jeudi 20 mai 2021

Imposture amoureuse

« Avant d'aller plus loin, laissez-moi vous apporter une précision importante... (Depuis que j'ai entamé l'écriture de ce chapitre, j'entends avec insistance des voix qui se demandent : “Mais enfin, elle est lesbienne ou pas ?” ; question qui perturbe mon esprit et dont il faut que je me débarrasse avant de continuer.)
J'ai rencontré dans ma vie des homosexuels rebutés par le sexe opposé, comme j'ai rencontré des hétérosexuels qui affirmaient l'aversion contraire. À l'autre extrémité, j'ai rencontré des bisexuels déclarés, revendiquant une sexualité libre à géométrie variable. Entre ces deux pôles, toute une nuance d'individus : de l'homo qui tombe amoureux de quelqu'un du sexe opposé, à l'hétéro attiré par quelqu'un du même sexe ; de l'hétéro qui tente l'expérience d'une relation homosexuelle, à l'homo occasionnel qui a du mal à choisir. Bref, le désir étant incessamment mouvant, si tant est qu'on lui prête attention, les variations sont infinies. Sur ce nuancier sexuel, je me situais désormais quelque part dans la tranche du milieu. Bien qu'ayant commencé près du bord, de rencontres en réflexions, de libertés prises en expériences partagées, j'avais peu à peu glissé vers une tendance plus souple. Pour résumer : les filles déclenchaient en moi un désir plus fort, mais les garçons ne me laissaient pas totalement indifférente.
désirer \ consentir
Taille originale : 21 x 29,7 cm

 

Maintenant que j'ai réglé cette question, je dois vous parler d'amour. Je pense que le plus grand dommage que cette vie chaotique a causé en moi est lié à l'amour. L'amour, au sens de tomber amoureux, était un sentiment auquel je n'avais pas accès. Je restais toujours en deçà, incapable de franchir une barrière dressée quelque part à l'intérieur de moi. Quelque chose s'était défait, détaché, envolé. Quelque chose d'essentiel avait disparu. Quand je vois dans les journaux télévisés les enfants de la guerre ou de la misère, réfugiés dans des camps ou jetés sur les routes, je me dis aussitôt qu'ils sont atteints de la même maladie d'amour que moi. Pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, cette anomalie affective ne me dérangeait pas. Après tout, il fallait bien que la machine se détraque quelque part, non? Quitte à choisir, je préférais avoir perdu l'amoureuse en moi que me réveiller un matin couverte de psoriasis ou plongée dans de multiples addictions. Cela dit, comme un malentendant qui lit sur les lèvres pour masquer son handicap, il m'arrivait de faire semblant, imitant les gestes repérés chez les autres filles pour donner le change (le seul que je n'ai jamais pu reproduire : glisser ma main dans la poche arrière du pantalon de l'autre. Je demande pardon à celles qui font ce truc, mais moi, c'est au-dessus de mes forces). Je n'étais pas fière d'agir de la sorte, consciente que j'étais dans l'imposture, mais je gardais espoir que mes imitations maladroites déclenchent un jour le mécanisme et fassent sauter la barrière. »

 

mise en scène enlevée
taille originale : 24 x 32 cm

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