« Mais les corps n’existent pas seulement dans l’espace ; ils existent aussi dans le temps. Ils ont de la durée, et chaque instant de leur durée peut nous les montrer sous une apparence différente et dans un rapport différent. Chacune de ces apparences, chacun de ces rapports momentanés est l’effet d’une action antécédente, peut devenir la cause d’une action subséquente, et par conséquent nous présente une sorte de centre d’actions. La peinture peut donc aussi imiter les actions, mais seulement d’une manière indicative et par le moyen des corps.
D'un autre côté, les actions ne peuvent exister par elles-mêmes ; il faut qu'elles soient produites par certains êtres agissans. Ainsi, pour autant que ces êtres sont des corps ou peuvent être regardés comme tels, la poésie peint aussi les corps, mais seulement d’une manière indicative et par le moyen des actions.
La peinture, dans ses compositions où tous les objets coexistent, ne peut saisir qu’un seul instant de l’action ; elle doit donc le choisir aussi fécond qu’il est possible, et tel qu’il fasse comprendre le mieux possible ce qui précède et ce qui suit. »
Corps et âmes en mouvement… Taille originale : deux dessins 29,7 x 21 cm & un autre 21 x 29,7 cm |
« Appliquons cette idée au Laocoon, et la cause que nous cherchons paraîtra dans son évidence. Quel étoit ici le but de l'artiste ? La suprême beauté, sous la condition donnée de la douleur corporelle. Cette douleur dans toute sa violence auroit détruit la beauté. Il fallut donc la réduire; il fallut réduire les cris à des soupirs ; non que les cris décèlent une ame foible, mais parce qu'ils défigurent le visage et en rendent l'aspect dégoûtant. Qu'on ouvre seulement en idée la bouche du Laocoon et qu'on juge : qu'on le fasse crier et qu’on voie ! D’une figure qui nous inspiroit la pitié, parce ce qu’elle exprimoit à-la-fois la beauté et la souffrance, nous aurons fait une hideuse image dont nous voudrions détourner les yeux, parce que l'aspect de la douleur nous importune, sans que la beauté de l'objet souffrant puisse changer ce sentiment importun dans le doux sentiment de la compassion.
La simple ouverture de la bouche (sans parler de la contraction dégoûtante et forcée qu'elle produit dans le reste des traits) forme dans la peinture une tache, et dans la sculpture un creux de l’effet le plus désagréable. Montfaucon montre peu de goût, lorsque, dans une vieille tête barbue qui a la bouche ouverte, il croit trouver un Jupiter rendant des oracles. Faut-il donc qu'un Dieu crie lorsqu'il révèle l'avenir ? Le contour agréable de sa bouche rendrait-il ses discours suspects ? Je ne saurais même croire Valère-Maxime, lorsqu'il dit que Timanthe avoit fait crier Ajax dans le tableau déjà cité. Des artistes bien inférieurs, dans les temps de la décadence de l'art, ne font pas crier les barbares les plus féroces, lorsque la terreur et l'angoisse de la mort les saisissent, sous l'épée sanglante des vainqueurs. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire