Taille originale : deux fois 29,7 x 21 cm |
« Ainsi voyons-nous dans Les Suppliantes la notion de krátos osciller entre deux acceptions contraires sans pouvoir se fixer sur l’une plutôt que sur l’autre. Dans la bouche du roi Pélasgos, krátos, associé à kúrios, désigne une autorité légitime, la mainmise qu’exerce à bon droit le tuteur sur qui dépend juridiquement de son pouvoir ; dans la bouche des Danaïdes, le même mot attiré dans le champ sémantique de bía, désigne la force brutale, la contrainte de la violence dans son aspect le plus opposé à la justice et au droit. Cette tension entre deux sens contraires s’exprime de façon particulièrement saisissante dans la formule du vers 315 dont E. W. Whittle a montré toute l’ambiguïté. Le mot rhúsios, qi appartient lui aussi à la langue juridique et qui est ici appliqué à l’action qu’exerce sur Io le toucher de Zeus, signifie à la fois et contradictoirement : la violence brutale d’une saisie, la suave douceur d’une délivrance. Cet effet d’ambiguïté n’est pas gratuit. Voulu par le poète, il nous introduit au cœur d’une œuvre dont un des thèmes majeurs consiste précisément dans une interrogation sur la nature véritable du krátos. Qu’est-ce que l’autorité, celle de l’homme sur la femme, du mari sur l’épouse, du chef d’État sur ses concitoyens, de la cité sur l’étranger et le métèque, des dieux sur les mortels. Le krátos repose-t-il sur le droit, c’est-à-dire, l’accord mutuel, la douce persuasion, la peithō ? Ou repose-t-il au contraire sur la domination, la force pure, la violence brutale, la bia ? Le jeu de mots auquel se prête un vocabulaire aussi précis que celui du droit permet d’exprimer sur le mode de l’énigme le caractère problématique des fondements du pouvoir exercé sur autrui. »
Un sentiment d'horreur ? |
« Mais c’est surtout sur le plan de l’expérience humaine du divin que se dessinent les oppositions. On ne trouve pas dans la tragédie une catégorie unique du religieux, mais des formes diverses de vie religieuse qui apparaissent antinomiques et exclusives les unes des autres; Le chœur des Thébaines, dans Les Sept, avec son appel angoissé à une présence divine, ses courses éperdues, ses cris tumultueux, la ferveur qui les jette et les tient attachées aux plus vieilles idoles, les archaîa brétē, non dans les temples consacrés aux dieux, mais en pleine ville, sur la place publique — ce chœur incarne une religion féminine qui est catégoriquement condamnée par Etéocle au nom d’une religiosité autre, à la fois virile et civique. Pour le chef de l’État, la ferveur émotive des femmes ne signifie pas seulement désordre, lâcheté, “sauvagerie” ; elle comporte aussi un élément d’impiété. La vraie piété suppose sagesse et discipline, sōphrosúnē et peitharchía ; elle s’adresse à des dieux dont elle reconnaît la distance, au lieu de chercher comme la religion des femmes à la combler. La seule contribution qu’Etéocle accepte de la part de l’élément féminin à un culte public et politique, qui sait respecter le caractère lointain des dieux sans prétendre mêler le divin à l’humain, c’est l’ololugé, le iou-iou, qualifié de hiéros parce que la cité l’a intégré à sa propre religion et le reconnaît comme le cri rituel accompagnant la chute de la victime dans le grand sacrifice sanglant. »
Titre au choix :
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Mise à jour : juillet 2023 |
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