lundi 26 juillet 2021

Un instrument délicat


 

« - Tu es belle, et forte, et tu me veux. Tu le sais que tu me veux ?
J'allais le frapper à nouveau, mais la vérité de ces mots me foudroya. C'était vrai. Comment pouvais-je le savoir s'il ne me le disait pas ? Et moi qui croyais que le tremblement qui me prenait en sa présence était tout simplement de la haine. Il me fallait fuir. Et pourquoi ? Jamais je n'avais éprouvé cette fureur qui se déchaînait dans mon sang sous forme de haine. C'était un plaisir effrayant que je n'avais jamais éprouvé, et pour l'éprouver à nouveau je recommençai à frapper. Il me laissa faire. Mes bras et mes poings me faisaient mal à force de cogner sur cette poitrine de marbre, au point que je m'effondrai dans ses bras immobiles. Ce fut le signe. Comme s'il n'avait attendu que cela, voici que ses mains me serrent à la taille et me soulèvent, me faisant voler comme un objet léger. C'était comme de regarder dans un ravin. Plus la terreur augmentait et plus le désir de la chute grandissait à l'intérieur de moi. Je me retrouvai par terre avec lui sur moi. Il ne m'avait pas déshabillée, ni ne s'était déshabillé. Je le sentais à l'intérieur de moi, il ne faisait pas mal, il bougeait doucement. Quand il sortit, rien qu'à la façon dont il laissa aller la tête sur mon épaule, je compris qu'il devait avoir joui. Mais il ne disait rien et je brûlais tout entière sans qu'aucun frisson ne vînt me calmer.
- Excuse-moi, petiote, de cette précipitation, ça fait si longtemps que je te voulais et toi tu ne sais vraiment rien faire. Tout doucement, avec le temps, je vais t'apprendre à prendre ton plaisir toi aussi. Vos mères ne vous apprennent rien, et c'est à l'homme, après...
Et il m'apprit. Tous les matins, juste après l'aube, d'abord à comprendre le cheval, et puis, là chez lui, dans cette petite pièce nue et embaumant le tabac :
- C'est comme avec le cheval. Tu dois serrer tes cuisses autour de moi, et tu dois bouger avec moi. C'est comme faire le cheval et le cavalier. Laisse-toi aller, ma fille, ne te pétrifie pas comme ça, comme si je voulais te tuer. Maintenant tu connais l'animal, et je veux te donner du plaisir comme tu m'en donnes à moi. Tu vois, ma fille, l'amour n'est pas comme le disent tant d'hommes qui n'en sont pas et aussi des femmes qui ne sont pas des femmes, et qui se précipitent d'un côté à l'autre sans presque rien sentir.
Avec l'amour, quand tu le trouves… à moi ça m'est arrivé une seule fois… non, pas avec la mère de Béatrice, cette malade de la tête comme tous ceux du palais, pleine de manies, un jour elle voulait et puis elle pleurait… non, avec une femme, une vraie, que j'ai eue pendant des années ; et puis je l'ai perdue. Mais ce n'est pas ça que je voulais te dire. La vérité, c'est que quand tu trouves la femme ou l'homme qu'il te faut, alors il faut absolument arriver à s'entendre. Le corps est un instrument délicat, plus qu'une guitare, et plus tu l'étudies et plus tu l'accordes à l'autre, plus le son devient parfait et fort le plaisir. Mais il faut que tu t'aides et que tu m'aides. Il ne faut pas que tu aies honte. Voilà, je vais lentement, là, bien lentement et toi, suis-moi. Et quand tu sens augmenter la chaleur il faut que tu me le dises, que je t'attende, et qu'on se pâme ensemble. Mais pourquoi ne veux-tu pas me le dire, eh, pitchounette, quand tu sens la chaleur grandir ? Si tu ne veux pas me le dire avec la voix, fais-moi un signe, serre-moi avec tes bras, mords-moi l'oreille, comme tu veux. Tu es toute chaude et tremblante, mais je sais bien que tu n'éprouves qu'un léger plaisir. Voilà, comme ça, tranquille, bien tranquille, n'aie pas honte.
Et comment pouvais-je le savoir s'il ne me le disait pas ? Tout doucement, j'appris à le suivre dans cette eau profonde pleine de frissons. Et la première fois que je jouis vraiment, ce fut un plaisir tellement fort que je crus rester foudroyée.
- Bravo, maintenant oui, tu es une femme, et j'ai crié en même temps que toi. Je parie que tu ne m'as pas entendu si fort tu as joui.
Pendant des jours et des jours je crus ne pas avoir bien appris la leçon. Et si je glissais sur la selle, j'avais peur de tomber... Et si, sans un mot, il me prenait par la taille, me faisant voler sur le lit, et que je sentais mes jambes se raidir, je craignais toujours que ne vienne pas ce frisson qui me comblait. Mais Carmine était talentueux et patient. Il me guidait de ses paumes, il calmait l'angoisse qui m'ankylosait, et toujours, avec lui, après la course, je tombais dans le ravin éblouissant et sans fond.
- Courage, petite, au galop. Hier tu t'es un peu effrayée, mais si aujourd'hui tu ne laisses pas à la peur le temps d'effacer le souvenir du plaisir, tu n'auras plus peur. La peur, comme les pensées noires, est une mauvaise herbe puissante et il faut tout de suite se l'arracher du corps. »
Taille originale : 21 x 29,7 cm

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