samedi 5 novembre 2022

Méditations pornographiques [4]

Ici et ailleurs…

La pornographie, comme la sexualité dont elle relève, suppose un acte de foi semblable à une conversion religieuse. Il faut croire en la pornographie pour tirer un plaisir sinon une excitation de ce spectacle, comme le croyant admet que les gestes qu’il effectue ou que le prêtre effectue complaisent à la volonté divine. Sans la foi, et d’aucuns ne l’ont pas, spectacle ou cérémonie apparaissent dans tout leur fragile arbitraire sinon dans leurs grotesques rituels. Mais quel contenu a la croyance de l’amateur ou amatrice de pornographies ? Ce que nous voyons, ce sont des corps en action, mais ce qui nous émeut, c’est l’excitation sexuelle qui s’y manifeste, le désir qui s’y révèle. Sans cette excitation, la chair n’est que matière organique, triste comme le dit le poète hautain qui vient sans doute d’éjaculer. Il faut y croire, à cette excitation, pour pouvoir la partager en retour.

Cette croyance touche au sacré comme la ferveur mystique qui abolit le monde profane aux alentours. C’est la communion des âmes, aussi illusoire soit-elle, qui nous emporte progressivement et nous plonge enfin dans l’extase. Sans la croyance, la cérémonie se réduit à des gestes prosaïques sinon grotesques, à des mises en scène dérisoires d’un désir non partagé. Cela est manifeste lorsque nous sommes confrontés à des pratiques perverses qui nous sont étrangères : le fétichisme des pieds m’indiffère, le ligotage compliqué du bondage japonais, le shibari, m’ennuie, la double ou triple pénétration anale ne vaut à mes yeux que comme exploit physique sans que transparaisse l’excitation déclencheur de la mienne propre… Et l’on comprend aussi pourquoi le rire, qui est désacralisant, est très généralement évité en pornographie : il faut prendre la chose au sérieux si l’on veut y croire.

Dans cette perspective, on voit facilement les analogies entre la pornographie et notamment la peinture baroque. Celle-ci montre des corps tout autant martyrisés qu’extatiques, mais, sous peine de ridicule, ce double excès dans la douleur physique comme dans l’élévation spirituelle nécessite que l’on partage — même si c’est de façon minimale pour un athée comme moi — la foi des personnages mis en scène.

Y a-t-il alors entrée progressive dans la croyance pornographique ou bien révélation semblable à la conversion claudélienne derrière son pilier notredamesque ? En effet, nous sommes imprégnés d’une culture religieuse qui nous fait accepter une crucifixion comme symbole divin, et une telle habituation nous rend facilement sensibles aux excès baroques. Il se peut qu’un phénomène similaire intervienne dans le passage d’un érotisme soft (celui des pin-up, des top modèles, des actrices, de toutes ces femmes jeunes et belles — et maintenant de jeunes éphèbes — dont les corps à peine dénudés s’affichent dans l’espace public) à une pornographie explicite qui peut alors être reçue comme une révélation alors que les voies qui y mènent restent inaperçues. On ne tranchera pas ici cette question à laquelle chaque pornographe répondra selon son expérience propre. On soulignera seulement que la foi peut également se perdre, souvent progressivement, et le spectacle pornographique perdre sa magie devant des corps qui semblent répéter jusqu’à l’absurde les mêmes rituels sans âme.

Enfin, si la pornographie est manifestement polythéiste, certains, certaines peuvent croire qu’il s’agit d’un culte maléfique et que c’est bien le diable, le malin, le démon qui s’agite en ces lieux. Ainsi fleurit ça et là l’iconoclasme antipornographique, la croyance au mal absolu qu’incarnerait la pornographie.

Taille originale : 29,7 x 21 cm

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