mardi 20 septembre 2022

Le paradoxe sur la performeuse (deuxième partie)

Retable moderne
Taille originale :
cinq fois 29,7 x 21 cm
[Réécriture littéraire]

Le premier branleur

Mais quoi ? dira-t-on, ces accents si jouissifs, si lascifs, que cette femme arrache du fond de ses entrailles, et dont les miennes sont si violemment secouées, ce n’est pas le sentiment actuel qui les produit, ce n’est pas la jouissance qui les inspire ? Nullement ; et la preuve, c’est qu’ils sont mesurés ; qu’ils font partie d’un système de déclamation : que plus bas ou plus aigus de la vingtième partie d’un quart de ton, ils sont faux ; qu’ils sont soumis à une loi d’unité ; qu’ils sont, comme dans l’harmonie, préparés et sauvés : qu’ils ne satisfont à toutes les conditions requises que par une longue étude ; qu’ils concourent à la solution d’un problème proposé ; que pour être poussés juste, ils ont été répétés cent fois, et que malgré ces fréquentes répétitions, on les manque encore ; c’est qu’avant de dire :
Mets-la moi, mets-la moi bien profond
ou,
Je vais jouir, je vais jouir, je jouis !
la performeuse s’est longtemps écoutée elle-même ; c’est qu’elle s’écoute au moment où elle vous trouble, et que tout son talent consiste non pas à sentir, comme vous le supposez, mais à rendre si scrupuleusement les signes extérieurs du sentiment, que vous vous y trompiez. Les cris de son plaisir sont notés dans son oreille. Les gestes de son orgasme sont de mémoire, et ont été préparés devant une glace ou un smartphone*. Elle sait le moment précis où elle ouvrira ses cuisses et où les larmes de foutre couleront ; attendez-les à ce mot, à ce geste, ni plus tôt ni plus tard. Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, ces sons étouffés ou traînés, ce frémissement des membres, ce vacillement des genoux, ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation, leçon recordée d’avance, grimace pathétique, singerie sublime dont la performeuse garde le souvenir longtemps après l’avoir étudiée, dont elle avait la conscience présente au moment où elle l’exécutait, qui lui laisse, heureusement pour le réalisateur, pour le spectateur et pour elle, toute la liberté de son esprit, et qui ne lui ôte, ainsi que les autres exercices, que la force du corps. Le peignoir remis sur les épaules, sa voix est éteinte, elle éprouve une extrême fatigue, elle va changer de culotte ou se coucher ; mais il ne lui reste ni trouble, ni plaisir, ni mélancolie, ni affaissement d’âme. C’est vous qui remportez toutes ces impressions. La performeuse est lasse, et vous tristes d’un plaisir évanoui ; c’est qu’elle s’est démenée sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener (si ce n’est une brève manuélisation). S’il en était autrement, la condition de la performeuse serait la plus malheureuse des conditions ; mais elle n’est pas la nymphomane, elle la joue et la joue si bien que vous la prenez pour telle : l’illusion n’est que pour vous ; elle sait bien, elle, qu’elle ne l’est pas.

Titre au choix :

  • Singerie sublime
  • Vierge folle
  • Assomption
  • Auto-suffisance
  • Un sujet plein au corps opaque (post-lacanien)
  • Circuit court
Des sensibilités diverses, qui se concertent entre elles pour obtenir le plus grand effet possible, qui se diapasonnent, qui s’affaiblissent, qui se fortifient, qui se nuancent pour former un tout qui soit un, cela me fait rire. J’insiste donc, et je dis : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les perfomeurs médiocres : c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais performeurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les performeuses sublimes. » Les orgasmes de la performeuse descendent de son cerveau ; celles de l’homme sensible montent de son sexe : ce sont les entrailles qui troublent sans mesure la tête de l’homme sensible ; c’est la tête de la performeuse qui porte quelquefois un trouble passager dans ses entrailles ; elle pleure comme un prêtre incrédule qui prêche la Passion ; comme une séductrice aux genoux d’un homme qu’elle n’aime pas, mais qu’elle veut tromper ; comme un gueux dans la rue ou à la porte d’une église, qui vous injurie lorsqu’il désespère de vous toucher ; ou comme une courtisane qui ne sent rien, mais qui se pâme entre vos bras.

* également appelé téléphone intelligent, téléphone multifonction, mobile multifonction ou encore ordiphone
Triptyque d'une cathédrale invisible
Montée au ciel

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