Taille originale : 30,8 x 21 cm |
« Il est peu de sujets sur lesquels la société bourgeoise déploie plus d’hypocrisie : l’avortement est un crime répugnant auquel il est indécent de faire allusion. Qu’un écrivain décrive les joies et les souffrances d’une accouchée, c’est parfait ; qu’il parle d’une avortée, on l’accuse de se vautrer dans l’ordure et de décrire l’humanité sous un jour abject : or, il y a en France chaque année autant d’avortements que de naissances. C’est un phénomène si répandu qu’il faut le considérer comme un des risques normalement impliqués par la condition féminine. Le code s’obstine cependant à en faire un délit : il exige que cette opération délicate soit exécutée clandestinement. Rien de plus absurde que les arguments invoqués contre la législation de l’avortement.
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Le livre que le docteur R* dédia en 1943 à Pétain en est un exemple éclatant ; c’est un monument de mauvaise foi. Il déclare que le fœtus n’appartient pas à la mère, c’est un être autonome. Cependant, quand ces mêmes médecins “bien-pensants” exaltent la maternité, ils affirment que le fœtus fait partie du corps maternel, qu’il n’est pas un parasite se nourrissant à ses dépens. On voit combien l’antiféminisme est encore vivace par cet acharnement que mettent certains hommes à refuser tout ce qui pourrait affranchir la femme.
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Un point sur lequel s’accordent partisans et ennemis de l’avortement légal, c’est le radical échec de la répression. D’après les professeurs D*, B*, L*, il y aurait eu en France 500 000 avortements par an aux environs de 1933 ; une statistique (citée par le docteur R*) dressée en 1938 en estimait le nombre à un million. En 1941, le docteur A* hésitait entre 800 000 et un million. C’est ce dernier chiffre qui semble le plus proche de la vérité.
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Du fait que l’opération se pratique dans des conditions souvent désastreuses, beaucoup d’avortements se terminent par la mort de l’avortée.
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Deux cadavres de femmes avortées arrivent par semaine à l’institut médico-légal de Paris ; beaucoup provoquent des maladies définitives.
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Parfois, elle ne refuse pas l’enfant sans regret ; soit parce qu’elle ne se décide pas tout de suite à le supprimer, soit parce qu’elle ne connaît aucune adresse, ou parce qu’elle n’a pas d’argent disponible et qu’elle a perdu son temps à essayer des drogues inefficaces, elle est arrivée au troisième, quatrième, cinquième mois de sa grossesse, quand elle entreprend de s’en débarrasser ; la fausse couche sera alors infiniment plus dangereuse, plus douloureuse, plus compromettante qu’au cours des premières semaines. La femme le sait ; c’est dans l’angoisse et le désespoir qu’elle tente de se délivrer.
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Mais il n’est pas toujours facile de mettre la main sur une “faiseuse d’ange”, et encore moins de réunir la somme exigée ; la femme enceinte demande du secours à une amie ou elle s’opère elle-même ; ces chirurgiennes d’occasion sont souvent peu compétentes ; elles ont vite fait de se perforer avec la tringle et l’épingle à tricoter. Brutalement déclenchée et mal soignée, la fausse couche souvent plus pénible qu’un accouchement normal, s’accompagne de troubles nerveux pouvant aller jusqu’au bord de la crise épileptique, provoque parfois de graves maladies internes et peut déclencher une hémorragie mortelle. Colette a raconté, dans Gribiche, la dure agonie d’une petite danseuse de music-hall abandonnée aux mains ignorantes de sa mère ; un remède habituel, dit-elle, c’était de boire une solution de savon concentrée et ensuite de courir pendant un quart d’heure : par de tels traitements, c’est souvent en tuant la mère qu’on supprime l’enfant. »
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