est le legs de la société médiévale à l’“époque moderne” : la dispute sur la valeur des femmes et sur leur place dans la société, la “querelle des femmes”, même au plus noir des siècles de la ”chasse aux sorcières”, ne finira plus. »
L'abus d'alcool nuit à la santé
Taille originale : 29,7 x 42 & 21 x 29,7 cm

vendredi 6 décembre 2024

Deux continents qui se touchent

Une question de propriété
« Deux heures plus tard à la Hamburger Bahnhof, S…, qui ne badine plus dès qu'il est question d'art, se penche vers moi comme pour me faire part d'une réflexion sur l'œuvre que nous avons sous les yeux (en l'occurrence une installation sinistre de Joseph Beuys) :
“Je bande.
— Pourquoi ?
— Comme ça, je ne sais pas.”
Nous nous déplaçons en crabe vers le mur d’en face, où sont épinglés des croquis réalisés avec ce qui semble être du sang ou du jus de fraise. Ça ne passionne plus S…, qui ne lit les notices qu'en coup de vent, tout fébrile, cherchant des yeux un coin sombre. Il le trouve sous la forme d’une chambre noire où sont projetés des courts-métrages expérimentaux, et comme nous nous fondons au mince public qui écoute debout, il chuchote :
“Donne-moi ta main.
— C'est toi qui m’as traînée à cette exposition.
— Je ne sais pas ce qui me prend, j’ai une montée de testostérone, là…
— Ça va passer.
— Tu ne veux pas savoir ce que je te ferais si c’était possible. Au beau milieu de cette pièce.”
Vénus était-elle transgenre ?
Taille originale  29,7 x 42 et 29,7 x 21 cm
Comment ça, je ne veux pas savoir ? D'un seul coup, et alors que je commençais à m'intéresser à l’exposition, je tends la main à S… qui la glisse dans sa poche, et je l’enroule autour de sa queue. Et c’est fascinant de réaliser qu’ainsi saisi, cet homme n’a plus une once de raison - nous avons marché deux kilomètres durant dans la neige avant de parvenir à ce musée qu'il voulait absolument visiter, non sans nous disputer trois fois parce que j’avais trop présumé de mon sens de l’orientation,
S… a entamé la visite comme si personne sinon Beuys ne méritait le nom d'artiste, mais voilà qu'une main, une petite main tiède autour de sa pine lui ôte toute capacité de penser.
Et l'excitation que je ressens, dont je lui fais part, il ne lui vient pas à l’esprit quelle est totalement détachée de ma chair. Il ne lui vient pas à l’esprit que mon corps s’en fout mais que ma tête bande — que ce sont son excitation, les images qui le traversent, qui suscitent en moi cette allégresse. N’est-ce pas exactement le nom de ce mensonge entre lui et moi ? Il prétend que je suis la source de cette érection, et je prétends être au diapason de ce désir qui ne m’appartient pas, qui plus probablement est le fait du changement brutal de température entre la rue et le musée : les femmes baisent pour un tas d’excellentes raisons qui n’ont rien à voir avec le plaisir physique. Comment un homme pourrait-il le savoir ? Comment S… pourrait-il se douter que ma bonne raison à moi, là, tout de suite, est de faire se toucher les deux continents que nous représentons et qui, sans ces conditions météorologiques passagères, cet ouragan, ne se rapprocheraient jamais l’un de l’autre ? C’est pour cette magie - pour le voir s'abandonner, redevenir aussi jeune, aussi malléable que moi, pour entendre sa voix grave prendre des aigus désespérés de petit garçon lorsque je l'enfourche, et regarder S… ouvrir grand ses yeux, pétrifié semble-t-il par la puissance que je prends, assise sur lui. »
Avoir la banane…