lundi 15 janvier 2024

Le troisième œil

Toilettes muséales
« La contemporanéité de Michel-Ange et du maniérisme est fondamentale. Il me semble que la catégorie de maniérisme nous met très bien sur la voie de ce qu’est le fait pictural, au sens le plus grossier du mot : quelque chose de maniéré dans la figure du tableau telle qu’elle sort du diagramme. Elle en sort avec une sorte de maniérisme qu’on peut toujours interpréter d’une manière anecdotique. Prenez les figures de Michel-Ange, du Tintoret, de Vélasquez. Si on parle très anecdotique, la première impression qu’on a, c’est un mélange d’extraordinaire efféminement, de maniérisme dans l’attitude, dans la pose, presque d’exubérance musculaire, comme si c’était à la fois un corps trop fort et un corps singulièrement efféminé. Les personnages de Michel-Ange ne sont pas croyables. L’école qu’on appelle maniériste, et qui fait des chefs-d’œuvre intenses, la manière dont ils font du Christ une figure, ce n’est pas croyable, ce qu’on pourrait appeler le caractère artificiel des attitudes et des postures. C’est notre œil qui voit ça, à première vue.
Taille originale : 29,7 x 21 cm

Rendez-vous plus cruels, beaux yeux qui me blessez,
Ce traict doux et piteux m’empoisonne et me tue :
Ah ! non, durez ainsi. Mon âme est combatue
De trop de desespoirs vous voyant courroucez.

Temperez seulement ces rayons elancez
Trop clairs et trop ardans qui m’offusquent la vue,
Mais ne les baissez pas : car mon mal continue,
Et mon espoir defaut quand vous les abaissez.

Doux, cruels, humbles, fiers, gais et trempez de larmes,
Amour pour ma douleur trouve en vous assez d’armes,
D’agreables langueurs, et de plaisans trespas 

Bref, toutes vos façons, beaux yeux, m’ostent la vie.
Hé donc pour mon salut cachez-vous je vous prie !
Non, ne vous cachez point, mais ne me tuez pas.

Il est évident que, d’une certaine manière, l’affirmation du fait pictural, c’est le plus beau de la peinture. C’est bien forcé que, par rapport au donné visuel, le fait pictural présente la figure sous des formes qui paraissent à l’œil extraordinairement maniérées, extraordinairement artificielles. Là-dedans, il y a quelque chose — ce n’est pas le plus profond — comme une espèce de petite provocation du peintre. La manière précisément de dire : ce n’est pas ce que vous croyez. Si bien que lorsqu’on se précipite au niveau de l’anecdote sur des considérations sur l’homosexualité des peintres, ce n’est pas ça. C’est en tant que peintres qu’ils font du maniérisme, forcément. Tout ça, c’est très insignifiant. Vous voyez : défaire les données visuelles par le diagramme qui instaure une possibilité de fait. Mais le fait n’est pas une donnée, c’est quelque chose à produire. Ce qui est produit, c’est le fait pictural, c’est-à-dire l’ensemble des lignes et des couleurs, c’est-à-dire le nouvel œil. Il a fallu passer par une catastrophe manuelle du diagramme pour produire le fait pictural, c’est-à-dire pour produire le troisième œil. »
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