« À l’époque classique, peindre ce qu’on appelle désormais les “passions” devient un enjeu considérable : c’est pour l’artiste le moyen de rivaliser avec le poète en remplaçant les mots ou les paroles par des gestes. La représentation des émotions s’inscrit ainsi dans le débat de l’ut pictura poesis, qui puise ses racines chez l’écrivain romain Horace. Il s’agit de comparer la peinture et la poésie et d’examiner les prétentions de la première à égaler la seconde (ut pictura poesis signifie littéralement “comme la peinture, la poésie”, autrement dit “la poésie est semblable à un tableau” — ou, comme l’interprète tendancieusement la pensée classique, “un tableau est comme un poème”). Dans ce débat, les peintres modernes ont tout à gagner. À une époque où ils revendiquent pour leur art un statut libéral, autrement dit d’activité intellectuelle, la comparaison des tableaux avec les œuvres des poètes est à leur avantage. Les artistes, d’ailleurs, ne prétendent pas seulement égaler les écrivains : certains théoriciens affirment la supériorité de leur art sur celui qui utilise les mots, en avançant que ce qui est vu suscite plus efficacement l’émotion que ce qui est décrit.
Taille originale : 29,7 x 21 cm & 21 x 29,7 cm |
Une autre comparaison agite également, à l’âge classique, le monde des amateurs et des artistes et influence le travail de ces derniers : le paragone (le mot, italien, signifie “comparaison”) entre la sculpture et la peinture. Née au XVe siècle, atteignant son point culminant au milieu du XVIe siècle, où elle entraîne une consultation des praticiens, véritable référendum au sein du petit monde professionnel, la discussion sur les mérites comparés des deux disciplines avance toujours les mêmes arguments. Ceux qui défendent la sculpture argumentent que cet art est le seul capable de donner véritablement l’illusion de corps, parce qu’il montre les figures en trois dimensions. Les peintres répondent quelquefois en disposant les figures de telle sorte qu’on les voie selon plusieurs angles : ils inventent le motif d’un miroir qui montre la partie de l’anatomie cachée du modèle (comme dans la Vénus au miroir de Diego Velázquez à Londres à la National Gallery), ou bien ils disposent, de face, de profil et de dos, des corps si semblables qu’on peut considérer qu’ils copient un modèle unique (comme dans le Combat de nus d’Antonio Pollaiolo, ou encore dans les Trois Grâces de Rubens, à Madrid au musée du Prado). Ils avancent encore que la statuaire est une pratique salissante et qui exige une grande force musculaire — autrement dit, qui mobilise le corps au détriment de l’esprit — et qu’eux-mêmes ont l’avantage de placer les personnages qu’ils représentent dans des décors qui imitent la nature. »
De l'ombre à la lumière |
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