“T’es obligée ? T’es obligée ?” Elles me suppliaient. Et puis : “Pour l’amour de Dieu !
- Doux Jésus ! je leur répondais en criant, mais elles n’en savaient pas assez pour rire avec moi.
- T’es obligée ? T’es obligée ?”
Chuinte, chuinte.
“Pour l’amour de Dieu, t’es obligée de toujours tout terminer par cul ? Une obsession anale, voilà ce que tu as, une foutue obsession anale.
- C’est vrai, c’est vrai, je leur disais, et tu sais même pas dire foutue. Une femme qui dit foutue avec autant de mollesse que toi vaut même pas le prix d’une assiette remplie de merde !”
Les mots grossiers, crus, vulgaires et les gestes encore plus vulgaires - maman les connaissait tous. Espèce d’enculé, fous le camp de mes platebandes, au flic qui était venu prendre les meubles. Sale bâtard suceur de merde ! à l’homme qui avait mis sa main sous sa jupe. Chaque jour de la vie de maman, Jésus chiait dans son froc. Même si elle me giflait quand je les utilisais, ma maman m’a appris le pouvoir des vilains mots. Dis foutu. Dis nom de Dieu. Dis tout ce que tu veux mais commence par Jésus et termine par merde. Ajoute ce rire, celui qui camoufle ton cœur brisé. Oh, ne montre jamais ton cœur brisé ! Fais-leur plutôt croire que tu n’en as pas.
“Si des gens s’apprêtent à te frapper, ne reste pas juste allongée là. Crie-leur dessus !
- Oui, maman.”
Le langage, donc, et le ton, et la cadence. Mettez- moi en colère et je prendrai la voix de ma mère pour vous maudire jusqu’à la septième génération. Mais il faut vous donner de la peine pour me mettre en colère. Je mesure ma colère aux rages de ma maman et à son insistance sur le fait que la plupart des gens ne méritent même pas notre temps. “On est d’un autre peuple. On ne voit pas si souvent des gens de notre espèce sur Terre”, m’a dit ma maman. Je savais ce qu’elle voulait dire par là. Je connais la valeur des culs tannés de ce monde. Et je suis la fille de ma maman - plus coriace que du chiendent, plus méchante que tous les botteurs de culs, les chieurs, les culs froids et les mous du cul que j’ai jamais connus. Mais c’est vrai que parfois je parle comme ça juste pour me rappeler ma maman, la survivante, la résistante, celle qui ne pouvait pas toujours se taire. »
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