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Quelle obscénité ? Taille originale : 21 x 29,7 cm & 29,7 x 42 cm |
« Il ne s’était pas non plus masturbé, se rendait-il compte, depuis l’époque où les gens n’employaient, pour désigner cette activité, que le mot “onanisme”, ce mot froid, sentant le livre de médecine et la Bible. Il y avait, bien sûr d’autres mots en circulation, mais on pensait toujours à ça sous le nom d’onanisme. Onanisme, fornication, défécation, des mots graves, venus de son enfance, représentant des activités sur lesquelles il était préférable de réfléchir avant de s’y adonner. De nos jours, on ne parlait plus que de se branler, de baiser et de chier, et personne n’y regardait à deux fois avant de passer à l’acte. Bon, il s’aventurait lui-même à dire chier de temps en temps, en privé. Jack, bien entendu, parlait de branlette sans la moindre retenue et de baisouille aussi. Graham hésitait encore un peu à employer ces mots. “La branlette”, après tout, était un mot si dépourvu de culpabilité, si tranquille, si plein de charme domestique, qu’il amenait facilement l’idée de violon d’Ingres.
Graham ne s’était pas masturbé depuis vingt-deux ans. Branlé. Il y avait plusieurs appartements, plusieurs maisons où il ne l’avait jamais fait. Il s’assit sur le siège des toilettes et regarda autour de lui. Puis il se leva et tira à lui le panier à linge au couvercle de liège. Les pieds laissèrent sur la moquette quatre petites dépressions aux quatre angles d’un rectangle de poussière. Graham s’assit de nouveau sur le siège des toilettes, approcha encore le panier à linge et mit son sac en papier dessus. Puis il baissa son pantalon et son slip sur ses chevilles.
Ce n’était pas une position très confortable. Il se leva, rabattit le couvercle des toilettes et posa une serviette dessus. Et il se rassit. Il respira profondément, chercha dans son sac en papier et en sortit les deux magazines qu’il avait achetés en rentrant chez lui à un marchand de journaux indien, après une séance de cinéma dans un quartier excentrique. Il avait essayé de paraître étonné, quand il les avait achetés, comme s’ils étaient réellement pour quelqu’un d’autre. Au fond, pensait-il, il n’avait réussi qu’à paraître hypocrite.
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Une fin heureuse ?
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L’un des magazines était Penthouse, qu’il connaissait, l’autre Rapier, qu’il ne connaissait pas. Il les posa côte à côte, sur le panier à linge, et lut la liste des articles sur les couvertures. Il s’interrogeait à propos du titre Rapier. Rapière ? Rapt ? Était-ce pour suggérer un monde de sexualité flibustière, dont Errol Flynn serait le roi ? de viols en costume d’époque ?
Les deux filles, sur les couvertures, n’exposant chacune, à cause de quelque réglementation concernant ces publications, qu’un seul téton, frappèrent Graham par leur étonnante beauté. De telles filles avaient-elles vraiment besoin de se mettre nues ? Ou existait-il une relation entre une extrême beauté et l’envie de se mettre nue ? Plus probablement il s’agissait de la relation qui s’établit entre le fait d’être extrêmement belle et de se voir offrir de substantielles sommes d’argent pour enlever ses vêtements. C’était certainement là la réponse juste.
Il prit une profonde inspiration, baissa les yeux vers ce qu’il appelait jusqu’ici son pénis, mais dont le mot lui apparaissait maintenant incertain, le prit dans sa main droite et tourna la page de couverture de Rapier avec sa main gauche. Il y avait ici une table des matières plus détaillée, illustrée par une photographie d’un ravin profond et rose, bordé d’une forêt tropicale. D’après ce que l’on pouvait voir la pluie venait aussi de tomber. Graham était fasciné et en même temps légèrement apeuré. Ensuite vinrent quelques pages de lettres de lecteurs, illustrées également de vues topographiques et plongeantes, puis huit pages de photos d’une autre fille fort belle en vérité. Sur la première page de cette série, la fille était assise dans un fauteuil d’osier, n’ayant sur elle qu’une petite culotte ; ensuite, elle apparaissait nue jouant avec un de ses tétons ; ensuite avec son machin un peu plus bas, et enfin, à la huitième page, elle semblait vouloir retourner complètement sa… comme s’il s’agissait de la poche d’un pantalon. Arrivé à cette dernière page, tandis que le cerveau de Graham restait, si l’on peut dire bouche bée, sa semence (c’était ainsi qu’il la qualifiait naguère, mais ne savait plus très bien comment l’appeler maintenant) jaillit brusquement de la façon la plus inattendue. Elle retomba sur la manche gauche de son pull-over, sur le panier à linge et sur la jolie contorsionniste.
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Détourner les yeux
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Pris de panique, comme s’il n’avait au mieux que deux secondes pour le faire, Graham s’empara de quelques feuilles de papier de toilette et commença à éponger sa manche, le magazine, ce qu’il appelait encore, faute de mieux, son pénis et le panier à linge sale. À sa consternation, il s’aperçut que le sommet en liège du panier portait maintenant plusieurs marques humides, assez gluantes. Il jeta les feuilles de papier mouillé dans la cuvette, et s’interrogea sur ce qu’il devait faire. Clairement, les taches ne ressemblaient pas à de simples marques d’eau. Que pouvait- il dire qu’il avait renversé ? De l’after-shave ? Du shampooing ? Il pensa faire couler quelques gouttes de shampoing sur le panier à linge, de sorte que, quand Ann l’interrogerait (comme quand son père l’interrogeait), il pourrait au moins ne pas lui mentir. Mais qu’allait-il se passer si le shampooing faisait une marque différente ? Alors, il lui faudrait dire qu’il avait renversé un peu de shampooing et aussi un peu d’after-shave. Cela n’apparaissait pas très plausible. Ensuite, il se rendit compte qu’il était resté à peine cinq minutes dans la salle de bains. Ann ne rentrerait pas avant des siècles. Il pouvait rester assis et voir ce qui allait se passer avec la tache.
Cela n’avait pas été une particulièrement bonne… branlette, comme il pensait qu’il ferait mieux d’appeler ça maintenant. C’était trop bref, trop soudain, et trop inquiétant à la fin pour qu’on puisse en jouir consciemment. Pourtant, il avait été plus que surpris par ces magazines. Il se pencha en arrière, contre la chasse d’eau et ouvrit
Penthouse. Il lut la table des matières et ouvrit le journal à l’article sur les boissons. Assez bien fait, même si le ton en était désinvolte. Puis il lut l’article sur les voitures, un autre sur la mode et une nouvelle de science-fiction, dans laquelle on se demandait ce qu’il adviendrait aux hommes quand on parviendrait à construire des robots qui seraient de bien meilleurs amants que leurs rivaux de chair et d’os, tout en étant également capables de féconder les femmes. Ensuite, il lut le courrier des lecteurs : les réponses de la rédaction le frappèrent par leur bon sens.
À ce moment-là, il remarqua deux choses : sa bite, comme il sentait qu’il allait l’appeler maintenant, durcissait de nouveau, tandis qu’il lisait la lettre d’une ménagère du Surrey, ravie du nombre d’objets usuels en forme de godemichés, capables de satisfaire toute personne passionnée de plaisirs solitaires, et sa semence (il n’était pas encore prêt à utiliser le mot foutre) semblait avoir séché complètement. Au point où j’en suis... se dit-il avec enjoue- ment, avant de recommencer à se branler avec soin, trouvant cette fois plus d’intérêt et de plaisir, au début, au milieu et à la fin. »
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Sans fin…
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