jeudi 17 novembre 2022

Une si atroce licence

 

Regard expert

Au XVIe siècle européen…

« Toutes ces opinions passaient pour offenser Dieu ; en fait, on leur reprochait surtout d’ébranler l’importance de l’homme. Il était donc naturel qu’elles menassent en prison ou plus loin leurs propagateurs.
Qu’on redescendit des pures idées aux chemins tortueux de la conduite humaine, et la peur, encore plus que l’orgueil, devenait le premier moteur des exécrations. La hardiesse du philosophe qui préconise le libre jeu des sens et traite sans mépris des plaisirs charnels enrageait la multitude, sujette dans ce domaine à beaucoup de superstitions et à plus d’hypocrisie. Peu importait que l’homme qui s’y risquât fût ou non plus austère et parfois même plus chaste que ses acharnés détracteurs : il était convenu qu’aucun feu ni supplice au monde n’était capable d’expier une si atroce licence, précisément parce que l’audace de l’esprit semblait aggraver celle du simple corps. L’indifférence du sage pour qui tout pays est patrie et toute religion un culte valable à sa manière exaspérait mêmement cette foule de prisonniers ; si ce philosophique renégat, qui ne reniait pourtant aucune de ses croyances véritables, était pour eux tous un bouc émissaire, c’est que chacun, un jour, secrètement ou parfois même à son insu, avait souhaité sortir du cercle où il mourrait enfermé. Le rebelle qui se levait contre son prince provoquait chez les gens d’ordre quelque chose de la même envieuse furie : son Non dépitait leur incessant Oui. Mais les pires de ces monstres qui pensaient singulièrement étaient ceux qui pratiquaient quelque vertu : ils faisaient bien plus peur quand on ne pouvait les mépriser tout entiers. »
De main de maître
Taille originale : 21 x 29,7 cm & 29,7 x 21 cm

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