lundi 15 juillet 2024

Amorale et cynique

Plaisir de bouche
« Il rallume, il lui demande quelle est la sienne des deux savonnettes posées à droite et à gauche du lavabo, se frotte le sexe avec, la frotte aussi. Ils se rassoient sur le lit. Elle lui offre du chocolat au lait noisettes rapporté de l’épicerie, il s’en amuse, quand tu seras payée achète plutôt du whisky ! C’est un alcool chic que ne vendent pas ses parents, de toute façon l’alcool la dégoûte.
Sa coturne va rentrer d’un moment à l’autre de la sur-pat. Ils se rhabillent. Elle le suit dans sa chambre à lui, qu’il occupe seul en tant que moniteur-chef. Elle a abdiqué toute volonté, elle est entièrement dans la sienne. Dans son expérience d’homme. (À aucun moment elle ne sera dans sa pensée à lui. Encore aujourd’hui celle-ci est pour moi une énigme.)
Je ne sais pas à quel moment elle, non pas se résigne, mais consent à perdre sa virginité. Veut la perdre. Elle collabore. Je ne me rappelle pas le nombre de fois où il a essayé de la pénétrer et qu’elle l’a sucé parce qu’il n’y arrivait pas. Il a admis, pour l’excuser, elle :“Je suis large.”
Il répète qu’il voudrait qu’elle jouisse. Elle ne peut pas, il lui manie le sexe trop fort. Elle pourrait peut-être s’il lui caressait le sexe avec la bouche. Elle ne le lui demande pas, c’est une chose honteuse à demander pour une fille. Elle ne fait que ce dont il a envie.
Ce n’est pas à lui qu’elle se soumet, c’est à une loi indiscutable, universelle, celle d’une sauvagerie masculine qu’un jour ou l’autre il lui aurait bien fallu subir. Que cette loi soit brutale et sale, c’est ainsi. Il dit des mots qu’elle n’a jamais entendus, qui la font passer du monde des adolescentes rieuses sous cape d’obscénités chuchotées à celui des hommes, qui lui signifient son entrée dans le sexuel pur :
Je me suis masturbé cet après-midi.
Toutes des gouines dans la boîte où tu es, non ?»
Réchauffement
Taille originale : 21 x 29,7 cm et 29,7 x 21 cm
« Dois-je écrire que, dix ans avant la révolution de Mai, j’étais sublime d’intrépidité, une avant-gardiste de la liberté sexuelle, un avatar de Bardot dans Et Dieu créa la femme — que je n'avais pas vu — et donc prendre le ton de la jubilation, celle qui anime la lettre que j’ai sous les yeux, envoyée à Marie-Claude fin août 58 : “Quant à moi tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes [...] j’ai couché toute une nuit avec [...] le moniteur-chef. Une telle révélation te choque-t-elle ? J’ai également couché avec un des éducateurs physiques le lendemain. Ça y est, je suis amorale et cynique. Le pire c’est que je n'ai pas de remords. Au fond c’est tellement simple que je n'y pense plus deux minutes après.” Dans cette hypothèse, je considère la fille de S avec le regard d’aujourd'hui où, hormis l’inceste et le viol, rien de sexuel n’est condamnable, où je lis sur Internet “Vanessa va rejoindre un hôtel échangiste pour ses vacances”. Ou alors adopter le point de vue de la société française de 1958 qui faisait tenir toute la valeur d'une fille dans sa “conduite”, et dire que cette fille a été pitoyable d’inconscience et de candeur, de naïveté, lui faire porter la responsabilité de tout ? Devrai-je alterner constamment l’une et l’autre vision historique— 1958/2014 ? Je rêve d’une phrase qui les contiendrait toutes les deux, sans heurt, simplement par le jeu d’une nouvelle syntaxe. »
Une question de lumière

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