dimanche 9 août 2020

Fadaises

Diptyque
Taille originale : 14,2 x 10,2 cm

« Pendant les années passées chez les F., j’ai appris que le sexe occupe au moins quatre-vingts pour cent de la tête et des yeux de l’homme. S’il a été trop longtemps privé de femmes par un séjour en mer ou en prison, ou par des années de fidélité à une épouse pimbêche, il se met à avoir la tête pleine de rêves à laisser baba un jeune sultan. Chez la plupart des hommes, le sexe se passe dans la tête. Lisez les “livres cochons”, comme on dit, les classiques et les ouvrages qu’on va vous chercher sous le comptoir. Tous écrits par des hommes. Rien que des idées de branleur solitaire, impossibles à réaliser, des jeux et des situations ridicules. Quand un homme se rend chez une putain, il s’est monté le bourrichon, il s’attend à voir ses rêves satisfaits. Ça n’arrive jamais. Et ce n’est pas possible. On peut exciter un homme, le sucer, le baiser, faire des tas de choses, mais ce qu’il y a dans la tête y restera, comme un pays de cocagne. Dans un bordel, une putain sérieuse a le devoir, c’est son travail, de lui faire vraiment apprécier le contact de deux corps, de l’amener par des jeux variés à avoir tous ses nerfs excités jusqu’au moment où il finira par éjaculer. Cela peut sembler bien peu romantique, mais la vérité du sexe n’a rien de romantique. C'est une chose réelle, qui se joue avec des corps réels. Un besoin absolu de détente, comme le ressort d’un mouvement de montre. Un plaisir animal extrêmement vif. Ceux qui parlent de romantisme dans le sexe confondent avec l’amour. Le moment venu, j’essaierai de montrer la différence, et de faire comprendre comment les deux, sexe et amour peuvent aller ensemble, sous le même collier. Les fadaises que tartinent les poètes, c'est simplement une manière chic de se branler et rien d’autre. »
Taille originale : 10,2 (ou un peu plus…) x 14,2 cm
« À mesure que notre entrée en guerre [1917] paraissait devenir inévitable, les filles devenaient de plus en plus difficiles à tenir. Je les recrutais où je les trouvais, et j’eus même une véritable femme de la bonne société, ce qui avait toujours été contre mes principes. Elle habitait près de Lake Charles, avec un mari et des enfants, mais elle avait toujours été attirée par les grosses brutes à grosse queue, et plus la queue était grosse, plus elle se faisait rudoyer, et plus elle était aux anges. Elle sortait d’une famille de gens très riches et très en vue. Elle se faisait appeler Alice et se délectait à venir passer une semaine chez nous dans les moments où il y avait vraiment du pain sur la planche, avec les ouvriers des arsenaux au portefeuille rembourré, les camionneurs qui s’enrichissaient tant et plus et tous ces individus bas et vulgaires pour qui la guerre était une providence. Ils n’auraient jamais pu, avant, se payer une maison de qualité comme la mienne, et à présent ils se rattrapaient, voulant essayer tout ce qu’ils avaient vu sur des cartes postales françaises, cassant tout, noyant les filles sous les bas de soie, les bouteilles de parfum et les liqueurs de marque. Quand ils étaient passés, la chambre ressemblait à un champ de bataille, mais ils payaient. C’était ce genre d’hommes qui plaisaient à Alice, elle les recherchait avec une vraie fureur, et plus ils étaient crasseux et mal embouchés, mieux ça valait. Elle n’en avait jamais assez de se faire enfiler, sucer, fouetter, défoncer - c’était à elle seule un sacré répertoire de tous les excès sexuels – et, avec ces butors en guêtres et chemise de soie toute neuve, elle trouvait à qui parler. Elle avait eu des extases et des orgasmes à une cadence de mitrailleuse, me disait-elle le lundi à midi en repartant pour Lake Charles, les yeux creux, tenant à peine sur ses jambes, pâle comme un poisson mort, mais heureuse. C’est ce genre de femmes, avides de faire ça pour le plaisir, qui devait finir par pousser les maisons à la faillite, mais à l’époque on ne s’en rendait pas compte. Ce n’est pas que je devenais prude, mais je commençais à sentir la fatigue. »

La disparition
« En un sens, la nature a joué un vilain tour à l’homme en lui collant en même temps sur le dos un besoin et une angoisse. Les enfants grandissent ou sont déjà grands, et le voilà qui se retrouve comme un vieux taureau mis à paître, le corps empâté et les articulations qui commencent à grincer. Mais, ils me le répétaient, ils avaient toujours dans la tête le souvenir des anciens plaisirs. Et ça les prenait aux couilles et aux reins, l’envie d’en retâter avec une fille vraiment à la hauteur, de trouver quelque chose de spécial dans la maison de Z. F. C’est comme ça que ça se passe pour beaucoup d’hommes.
À la différence des célibataires convaincus ou des noceurs de la haute, ces hommes-là, ces épaves poussées par une nécessité, se transformaient d’un seul coup en hédonistes - c’est un mot qui a une belle sonorité, même si je l’ai trouvé dans un livre. Et ils étaient mortellement sérieux, sans la moindre trace d’humour, sauf pour sortir une vieille plaisanterie éculée. Tellement concentrés sur ce qu’ils faisaient qu’ils lâchaient tout leur paquet au bout de quelques câlins, sans même obtenir ce qu’ils étaient venus chercher, et qu’on était tout disposées à leur donner. » 
Taille originale : 10,2 x 14,2
« Les gens qui ratent leur vie sexuelle ratent en général tout le reste, sauf quand ils remplacent le sexe par la course au pouvoir. Prenez n’importe quel grand manitou de la politique, du pétrole ou des chemins de fer, vous trouverez un être lamentable au lit. J’en ai connu un bon nombre dans ma carrière. Le pouvoir leur tient lieu de pine, l’argent de baisage. Quand ils ont besoin de sexe, c’est pour se détendre les nerfs. Il suffit qu’ils aient mis la main sur une grosse affaire, absorbé une compagnie de chemin de fer, saisi une grosse hypothèque ou écarté de leur route un rival politique pour qu’ils aient envie de sauter sur une femme en piaffant comme un canasson fraîchement libéré de son harnais. Mais on ne fait pas l’amour comme on avale un médicament. C’est gaspiller de la marchandise. »

2 commentaires:

  1. J'espère que vous ne vivez pas dans les quartiers qui servent de supports aux oeuvres que vous réalisées. C'est vrai que j'imagine mal vos oeuvres sur des fonds de lagons avec cocotiers en érections.
    Avec beaucoup d'admirations Antoine

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  2. Je n'y vis pas nécessairement mais j'en suis souvent voisin. Pour quelques-uns, j'y suis comme visiteur étranger. Merci pour l'appréciation.

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