jeudi 14 septembre 2023

L'exploitation de la femme…

Étude de doigté lesbien [1]
« Et, en quelques phrases dites à l’oreille du baron Hartmann, comme s’il lui eût fait de ces confidences amoureuses qui se risquent parfois entre hommes, il acheva d’expliquer le mécanisme du grand commerce moderne. Alors, plus haut que les faits déjà donnés, au sommet, apparut l’exploitation de la femme. Tout y aboutissait, le capital sans cesse renouvelé, le système de l’entassement des marchandises, le bon marché qui attire, la marque en chiffres connus qui tranquillise. C’était la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu’ils prenaient au continuel piège de leurs occasions, après l’avoir étourdie devant leurs étalages. Ils avaient éveillé dans sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation immense, où elle succombait fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée. En décuplant la vente, en démocratisant le luxe, ils devenaient un terrible agent de dépense, ravageaient les ménages, travaillaient au coup de folie de la mode, toujours plus chère. Et si, chez eux, la femme était reine, adulée et flattée dans ses faiblesses, entourée de prévenances, elle y régnait en reine amoureuse, dont les sujets trafiquent, et qui paye d’une goutte de son sang chacun de ses caprices. Sous la grâce même de sa galanterie, Mouret laissait ainsi passer la brutalité d’un juif vendant de la femme à la livre : il lui élevait un temple, la faisait encenser par une légion de commis, créait le rite d’un culte nouveau ; il ne pensait qu’à elle, cherchait sans relâche à imaginer des séductions plus grandes ; et, derrière elle, quand il lui avait vidé la poche et détraqué les nerfs, il était plein du secret mépris de l’homme auquel une maîtresse vient de faire la bêtise de se donner.
— Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d’un rire hardi, vous vendrez le monde ! »
« Sortir de l’hétérosexualité a été un énorme soulagement. »
« À partir de ce moment, Denise s’intéressa aux histoires tendres de son rayon. En dehors des heures de gros travail, on y vivait dans une préoccupation constante de l’homme. Des commérages couraient, des aventures égayaient ces demoiselles pendant huit jours.
Clara était un scandale, avait trois entreteneurs, disait-on, sans compter la queue d’amants de hasard, qu’elle traînait derrière elle ; et, si elle ne quittait pas le magasin, où elle travaillait le moins possible, dans le dédain d’un argent gagné plus agréablement ailleurs, c’était pour se couvrir aux yeux de sa famille ; car elle avait la continuelle terreur du père Prunaire, qui menaçait de tomber à Paris lui casser les bras et les jambes à coups de sabot. Au contraire, Marguerite se conduisait bien, on ne lui connaissait pas d’amoureux ; cela causait une surprise, toutes se racontaient son aventure, les couches qu’elle était venue cacher à Paris ; alors, comment avait-elle pu faire cet enfant, si elle était vertueuse ? et certaines parlaient d’un hasard, en ajoutant qu’elle se gardait maintenant pour son cousin de Grenoble. Ces demoiselles plaisantaient aussi Mme Frédéric, lui prêtaient des relations discrètes avec de grands personnages ; la vérité était qu’on ne savait rien de ses affaires de cœur ; elle disparaissait le soir, raidie dans sa maussaderie de veuve, l’air pressé, sans que personne pût dire où elle courait si fort. Quant aux passions de Mme Aurélie, à ses prétendues fringales de jeunes hommes obéissants, elles étaient certainement fausses : on inventait cela entre vendeuses mécontentes, histoire de rire. Peut-être la première avait-elle témoigné autrefois trop de maternité à un ami de son fils, seulement elle occupait aujourd’hui, dans les nouveautés, une situation de femme sérieuse, qui ne s’amusait plus à de pareils enfantillages. Puis, venait le troupeau, la débandade du soir, neuf sur dix que des amants attendaient à la porte ; c’était, sur la place Gaillon, le long de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-Augustin, toute une faction d’hommes immobiles, guettant du coin de l’œil ; et, quand le défilé commençait, chacun tendait le bras, emmenait la sienne, disparaissait en causant, avec une tranquillité maritale. »
Étude de doigté lesbien [2]
« La grande puissance était surtout la publicité. Mouret en arrivait à dépenser par an trois cent mille francs de catalogues, d’annonces et d’affiches. Pour sa mise en vente des nouveautés d’été, il avait lancé deux cent mille catalogues, dont cinquante mille à l’étranger, traduits dans toutes les langues. Maintenant, il les faisait illustrer de gravures, il les accompagnait même d’échantillons, collés sur les feuilles. C’était un débordement d’étalages, le Bonheur des Dames sautait aux yeux du monde entier, envahissait les murailles, les journaux, jusqu’aux rideaux des théâtres. Il professait que la femme est sans force contre la réclame, qu’elle finit fatalement par aller au bruit. Du reste, il lui tendait des pièges plus savants, il l’analysait en grand moraliste. Ainsi, il avait découvert qu’elle ne résistait pas au bon marché, qu’elle achetait sans besoin, quand elle croyait conclure une affaire avantageuse ; et, sur cette observation, il basait son système des diminutions de prix, il baissait progressivement les articles non vendus, préférant les vendre à perte, fidèle au principe du renouvellement rapide des marchandises. Puis, il avait pénétré plus avant encore dans le cœur de la femme, il venait d’imaginer “les rendus”, un chef d’œuvre de séduction jésuitique. “Prenez toujours, madame : vous nous rendrez l’article, s’il cesse de vous plaire.” Et la femme, qui résistait, trouvait-là une dernière excuse, la possibilité de revenir sur une folie : elle prenait, la conscience en règle. Maintenant, les rendus et la baisse des prix entraient dans le fonctionnement classique du nouveau commerce. »
« L’art est une extension de l'imaginaire masculin. »

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