jeudi 30 septembre 2021

Restrictions pulsionnelles

Taille originale : 14,8 x 21 cm
« Le mariage de la société absolutiste de cour du XVe au XVIIIe siècle est caractérisé par le fait que, en raison des structures de cette société, la domination de l'homme sur la femme se trouve complètement abolie. Sa puissance sociale égale ici à peu près celle de l'homme ; l'opinion sociale est déterminée autant par la femme que par l'homme ; et si, jusque-là, seul l’homme était autorisé par la société à entretenir des rapports extra-conjugaux alors qu'on jugeait plus ou moins sévèrement ceux du sexe “socialement plus faible”, on commence à les considérer, dans certaines limites, comme socialement légitimes.
Décoration papale
Ce serait une tâche à part de montrer quelle incidence décisive ce gain de puissance sociale, ou si l'on ose s'exprimer ainsi, cette première émancipation de la femme dans la société absolutiste de cour, a eue sur la progression du seuil de la pudeur, de la sensibilité aux expériences pénibles, du renforcement du contrôle de l’individu par la société en général. De même que tout gain de puissance, que toute ascension de groupes sociaux rendaient nécessaires une nouvelle réglementation de la vie pulsionnelle et un renforcement de la répression sur une “ligne moyenne” s'établissant à mi-chemin entre les restrictions de la couche dirigeante et celles imposées à la couche assujettie, de même le renforcement de la position sociale de la femme entraîna-t-il — pour employer une formule un peu schématique — un relâchement des restrictions pulsionnelles imposées aux femmes et une aggravation de celles imposées aux hommes ; de fait, il en résulta pour l’homme autant que pour la femme un resserrement de l’autocontrôle affectif dans leurs relations réciproques.
Taille originale : 42 x 21 cm
Dans son célèbre roman La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette met dans la bouche du mari, qui sait que sa femme s'est éprise du duc de Nemours, la phrase suivante : “Je ne me veux fier qu’à vous-même ; c'est le chemin que mon cœur me conseille de prendre, et la raison me le conseille aussi ; de l’humeur dont vous êtes, en vous laissant votre liberté, je vous donne des bornes plus étroites que je ne pourrais vous en prescrire”.
Décor français classique
C'est un exemple de l'étrange nécessité de l'autodiscipline que cette situation impose à l’homme et à la femme. L'homme sait qu'il ne peut retenir sa femme de force. Il ne s’emporte pas, parce que sa femme en aime un autre, il ne se réfère pas non plus à ses droits d'époux ; l'opinion publique n'admettrait pas une telle attitude ; il s'impose une grande modération : je te laisse ta liberté, dit-il à sa femme, et je sais que ce faisant je t'assigne des limites plus étroites que si je formulais des règles et des préceptes. Autrement dit, il attend de sa femme la même autodiscipline dont il fait preuve. C'est un exemple typique de la situation nouvelle telle qu'elle découle de l’égalité des sexes. Ce n’est pas, à vrai dire, l'époux en tant qu'individu qui accorde ces libertés à la femme. Elles sont inscrites dans les structures de la société. Mais elles postulent en même temps un comportement nouveau. Elles sont génératrices de conflits spécifiques. Toujours est-il qu'il y a, dans cette société, un grand nombre de femmes qui font usage de ces libertés. D'innombrables anecdotes prouvent que l'aristocratie de cour considérait la limitation des rapports sexuels au mariage comme “bourgeoise” et indigne de la condition de noble. Mais cet exemple nous montre aussi à quel point une certaine forme et un certain niveau de l’engagement humain et social correspondent à une forme déterminée de liberté. »

 

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