Une pornographie carnavalesque ? Taille originale : 21 x 29,7 cm |
« En un mot, il n’existe pas un schéma unique [dans les organisations saisonnières des sociétés anciennes, notamment chez les peuples de chasseurs-cueilleurs]. Le seul phénomène commun à toutes ces configurations, c’est la transformation même et la conscience qu’elle fait naître des diverses sociétés possibles. Voilà qui nous confirme que cherches les “origines de l’inégalité” est une fausse piste. Comment après tant d’allées et venues entre des organisations sociales aussi variées, avons-nous pu nous retrouver coincés dans un modèle unique ? Comment avons-nous perdu la conscience politique qui faisait autrefois la spécificité de notre espèce ? Comment la domination et l’asservissement en sont-ils venus à représenter à nos yeux des éléments incontournables de notre condition humaine plutôt que de simples expédients temporaires ou même les fastes de quelque grandiose comédie saisonnière ?
Dans l’immédiat, nous voulons souligner un point fondamental : cette souplesse et le potentiel de conscience politique qu’elle contient n’ont jamais vraiment disparu. La saisonnalité fait encore partie de nos existences, bien qu’elle ne soit plus que l’ombre d’elle-même. Ainsi, le monde chrétien a toujours la période hivernale des “fêtes”, au cours de laquelle on observe une forme d’inversion des valeurs et des modes d’organisation — par exemple, les médias et annonceurs qui colportent leur individualisme consumériste enragé tout le reste de l’année se mettent soudain à clamer que l’important, c’est la relation aux autres et que donner vaut mieux que recevoir. (Et puis, dans les pays “éclairés” comme la France de Marcel Mauss, il y a aussi les grandes vacances estivales, quand tout le monde pose ses outils et fuit les villes pour un bon mois.)
Vue d’automne Taille originale : deux fois 21 x 29,7 cm |
Ici, la corrélation historique est évidente. Nous avons vu que, dans de nombreuses sociétés, comme les Inuits ou les Kwakiutls, les temps de rassemblement saisonniers étaient également des saisons rituelles presque entièrement dédiées à la danse, aux cérémonies et aux représentations théâtrales. Dans certains cas, cela incluait la création d’un roi éphémère, voire d’une police rituelle dotée d’un véritable pouvoir coercitif (même si, bizarrement, ses membres faisaient souvent aussi office de clowns). Dans d’autres, par exemple lors des “orgies” d’hiver inuites, toutes les normes de rang et de propriété se voyaient dissoutes.
Tout est possible… Une autre mise en scène… |
C’est une dichotomie qui s’observe presque partout lors d’occasions festives. Pour prendre un exemple connu, les fêtes des saints dans l’Europe du Moyen Âge faisaient alterner, d’une part, de grands spectacles solennels où s’étalaient les hiérarchies ultra-complexes de la société féodale (elles apparaissent encore lors des cérémonies de remise des diplômes dans les universités américaines, pour lesquelles on revêt d’ailleurs temporairement un costume médiéval), et, d’autre part, des carnavals déjantés où l’on jouait à “mettre le monde sens dessus dessous”. Durant le carnaval, tout était possible: les femmes pouvaient commander les hommes, les enfants pouvaient diriger le gouvernement, les domestiques pouvaient faire trimer leurs maîtres, les ancêtres pouvaient revenir d’entre les morts, des “rois” pouvaient être couronnés, puis détrônés, des dragons géants en osier pouvaient être fabriqués puis brûlés, ou bien tous les rangs officiels pouvaient être pulvérisés pour laisser place à une bacchanale foutraque d’un genre ou d’un autre*.
De même que pour la saisonnalité, il n’y a pas de modèle unique. »
* Sur le “carnavalesque”, le grand classique est de Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance (1982).
Sens dessus-dessous… |
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