vendredi 16 juillet 2021

La réalité de son corps

Fenêtre aveugle

 
taille originale : 10,4 x 14,8 cm

« Un après-midi où elle se promenait à Times Square, son appareil à la main, elle avait engagé la conversation avec le portier d’un bar-discothèque topless. Il faisait chaud, et Maria était vêtue d’un short et d’un T-shirt, une tenue plus légère qu’à son habitude. Mais elle était sortie ce jour-là avec l’envie qu’on la remarque. Elle souhaitait affirmer la réalité de son corps, faire tourner les têtes, se prouver qu’elle existait encore aux yeux des autres. Maria était bien bâtie, avec de longues jambes et de jolis seins, et les sifflements et réflexions obscènes qu’on lui avait adressés ce jour-là lui avaient remonté le moral. Le portier lui avait dit qu’elle était une belle fille, aussi belle que celles qu’on voyait à l’intérieur, et au fil de la conversation elle s’était soudain entendue proposer un emploi. L’une des danseuses s’était fait porter malade, disait le portier, et si elle voulait prendre sa place, il la présenterait au patron et on verrait bien si ça pouvait s’arranger. Presque sans réfléchir. Maria avait accepté. C’est ainsi que naquit son œuvre suivante, qui fut connue finalement sous le titre : la Dame nue. Maria avait demandé à une amie de venir ce soir-là prendre des photos d’elle pendant son exhibition — sans intention de les montrer à qui que ce fut, juste pour elle-même, afin de satisfaire sa propre curiosité quant à son apparence. Elle se muait délibérément en objet, en image anonyme du désir, et il lui paraissait capital de comprendre avec précision en quoi consistait cet objet. Elle n’avait fait cela que cette seule fois, travaillant par périodes de vingt minutes de huit heures du soir à deux heures du matin, mais elle n’y avait mis aucune retenue et, tout le temps qu’elle avait passé sur scène, perchée derrière le bar avec des lumières stroboscopiques colorées rejaillissant sur sa peau nue, elle avait dansé de tout son cœur. Vêtue d’un string orné de strass et chaussée de talons aiguilles, elle agitait son corps au rythme d’un rock and roll assourdissant en regardant les hommes la fixer. Elle tortillait du cul vers eux, se passait la langue sur les lèvres, leur faisait des clins d’œil aguichants tandis qu’ils l’encourageaient à continuer en lui glissant des billets de banque. Comme dans toutes ses entreprises, Maria était bonne à ce jeu. Du moment qu'elle était lancée, on n’aurait guère pu l’arrêter. »
Sous l'œil de la caméra
taille originale : 14,8 x 10,4 cm

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire