mercredi 31 juillet 2024

Elle veut du sexe

« Le visage me parle et par là m’invite à une relation sans commune mesure avec un pouvoir, fût-il jouissance ou connaissance. L’idée de l’infini se produit concrètement sous les espèces d'une relation avec le visage. »
« Ce sont des corps de femmes que l’on voit. Et souvent des corps de femmes sublimés. Quoi de plus troublant qu’une hardeuse ? On n’est plus ici dans le domaine de la “bunny girl”, la fille d’à côté, qui ne fait pas peur, qui est facile d’accès. La hardeuse, c’est l’affranchie, la femme fatale, celle qui attire tous les regards et provoque forcément un trouble, qu’il s’agisse de désir ou de rejet. Alors pourquoi plaint-on si volontiers ces femmes qui ont tous les attributs de la bombe sexuelle ?
Ce qui m’a frappée en compagnie de [hardeuses] n’est pas que les hommes les traitaient comme des moins-que-rien, ni qu’ils dominaient la situation. Au contraire, je n’ai jamais vu les hommes aussi impressionnés. Si, comme ils l’affirment si bruyamment, rien n’est plus beau pour une femme que de faire rêver les hommes, pourquoi s’obstiner à plaindre les hardeuses ? Pourquoi le corps social s’acharne-t-il à en faire des victimes, alors qu’elles ont tout pour être les femmes les plus accomplies en matière de séduction ? Quel tabou est ici transgressé qui vaille cette mobilisation fiévreuse ?
« La présentation du visage — l’expression — ne dévoile pas un monde intérieur, préalablement fermé, ajoutant ainsi une nouvelle région à comprendre ou à prendre. Elle m’appelle au contraire, au-dessus du donné que la parole met en commun entre nous. La présentation du visage me met en rapport avec l’être. L’exister de cet être s’effectue dans l’inajournable urgence avec laquelle il exige une réponse. »
La réponse, après avoir regardé quelques centaines de films pornographiques, me semble simple : dans les films, la hardeuse a une sexualité d’homme. Pour être plus précise : elle se comporte exactement comme un homosexuel en back-room. Telle que mise en scène dans les films, elle veut du sexe, avec n’importe qui, elle en veut par tous les trous et elle en jouit à tous les coups. Comme un homme s’il avait un corps de femme.
Si on regarde un film X hétérosexuel, c’est toujours le corps féminin qui est valorisé, montré, sur lequel on compte pour produire de l’effet. On ne demande pas au hardeur la même performance, on lui demande de bander, de s’agiter, de montrer le sperme. Le travail est fait par la femme. Le spectateur du film X s’identifie surtout à elle, plus qu’au protagoniste masculin. Comme on s’identifie spontanément à qui est mis en valeur, dans n’importe quel film. Le X est aussi la façon qu’ont les hommes d’imaginer ce qu’ils feraient s’ils étaient des femmes, comme ils s’appliqueraient à donner satisfaction à d’autres hommes, à être de bonnes salopes, des créatures bouffeuses de bites. On évoque souvent la frustration de la réalité, comparée à la mise en scène pornographique, ce réel où les hommes doivent baiser avec des femmes qui effectivement ne leur ressemblent pas, ou pas souvent. Il est à ce propos intéressant de remarquer que les femmes “réelles” qui surcumulent les signes de féminité, celles qui répètent douze fois dans une conversation qu’elles se sentent “tellement femmes”, et qui participent d’une sexualité compatible avec la sexualité des hommes, sont souvent les plus viriles. La frustration du réel, c’est le deuil que les hommes doivent faire, s’ils veulent entrer en hétérosexualité, de l’idée de baiser avec des hommes qui auraient des attributs externes de femmes. »
« Le visage à la limite de la sainteté et de la caricature s’offre encore… »
Taille originale : 2 fois 21 x 29,7 cm

lundi 15 juillet 2024

Amorale et cynique

Plaisir de bouche
« Il rallume, il lui demande quelle est la sienne des deux savonnettes posées à droite et à gauche du lavabo, se frotte le sexe avec, la frotte aussi. Ils se rassoient sur le lit. Elle lui offre du chocolat au lait noisettes rapporté de l’épicerie, il s’en amuse, quand tu seras payée achète plutôt du whisky ! C’est un alcool chic que ne vendent pas ses parents, de toute façon l’alcool la dégoûte.
Sa coturne va rentrer d’un moment à l’autre de la sur-pat. Ils se rhabillent. Elle le suit dans sa chambre à lui, qu’il occupe seul en tant que moniteur-chef. Elle a abdiqué toute volonté, elle est entièrement dans la sienne. Dans son expérience d’homme. (À aucun moment elle ne sera dans sa pensée à lui. Encore aujourd’hui celle-ci est pour moi une énigme.)
Je ne sais pas à quel moment elle, non pas se résigne, mais consent à perdre sa virginité. Veut la perdre. Elle collabore. Je ne me rappelle pas le nombre de fois où il a essayé de la pénétrer et qu’elle l’a sucé parce qu’il n’y arrivait pas. Il a admis, pour l’excuser, elle :“Je suis large.”
Il répète qu’il voudrait qu’elle jouisse. Elle ne peut pas, il lui manie le sexe trop fort. Elle pourrait peut-être s’il lui caressait le sexe avec la bouche. Elle ne le lui demande pas, c’est une chose honteuse à demander pour une fille. Elle ne fait que ce dont il a envie.
Ce n’est pas à lui qu’elle se soumet, c’est à une loi indiscutable, universelle, celle d’une sauvagerie masculine qu’un jour ou l’autre il lui aurait bien fallu subir. Que cette loi soit brutale et sale, c’est ainsi. Il dit des mots qu’elle n’a jamais entendus, qui la font passer du monde des adolescentes rieuses sous cape d’obscénités chuchotées à celui des hommes, qui lui signifient son entrée dans le sexuel pur :
Je me suis masturbé cet après-midi.
Toutes des gouines dans la boîte où tu es, non ?»
Réchauffement
Taille originale : 21 x 29,7 cm et 29,7 x 21 cm
« Dois-je écrire que, dix ans avant la révolution de Mai, j’étais sublime d’intrépidité, une avant-gardiste de la liberté sexuelle, un avatar de Bardot dans Et Dieu créa la femme — que je n'avais pas vu — et donc prendre le ton de la jubilation, celle qui anime la lettre que j’ai sous les yeux, envoyée à Marie-Claude fin août 58 : “Quant à moi tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes [...] j’ai couché toute une nuit avec [...] le moniteur-chef. Une telle révélation te choque-t-elle ? J’ai également couché avec un des éducateurs physiques le lendemain. Ça y est, je suis amorale et cynique. Le pire c’est que je n'ai pas de remords. Au fond c’est tellement simple que je n'y pense plus deux minutes après.” Dans cette hypothèse, je considère la fille de S avec le regard d’aujourd'hui où, hormis l’inceste et le viol, rien de sexuel n’est condamnable, où je lis sur Internet “Vanessa va rejoindre un hôtel échangiste pour ses vacances”. Ou alors adopter le point de vue de la société française de 1958 qui faisait tenir toute la valeur d'une fille dans sa “conduite”, et dire que cette fille a été pitoyable d’inconscience et de candeur, de naïveté, lui faire porter la responsabilité de tout ? Devrai-je alterner constamment l’une et l’autre vision historique— 1958/2014 ? Je rêve d’une phrase qui les contiendrait toutes les deux, sans heurt, simplement par le jeu d’une nouvelle syntaxe. »
Une question de lumière

mardi 9 juillet 2024

Profiter de la vue

Frotti-frotta
Taille originale : deux fois 29,7 x 21 cm
« J’avais à peine refermé la porte de l’appartement que Grace me clouait contre le mur et m’embrassait à pleine bouche. De sa main gauche, elle m’agrippa la nuque ; la droite explorait déjà mon corps comme un petit animal affamé. Je suis plutôt du genre porté sur la chose, mais si je n’avais pas arrêté de fumer depuis des années, Grace m’aurait envoyé directement en soins intensifs.
- Apparemment, la dame a décidé de diriger les opérations, ce soir.
- La dame, chuchota-t-elle en me mordillant l’épaule sans retenue excessive, a tellement le feu au cul qu’il va falloir sortir la lance d’incendie.
- Je le répète, le gentleman que je suis ne demande qu’à rendre service.
Grace recula, et sans me quitter des yeux, ôta sa veste qu’elle envoya balader dans le salon. Elle n’était pas trop maniaque de l’ordre. Puis, sur un baiser presque brutal, elle pivota et s’engagea dans le couloir.
- Où tu vas ?
Ma voix me parut un rien enrouée.
- Sous la douche.
Elle se débarrassa de son T-shirt à la porte de la salle de bains. Une petite flèche de lumière extérieure traversait la chambre et pénétrait dans le corridor, où elle joua sur les muscles de son dos. Après avoir suspendu le vêtement à la poignée, Grace se retourna pour me regarder, les bras croisés sur ses seins nus.
- Tu prends racine ? me lança-t-elle.
- Non, je profite de la vue.
Aussitôt, elle décroisa les bras, se passa les deux mains dans les cheveux, le dos cambré, la poitrine arrogante. Rencontrant de nouveau mon regard, elle se débarrassa de ses tennis, puis de ses chaussettes.
Ses doigts s’attardèrent sur son ventre avant de dénouer le cordon de son pantalon. Celui-ci tomba sur ses chevilles, et Grace s’en dégagea.
- Tu commences à émerger de ton hébétude ? me demanda-t-elle.
- Que oui.
Appuyée contre le chambranle, elle coinça les pouces dans l’élastique de son slip noir, arqua un sourcil en me voyant approcher. Ses lèvres dessinaient un sourire diabolique.
- Dites, vous voulez bien m’aider à enlever ce truc, monsieur le détective ?
Je l’aidai. Sans ménager ma peine. Je trouve ça épatant d’aider les autres. »
Prise en main

mardi 2 juillet 2024

En finir avec l'ambivalence ?

Une question de point de vue ?
Taille originale : 21 x 29,7 cm
« Notre histoire était pourtant unique, et sublime. À force qu’il me le répète, j’avais fini par croire à cette transcendance, le syndrome de Stockholm n’est pas qu’une rumeur. Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente-six ans son aîné ? Cent fois, j’avais retourné cette question dans mon esprit. Sans voir qu’elle était mal posée, dès le départ. Ce n’est pas mon attirance à moi qu’il fallait interroger, mais la sienne.
Encore une histoire de pomme ?
Taille originale : 29,7 x 21 cm
La situation aurait été bien différente si, au même âge, j’étais tombée follement amoureuse d’un homme de cinquante ans qui, en dépit de toute morale, avait succombé à ma jeunesse, après avoir eu des relations avec nombre de femmes de son âge auparavant, et qui, sous l’effet d’un coup de foudre irrésistible, aurait cédé, une fois, mais la seule, à cet amour pour une adolescente. Oui, alors là, d’accord, notre passion extraordinaire aurait été sublime, c’est vrai, si j’avais été celle qui l’avait poussé à enfreindre la loi par amour, si au lieu de cela G. n’avait pas rejoué cette histoire cent fois tout au long de sa vie ; peut-être aurait-elle été unique et infiniment romanesque, si j’avais eu la certitude d’être la première et la dernière, si j’avais été, en somme, dans sa vie sentimentale, une exception. Comment ne pas lui pardonner, alors, sa transgression ? L’amour n’a pas d’âge, ce n’est pas la question. »
Tête en l’air…
« Mais je ne suis pas de taille pour une joute verbale. Trop jeune et inexpérimentée. Face à lui, l’écrivain et l’intellectuel, je manque cruellement de vocabulaire. Je ne connais ni le terme de “pervers narcissique”, ni celui de “prédateur sexuel”. Je ne sais pas ce qu’est une personne pour qui l’autre n’existe pas. Je pense encore qu’il n’y a de violence que physique. Et G. manie le verbe comme on manie l’épée. D’une simple formule, il peut me donner l’estocade et m’achever.
Impossible de livrer un combat à armes égales.
Cependant, je suis assez grande pour entrevoir l’imposture de la situation et comprendre que tous ses serments de fidélité, ses promesses de me laisser le plus merveilleux des souvenirs n’étaient qu’un mensonge de plus au service de son œuvre et de ses désirs. Je me surprends maintenant à le haïr de m’enfermer dans cette fiction perpétuellement en train de s’écrire, livre après livre, et à travers laquelle il se donnera toujours le beau rôle ; un fantasme entièrement verrouillé par son ego, et qui sera bientôt porté sur la place publique. Je ne supporte plus qu’il ait fait de la dissimulation et du mensonge une religion, de son travail d’écrivain un alibi par lequel justifier son addiction. Je ne suis plus dupe de son jeu. »
Version originale anglaise
Au balcon
« Je n’en ai pas encore fini avec l'ambivalence. »
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