Le songe du criminel |
« L’endroit est moderne, meublé à la va-vite dirait-on, avec des meubles de principe modern style. Il dit : je n’ai pas choisi les meubles. Il fait sombre dans le studio, elle ne demande pas qu’il ouvre les persiennes. Elle est sans sentiment très défini, sans haine, sans répugnance non plus, alors est-ce sans doute là déjà du désir. Elle en est ignorante. Elle a consenti à venir dès qu’il le lui a demandé la veille au soir. Elle est là où il faut qu’elle soit, déplacée là. Elle éprouve une légère peur. Il semblerait en effet que cela doive correspondre non seulement à ce qu’elle attend, mais à ce qui devrait arriver précisément dans son cas à elle. Elle est très attentive à l’extérieur des choses, à la lumière, au vacarme de la ville dans laquelle la chambre est immergée. Lui, il tremble. Il la regarde tout d’abord comme s’il attendait qu’elle parle, mais elle ne parle pas. Alors il ne bouge pas non plus, il ne la déshabille pas, il dit qu’il l’aime comme un fou, il le dit tout bas. Puis il se tait. Elle ne lui répond pas. Elle pourrait répondre qu’elle ne l’aime pas.
Elle ne dit rien. Tout à coup elle sait, là, à l’instant, elle sait qu’il ne la connaît pas, qu’il ne la connaîtra jamais, qu’il n’a pas les moyens de connaître tant de perversité. Et de faire tant et tant de détours pour l’attraper, lui il ne pourra jamais. C’est à elle à savoir. Elle sait. À partir de son ignorance à lui, elle sait tout à coup : il lui plaisait déjà sur le bac. Il lui plaît, la chose ne dépendait que d’elle seule.
Elle lui dit : je préférerais que vous ne m’aimiez pas. Même si vous m’aimez je voudrais que vous fassiez comme d’habitude avec les femmes. Il la regarde comme épouvanté, il demande : c’est ce que vous voulez ? Elle dit que oui. Il a commencé à souffrir là, dans la chambre, pour la première fois, il ne ment plus sur ce point. Il lui dit que déjà il sait qu’elle ne l’aimera jamais. Elle le laisse dire. D’abord elle dit qu’elle ne sait pas. Puis elle le laisse dire. Il dit qu’il est seul, atrocement seul avec cet amour qu’il a pour elle. Elle lui dit qu’elle aussi elle est seule. Elle ne dit pas avec quoi. Il dit : vous m’avez suivi jusqu’ici comme vous auriez suivi n’importe qui. Elle répond qu’elle ne peut pas savoir, qu’elle n’a encore jamais suivi personne dans une chambre. Elle lui dit qu’elle ne veut pas qu’il lui parle, que ce qu’elle veut c’est qu’il fasse comme d’habitude il fait avec les femmes qu’il emmène dans sa garçonnière. Elle le supplie de faire de cette façon-là. »
« imposer de force sa morale sexuelle et sa politique répressive… » Taille originale : 21 x 29,7 cm & 29,7 x 21 cm |
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