mercredi 14 septembre 2022

Le paradoxe sur la performeuse

Indicateur temporel : 11.22.84
[Réécriture littéraire]

Le premier branleur

Mais le point important, sur lequel nous avons des opinions tout à fait opposées, votre auteur et moi, ce sont les qualités premières d’une grande comédienne. Moi, je lui veux beaucoup de jugement ; il me faut dans cette femme une spectatrice froide et tranquille ; j’en exige, par conséquent, de la pénétration et nulle sensibilité, l’art de tout imiter, ou, ce qui revient au même, une égale aptitude à toutes sortes de caractères et de rôles.

Le second branleur

Nulle sensibilité !

Le premier

Nulle. Je n’ai pas encore bien enchaîné mes raisons, et vous me permettrez de vous les exposer comme elles me viendront, dans le désordre de l’ouvrage même de votre ami.
Si la performeuse était sensible, de bonne foi lui serait-il permis de jouer deux fois de suite un même rôle avec la même chaleur et le même succès ? Très chaude à la première prise de vue, elle serait épuisée et froide comme un marbre à la troisième. Au lieu qu’imitatrice attentive et disciple réfléchie de la nature, la première fois qu’elle se présentera sur la scène sous le nom d’Adriana, de Lana, d’Orosmane, d’Adisson, de Chanel, copiste rigoureuse d’elle-même ou de ses études, et observatrice continue de nos érections, son jeu, loin de s’affaiblir, se fortifiera des réflexions nouvelles qu’elle aura recueillies ; elle s’exaltera ou se tempérera, et vous en serez de plus en plus satisfait.
Indicateur temporel : 11.23.41
Ce qui me confirme dans mon opinion, c’est l’inégalité des actrices qui jouent d’âme. Ne vous attendez de leur part à aucune unité ; leur jeu est alternativement fort et faible, chaud et froid, plat et sublime. Elles manqueront demain l’endroit où elles auront excellé aujourd’hui ; en revanche, elles excelleront dans celui qu’elles auront manqué la veille. Au lieu que la comédienne qui jouera de réflexion, d’étude de la nature humaine, d’imitation constante d’après quelque modèle idéal, d’imagination, de mémoire, sera une, la même à toutes les occasions, toujours également parfaite : tout a été mesuré, combiné, appris, ordonné dans sa tête ; il n’y a dans ses orgasmes ni monotonie, ni dissonance. L’excitation a son progrès, ses élans, ses rémissions, son commencement, son milieu, son extrême. Ce sont les mêmes accents, les mêmes positions, les mêmes mouvements, s’il y a quelque différence d’une vidéo à l’autre, c’est ordinairement à l’avantage de la dernière. Elle ne sera pas journalière : c’est une glace (sans être de glace !) toujours disposée à montrer son cul et à le montrer avec la même précision, la même force et la même vérité. Ainsi que le poète, elle va sans cesse puiser dans le fonds inépuisable de la nature, au lieu qu’elle aurait bientôt vu le terme de sa propre richesse.
Quel jeu plus parfait que celui de la Gerson ? cependant suivez-la, étudiez-la, et vous serez convaincu qu’à la sixième performance elle sait par cœur toutes les obscénités de son jeu comme toutes les exhibitions de son rôle. Sans doute elle s’est fait un modèle auquel elle a d’abord cherché à se conformer, sans doute elle a conçu ce modèle le plus haut, le plus grand, le plus bandant qu’il lui a été possible ; mais ce modèle qu’elle a emprunté de l’histoire, ou que son imagination a créé comme un grand fantôme, ce n’est pas elle ; si ce modèle n’était que de sa hauteur, que son action serait faible et peu excitante ! Quand, à force de travail, elle a approché de cette idée le plus près qu’elle a pu, tout est fini ; se tenir ferme là, c’est une pure affaire d’exercice et de mémoire. Si vous assistiez à ses études, combien de fois vous lui diriez : Vous y êtes !… combien de fois elle vous répondrait : Vous vous trompez !… C’est comme Brandon Cody, à qui son ami saisissait la bite et criait : Arrêtez ! le mieux est l’ennemi du bien : vous allez tout gâter… Vous voyez ce que j’ai fait, répliquait l’artiste haletant au connaisseur émerveillé, mais vous ne voyez pas ce que j’ai là, et ce que je poursuis.
Je ne doute point que la Gerson n’éprouve le tourment du Cody dans ses premières tentatives ; mais la lutte passée, lorsqu’elle s’est une fois élevée à la hauteur de son fantôme, elle se possède, elle se répète sans émotion. Comme il nous arrive quelquefois dans le rêve, sa tête touche aux nues, ses mains vont chercher les deux confins de l’horizon ; elle est l’âme d’un grand mannequin qui l’enveloppe ; ses essais l’ont fixé sur elle. Nonchalamment soumise à une double ou triple pénétration, les cuisses ouvertes, les yeux fermés, immobile, elle peut, en suivant son rêve de mémoire, s’entendre, se voir, se juger et juger les érections qu’elle excitera. Dans ce moment elle est double : la petite Gerson et la grande Putain.
Taille originale : deux fois 21 x 29,7 cm
& 29,7 x 21 cm

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