mardi 9 novembre 2021

Les derniers foutrages

Taille originale : 29,7 x 21 cm
Style roman
« Le docteur Bayer est mort lui aussi. Avide de découvertes il passait l’éponge sur nos frasques de jeunes filles sans trop se faire prier. “Déshabillez-vous”, hurlait-il devant les spectateurs à groin de porc qui hantaient son vestibule. Il fouillait nos sphères sensibles de la cave au pignon sculpté de notre frise. La langue rose du docteur achevait sa propre enquête quand le bistouri de l'homme en blanc vous forçait à courber l’échine. “Tu vois, ceux qui ont des pompons rouges ? Ce sont des cadeaux de la marine”, criait-il triomphant, un doigt à l’orée de l’orifice anal, l'autre tendu raide vers l’auditoire surchauffé. Tout était faux et profond et réel en même temps. On se laissait dévorer par le docteur Bayer sans songer à jouer la comédie : on écartait ses cuisses avec une fureur volcanique devant la vieille ganache. “Les derniers foutrages”, minaudait la demoiselle de la poste qui, friande du spectacle, fut souvent “de passage”.
Ils sont tous morts, ces vieux docteurs, et ceux qui prennent leur place, si semblables dans leur jeunesse, ne sont qu'un monceau d'ordures.
Je commence à comprendre le fameux renoncement à soi-même prescrit avec plus ou moins de clarté par toutes les religions. La suppression des penchants en partant du plus bas. Le détachement. Se détacher (détacher) de l’amour. Gommer la haine, oublier l’amitié même. Le monde n'est pas identique pour différents individus, il n'est le même que lorsqu'il est privé de vie ou que nos relations avec lui sont privées de vie. Tel le cri poussé dans la forêt illogique de l’hôpital, tel son écho au-dehors. En écoutant les réponses le crieur discerne peu à peu s'il a crié juste ou faux. Je me détache de mon courage. Je ne suis plus coquette, ni soignée ni lavée certains jours. Je me détache de mon passé. Je ne cherche plus à m'évader. Le hasard lui-même n'a plus de portée significative, il tombe dans la banalité dès sa parution. D'abord, ne sommes-nous pas là pour afficher nos vices et nos tares, nos extraordinaires singularités ? Personne n'a le temps d'écouter le voisin, personne n'a envie de le regarder. Sans prise de conscience, sans tension ni étonnement ; sans coup de téléphone aux amis, le hasard perd de son charme. Il n'émeut plus. On l'oublie. Je renonce à comprendre la raison de ma présence ici. Je laisse la question en suspens. J'ai libéré mon entourage de mon fantôme : je sais que “dehors” les visites sont considérées comme une corvée désagréable. Je n'en reçois plus. Je ne lis plus. Je n'écris plus. J'attends. »
Bauhaus

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