vendredi 18 août 2023

Une algèbre complexe

« S’il suffisait de retraduire pour mettre les choses au point, comme ce serait facile ! Mais certains cas sont épineux. Chez les Hindous, par exemple, il est grotesque de penser que le malpropre et le sacré puissent appartenir à une même catégorie linguistique. Mais la notion de pollution chez les Hindous suggère une autre manière d’aborder le problème. Après tout, le sacré et le profane ne sont pas nécessairement et toujours diamétralement opposés. Il peut s’agir de catégories relatives. Ce qui est propre par rapport à telle chose peut être sale par rapport à telle autre, et vice versa. Le vocabulaire de la pollution se prête à une algèbre complexe qui tient compte des variables dans chaque contexte. Par exemple, le professeur Harper explique comment les Havik de Malnad, région de l’Etat de Mysore, expriment le respect.
“Les conduites qui entraînent généralement la pollution sont parfois voulues et expriment alors la déférence et le respect ; en faisant ce qui, en d’autres circonstances, serait profanation, un individu exprime sa situation d’inférieur. Par exemple, le thème de la subordination de la femme à son époux se trouve exprimé par le rite selon lequel elle mange dans la feuille de son époux quand celui-ci a terminé...”
Autre exemple, encore plus net :
“Une sainte femme, sadhu, devait être traitée avec le plus grand respect quand elle rendait visite au village. C’est ainsi que le liquide où avaient baigné ses pieds passa de main en main dans un récipient spécial en argent. Toutes les personnes présentes en versèrent dans leur main droite et la burent, la traitant comme liquide sacré (tirtha). L’assistance montrait ainsi qu’elle élevait cette femme au rang de déesse et non de simple mortelle. De toutes les manifestations de respect par la pollution, la plus étonnante, la plus fréquente aussi, consiste à utiliser la bouse de vache comme produit de nettoyage. Les femmes havik adorent quotidiennement une vache, et les hommes en font autant lors de certaines cérémonies. […] On dit parfois que les vaches sont des dieux. Ou encore que plus de mille dieux les habitent. On enlève les pollutions mineures à l’eau; les pollutions plus graves s’enlèvent avec de l’eau et de la bouse de vache. […] La bouse de vache, comme les excréments de tout autre animal, est intrinsèquement impure et peut être la cause d’une souillure. Elle peut en fait souiller un dieu; mais par rapport à un homme, elle est pure. […] La partie la plus impure de la vache est suffisamment pure par rapport à un prêtre brahmine pour délivrer celui-ci de ses impuretés.”
Il est évident que nous avons affaire ici à un langage symbolique capable de différenciations très subtiles. Cet emploi du rapport entre pureté et impureté n’est pas incompatible avec notre propre langage et ne soulève pas de paradoxe embarrassant. Loin de confondre les notions de sacré et de malpropreté, les Hindous les distinguent au contraire avec la plus extrême finesse. »

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