« Le smartphone ne se trompe pas. On remballe nos matelas et nos duvets, et on rejoint une faille abritée en contrebas du crêt de la Neige, une faille au fond de laquelle repose tout au long de l’année un névé qui prend la forme d’un cétacé échoué, un béluga, pourquoi pas. Au fond de ce trou, c’est un vrai frigo, on raconte d’ailleurs que les vieux bergers venaient y dissimuler des bouteilles d’alcool, des morceaux de viande, de la crème, du beurre, du lait. Quand l’orage éclate, du fait de l’inclinaison des parois, la pluie ne nous atteint pas, mais chaque coup de tonnerre nous défonce les tympans. Nadia évoque ces dessins animés où un chat se fait claquer la tête entre deux couvercles de poubelle en fer, c’est à peu près ce qu’on ressent. On ne grelotte plus seulement de froid, c’est la répercussion du son d’une paroi à l’autre qui nous ébranle entièrement.
Délicatesse Taille originale : 29,7 x 42 cm |
Après la dernière et plus violente secousse, Nadia me saute dessus - cette fois on a l’air de deux matelots qui s’agrippent l’un à l’autre tandis que leur rafiot coule à pic. Les nuages noirs se dispersent et le jour se lève enfin. En remontant à la surface on s’étale sous un petit résineux. Nadia se déshabille alors que ses habits sont secs, je fais de même. On s’enlace brutalement. On sait que personne ne risque de nous repérer. On peut crier autant qu’on veut, on peut rire aux éclats, on peut exagérer, on peut simuler l’orgasme du siècle. On doit avoir besoin de se décharger de toute l’électricité qu’on vient de se prendre dans la face, dans le ventre, jusqu’au bout des doigts de pied. On n’a jamais été aussi excités, mais ce n’est presque pas sexuel. Ça pourrait être un nouveau sport, une sorte de lutte à peine plus douce, ou bien du karaté allongé. Difficile de dire qui l’emporte à l’arrivée. Non, personne, il s’agissait d’un match coopératif - Nadia m’a présenté récemment ces jeux où il n’y a ni compétition ni vainqueur, mais ce ne sont pas ceux qu’Elliot préfère.
Du vent dans les voiles Taille originale : 29,7 x 21 cm |
On s’arrête aux chalets de Lâchât en redescendant à La Rivière, le premier chalet est ouvert et on refait l’amour dans un grand lit en bois massif, le genre de lit qu’on trouve dans les contes, dans Boucle d’or : ici, ce serait le lit du papa ours. On fait l’amour normalement, si ça peut vouloir dire quelque chose, on semble avoir besoin maintenant de se décharger de la tension physique engendrée pour notre performance artistique sans public, on baise et on prend notre pied, on jouit à trois secondes d’intervalle, et sans tambour ni trompette, comme on en avait pris l’habitude dans le sous-sol de chez Mireille. On rejoint de nouveau le chemin. Dans certains virages en surplomb, on aperçoit le fond de la vallée. On ne parle plus, on se contente du bruit de nos pas dans les cailloux et dans les feuilles mortes, et une question me tourmente et je suis obligé de me mordre les lèvres pour ne pas la laisser s’échapper. Une question qui me travaille depuis un moment déjà. »
Caricature et clichés |
[75 pages plus loin]
« Je la suis dans la cage d’escalier. Je la suis sur le parking de l’immeuble jusqu’à sa voiture. On s’enlace une dernière fois devant la Dacia dont la portière du conducteur est ouverte, et je lui répète encore que je ne l’oublierai pas et que je l’attendrai autant qu’il faudra. Elle s’installe au volant, elle claque la portière. J’avance à côté du véhicule qui sort du parking en marche arrière, j’accélère le pas quand elle s’élance sur la route, je m’interromps rapidement, le souffle court, je ne peux pas courir, je n’en ai pas la force. Je la laisse filer sur la départementale, je m’immobilise le long de la chaussée, je ne la vois plus. Elle est partie. Elle a disparu. Je suis décimé. »
Quand la porte s’ouvre… ou se referme |
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