samedi 11 mars 2023

Expressions faciales

Jeu de garçon ?
« Je suis toujours étonné de voir l’énergie inépuisable des jeunes grands singes mâles qui s’ébattent, sautent sur des objets, s’attaquent et se roulent par terre, le visage rieur, tout en se déchiquetant mutuellement. Ils se défoulent, puisqu’il s’agit de simulacres d’agressions, de bagarres, de poussées, de bousculades, de gifles et de morsures, juste pour s’amuser. Les grands singes ont le visage radieux, la bouche ouverte, et produisent des sons rauques qui ressemblent à des rires et révèlent clairement leurs intentions. Le signal est essentiel pour éviter toute confusion, car leur interaction a souvent des allures de combat. Si un jeune chimpanzé saute sur un congénère et plante ses dents dans son cou en riant, l’autre sait que c’est un jeu. Imaginons la même scène qui se déroulerait dans le silence : cela pourrait être une attaque, appelant une réaction différente. Le rire des chimpanzés est tellement sonore et contagieux que, à la station de terrain du centre Yerkes, quand je l’entends depuis mon bureau qui domine l’enclos herbeux où ils sont environ vingt-cinq à vivre, je m’esclaffe en les voyant s’amuser.
Jeu de fille ?
Ces jeux musclés sont beaucoup moins fréquents chez les femelles. Les chimpanzés femelles pratiquent la lutte, mais avec une forme de nonchalance, rarement comme si c’était une épreuve de force. Elles penchent vers des jeux différents, parfois très inventifs. Je me souviens de deux femelles prépubères qui essayaient d’atteindre mon bureau. Pendant une période, elles tentaient leur chance tous les jours. Elles commençaient par déposer un grand tambour en plastique sous ma fenêtre. Puis elles montaient dessus et grimpaient l’une sur l’autre. Celle qui était en dessous fléchissait les jambes avant de les étirer comme un ressort. L’autre, juchée sur ses épaules, s’efforçait d’atteindre ma fenêtre avec les mains, mais n’y arrivait jamais. Leur duo était loin des vraies-fausses bagarres entre mâles.
Ouvertures
Taille originale : deux fois 29,7 x 21 cm
L’exubérance de ces derniers, ainsi que leurs démonstrations de force, font que les jeunes femelles gardent leurs distances. Ce n’est pas leur tasse de thé. D’où, sans doute, la ségrégation sexuée des jeux de tous les primates. Les mâles jouent entre eux et les femelles entre elles. Leurs styles d’interaction sont plus compatibles. Les femelles ont tendance à se retirer des jeux de mâles auxquelles elles pourraient s’initier. Elles le font d’elles-mêmes indépendamment de tout critère de genre comme il en existe dans nos sociétés. Chez les humains, la ségrégation sexuée est aussi la règle. Dans le monde entier, les enfants créent des aires de jeu séparées : une pour les garçons, une pour les filles.
Art moderne ?
Carol Martin et Richard Fabes ont suivi pendant six mois 61 enfants américains de 4 ans tandis qu’ils jouaient librement. Voici leur conclusion : “Plus les garçons jouaient avec des garçons, plus on observait cher eux avec le temps l’expression d’émotions positives. Leur jeu a beau être brutal et axé sur la domination, ils semblent le juger de plus en plus intéressant et prenant. [...] D’autres recherches laissent penser qu’ils réagissent avec un vif intérêt et une vigueur équivalente quand un nouveau venu propose un jeu brutal, alors que ce n’est pas le cas chez les filles.”
Les enseignants n’apprécient pas toujours la sauvagerie de ces jeux. C’est pourquoi sans doute les garçons sont sanctionnés et renvoyés de façon disproportionnée par rapport aux filles. La plupart de ces divertissements n’ont pourtant rien à voir avec l’agressivité. Cela se voit à leurs expressions faciales, à leurs rires, à la réversibilité des rôles (ce n’est pas toujours le même qui est au-dessus), et surtout à la façon dont ils se séparent. Ils se quittent en amis, ravis. »
Art ancien ?

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