taille originale : 36 x 27 cm |
« À la limite, le rationalisme pourrait paradoxalement concevoir une folie où la raison ne serait pas perturbée, mais qui se reconnaîtrait à ceci que toute la vie morale est faussée, que la volonté est mauvaise. C’est dans la qualité de la volonté, et non dans l’intégrité de la raison, que réside finalement le secret de la folie. Un siècle avant que le cas de Sade ne mette à la question la conscience médicale de Royer-Collard, il est curieux de noter que le lieutenant d’Argenson s’est, lui aussi, interrogé sur un cas un peu analogue — au génie près : “une femme âgée de seize ans dont le mari s’appelle Beaudoin… publie hautement qu’elle n’aimera jamais son mari, qu’il n’y a point de loi qui l’ordonne, que chacun est libre de disposer de son cœur et de son corps comme il lui plaît, mais que c’est une espèce de crime de donner l’un sans l’autre.” Et le lieutenant de police ajoute : “Je lui ai parlé deux fois et quoique accoutumé depuis plusieurs années aux discours impudents et ridicules, je n’ai pu m’empêcher d’être surpris des raisonnements dont cette femme appuie son système. Le mariage n’est proprement qu’un essai selon son idée…” Au début du XIXe siècle, on laissera Sade mourir à Charenton ; on hésite encore, dans les premières années du XVIIIe siècle, à enfermer une femme dont il faut bien reconnaître qu’elle n’a que trop d’esprit. Le ministre Pontchartrain refuse même à d’Argenson de la faire mettre pour quelques mois au Refuge : “Trop fort”, note-t-il, “lui parler sévèrement”. Et pourtant d’Argenson n’est pas loin de la faire traiter comme les autres insensés : “Au rapport de tant d’impertinences, j’étais porté à la croire folle.” Nous sommes sur la voie de ce que le XIXe siècle appellera “folie morale” ; mais ce qui est plus important encore, c’est qu’on voit apparaître ici le thème d’une folie qui tout entière repose sur une volonté mauvaise, sur une erreur éthique. »
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