lundi 31 octobre 2022

Méditations pornographiques [1-2]

Impromptue

Pornographique peut s’appliquer selon certains (mais qui serais-je pour interdire l’usage métaphorique des mots ?) à ce qui n’est pas la pornographie : à un régime politique, à une quelconque publicité, à certaines photos de presse, à l’un ou l’autre spectacle sportif, à la guerre ou à la famine comme spectacle télévisuel, au règne général des médias ou de l’image… L’époque elle-même pourrait être, selon un quelconque philosophe, qualifiée de pornographique. Dans cette utilisation élargie, le terme semble synonyme d’obscène, mais la signification est plus complexe : on nous impose ce que nous ne voulons pas voir, ce qui nous est insupportable à voir — ça, c’est l’obscène — mais surtout on nous le présente, on nous l’offre pour susciter en sous-main un désir malsain, un désir de voir ce que nous devrions ne pas désirer voir. C’est, ce serait le pornographique. Dans une telle perspective, intensément moralisatrice, le désir devrait rester caché, et rien ne devrait le susciter, l’éveiller, le titiller. Plus profondément même, le désir — en particulier le désir de voir — ne devrait pas exister. La « Vertu », que l’on croyait obsolète, reste l’idéal à peine masqué de bien de philosophes et d’essayistes amoureux ou amoureuses de la morale.

*

Avant l’effondrement

C’est souvent répété par les contempteurs de la pornographie comme des performeuses elles-mêmes[1] : les actrices pornographiques ne jouissent pas quand elles tournent un film. C’est sans doute vrai : les conditions d’un tournage avec de multiples prises de vue et des injonctions visant à favoriser certains angles, certains gestes, certaines attitudes imposent des contraintes peu compatibles avec l’expression du désir et du plaisir. Deux réflexions cependant. Personne ne semble s’interroger sur la jouissance des performeurs masculins dont les éjaculations sont abondamment filmées. Leur plaisir est-il feint (on sait qu’ils prennent tous des stimulants érectiles) ? Ou leur orgasme est-il sans valeur ? Malgré les mêmes conditions de tournage, ils parviennent visiblement à l’orgasme (ou une forme d’orgasme).

Par ailleurs, est-il réellement inconcevable que ces actrices puissent de façon rare non seulement trouver du plaisir mais une jouissance dans leurs performances ? De leur point de vue, ce déni (qui n’est pas général d’ailleurs) s’explique assez facilement : il s’agit de maintenir leur « vraie » vie, leur « véritable » personnalité à l’abri des fantasmes d’admirateurs plus ou moins envahissants (mais à quel niveau d’imbécillité les utilisateurs des réseaux supposés sociaux sont-ils tombés pour croire qu’une personnalité publique — sportive, culturelle, politique, pornographique ou autre — qui reçoit des centaines, des milliers sinon de millions de sollicitations est susceptible de leur répondre personnellement ?). Mais, du côté des contempteurs de la pornographie, l’on devine qu’il faut absolument préserver une dernière parcelle d’intimité sexuelle, un dernier « mystère » de la féminité, une dernière forme de « vertu » féminine. Non, une femme ne peut pas se donner ainsi, s’abandonner sans retenue à un plaisir purement « animal », s’abaisser, s’avilir ainsi en oubliant toute « pudeur »… Ce n’est sans doute pas une nouvelle variation sur la maman et la putain (quoique !) mais plutôt une survivance de l’idéalisation de la Femme impliquant sa désexualisation : une femme ne peut pas jouir (car elle ne serait qu’amour, sentiment, noblesse ou pire chasteté, vertu désexualisée…), et seul l’homme serait la victime de sa double nature, à la fois spirituelle et animale (et, dans ce cas, surtout animale !).


1. « Mais non, je ne jouis pas ! Le cinéma porno, c’est de la fiction, vous le savez bien, on n’arrête pas de le répéter ! c’est mis en scène de façon complètement artificielle comme un film de super-héros, c’est organisé pour la caméra, seulement pour la caméra ! Ma sexualité n’a rien à voir avec ce que vous voyez à l’écran ! », s’exclame une actrice lors d’un échange avec un correspondant anonyme quelque peu maladroit dans son questionnement.
Taille originale : 29,7 x 21 cm
Taille originale : 29,7 x 21 cm et 29,7 x 42 cm

samedi 22 octobre 2022

Une grotesque parodie

Rentre ton glaive,
car tous ceux qui prennent le glaive
périront par le glaive.
« Jed l'ignorait alors, et Vanessa tout autant, mais les fleurs ne sont que des organes sexuels, des vagins bariolés ornant la superficie du monde, livrés à la lubricité des insectes. Les insectes et les hommes, d'autres animaux aussi, semblent poursuivre un but, leurs déplacements sont rapides et orientés, alors que les fleurs demeurent dans la lumière, éblouissantes et fixes. La beauté des fleurs est triste parce que les fleurs sont fragiles, et destinées à la mort, comme toute chose sur Terre bien sûr mais elles tout particulièrement, et comme les animaux leur cadavre n'est qu'une grotesque parodie de leur être vital, et leur cadavre, comme celui des animaux, pue — tout cela, on le comprend dès qu'on a vécu une fois le passage des saisons, et le pourrissement des fleurs, Jed l'avait pour sa part compris dès l'âge de cinq ans et peut-être avant, car il y avait beaucoup de fleurs dans le parc autour de la maison du Raincy, beaucoup d'arbres aussi, et les branches des arbres agitées par le vent étaient peut-être une des premières choses qu'il avait aperçues lorsqu'il était roulé dans son landau par une femme adulte (sa mère ?), en dehors des nuages et du ciel. La volonté de vivre des animaux se manifeste par des transformations rapides — une humectation du trou, une raideur de la tige, et plus tard l'émission du liquide séminal — mais cela il ne le découvrirait que plus tard, sur un balcon de Port-Grimaud, par l'entremise de Marthe Taillefer. La volonté de vivre des fleurs se manifeste par la constitution de taches de couleur éblouissantes, qui rompent la banalité verdâtre du paysage naturel, comme la banalité en général transparente du paysage urbain, dans les municipalités fleuries tout du moins. »
#Notallmen ?!
Taille originale : 21 x 29,7 cm et 29,7 x 21 cm

mercredi 19 octobre 2022

Le comble du luxe

Mâle bêta ?
« L’ascenseur s’ouvrit sur une pièce au plafond si haut qu’on le distinguait à peine, voilé de gris et de noir pour étouffer la lumière qui entrait à flots par la baie ouverte sur les remparts de la vieille ville, au bout du quartier de Mamilla.
Murs blancs et nus, assortis à la moquette et au canapé géant, aucun objet, aucune trace d’être humain, le comble du luxe.
Soukolov se rua dans sa chambre, une pièce sans fenêtre, ronde, de même forme que le lit qui trônait au milieu, et se débarrassa de ses vêtements comme on s’arrache une peau morte. Un peignoir et il s’affala sur le canapé, boîtier en main. Il avait dix minutes pour s’informer de la marche du monde.
Le mur qui lui faisait face s’ouvrit en deux, laissant apparaître un écran géant. Au même moment, une jeune femme brune en robe rouge se glissa dans la pièce par une porte escamotée poussant un chariot avec divers ustensiles et deux bassines d’eau. Sokolov s’enfonça dans le canapé avec un soupir d’aise et ferma les yeux. Le monde pouvait bien patienter quelques secondes.
La jeune femme s’agenouilla à ses pieds, écarta doucement les deux pans du peignoir qui dégagèrent un sexe tendu à rompre. Visage impénétrable, gestes précis, elle saisit une sorte de gant éponge qu’elle mouilla d’eau chaude avant de le glisser délicatement sur le corps du Russe qui s’abandonnait sur son siège, jambes écartées, bouche entrouverte. Quand le gant attaqua son sexe, il siffla entre ses dents : “Vite !” Elle écarta à son tour le haut de sa robe qui s’ouvrit sur une poitrine gonflée par la pression du tissu, il empoigna les deux seins en grognant tandis qu’elle tendait ses lèvres laquées de rouge vers le sexe qu’il tentait fébrilement d’approcher de son visage. L’affaire fut expédiée en quelques secondes, le Russe n’était pas du genre à perdre son temps. »
Tirage au sort ?
Taille originale : 29,7 x 21 cm et 29,7 (+ 7) x 21 cm

lundi 17 octobre 2022

Une traînée pas possible

Azulejos ou carreaux de Delft ?
Taille originale  : 21 x 28,2 cm
« Une fois, les deux femmes en étaient venues à évoquer cette indémerdable contradiction à laquelle elles se trouvaient parfois confrontées dans l’intimité, quand le grand projet d’émancipation féminine se heurtait à ces drôles d’aspirations à la bassesse.
— Mais évidemment meuf ! avait clamé Lison, dialectique d’instinct. Ça n’a rien à voir.
— Ouais, je sais pas.
— Mais non, voyons !
Elles finissaient leur deuxième pinte d’IPA, et Lison, la stagiaire, passé le taux d’alcool réglementaire, s’arrogeait aisément les fonctions de management.
— Moi, par exemple, je kiffe quand on me crache dessus.
Hélène avait ouvert des yeux ronds et éclaté de rire, avant d’inciter la jeune fille à poursuivre. C’était quoi encore cette histoire ?
— Je sais pas pourquoi, ça me rend dingue. On en parlait l’autre fois avec un pote, Robin, il est gay, ingénieur qualité dans je sais pas quoi, irlandais à la base tu vois, un pur beau mec, super cool, tu verrais chez lui c’est magnifique, des plantes vertes partout, je sais pas comment il fait, moi elles crèvent toutes direct, et alors une traînée pas possible, ces mecs sont sans limite dans le cul en vrai, ils te racontent des trucs, tu te dis vous êtes pas sérieux ? Donc cracher, lui, il survalide évidemment. Mais y avait notre pote Laura. La meuf m’a mis la misère. Tu te respectes pas, le mec te crache dessus, c’est n’importe quoi. Ça a duré dix minutes, j’en pouvais plus. J’ai fini sur un eye roll. Qu’est-ce que tu veux faire ? En tout cas, je laisse le gouvernement de mon cul à personne. »
You Know I'm No Good
Taille originale  : 21 x 29,7 cm
« Plus tard, Hélène avait partagé l’anecdote avec Christophe que l’idée avait plutôt séduit.
— On devrait essayer.
— C’est moi qui te crache dessus, ouais.
Il avait fait miam. Tout n’était pas si moche, en fin de compte. La complicité gagnait, leurs limites se faisaient plus perméables et parfois, au détour d’une phrase, des déclarations risquées se frayaient un chemin. »
Avertissement ailleurs, sur la grand toile électronique
« Indémerdable contradiction »

samedi 15 octobre 2022

Les seins qui paraissent

Un moment paroxystique
Tailles originales : 29,7 x 21 cm,
42 x 21 cm et 59,6 x 40 cm
« Assis sur un muret, il les regarde jouer pendant des heures. Les types orgueilleux et bien bâtis servent comme des brutes, montent systématiquement au filet et se tapent dans la main à chaque point marqué. Ils ont les épaules qui pèlent, des sourires aveuglants et portent autour du cou des colliers heishi comme les surfeurs à Malibu. Mais ce sont surtout les filles qui intéressent Christophe, leurs fesses rondes et leurs queues de cheval qui volent quand elles cavalent, leur fausse indifférence, leurs petits groupes papoteurs sur les rochers qui cascadent depuis la route. Certaines ne portent même pas de haut.
Déconstruit / reconstruit
ou la Nouvelle Isis
Christophe a notamment repéré deux sœurs, des Néerlandaises, la plus grande avec vachement de poitrine, les cuisses mouvantes et qui fait penser à une brioche tout droit sortie du four, et l'autre, plus élancée, les lèvres minces et des grains de beauté dans le dos dont il connaît le dessin par cœur. Elles viennent assez tard dans l'après-midi, la démarche lourde d'après la sieste et, à chaque fois, il leur faut des plombes pour rentrer dans l'eau. Frileuses, elles barbotent sans conviction, se mouillent les épaules et la nuque, font des mines. On sait qu'ensuite, elles iront se sécher au soleil et fumer une cigarette après avoir dénoué le haut de leur maillot. Tous les garçons attendent sans en avoir l'air cette seconde de leurs seins qui paraissent et Christophe comme les autres, les jambes ballantes et les yeux fixes. C'est vraiment chiant de porter un slip bleu quand on voudrait avoir sa place dans la vie de deux Hollandaises de dix-sept ans. »
Sans issue ou issue de secours

vendredi 14 octobre 2022

Plus rien à foutre

Madonna del pompino
« Alors, elle fit remonter sa jupe sur ses cuisses moites. Elle respirait vite, au bord du sanglot, le dos mouillé et la nuque chaude. Une fois ses jambes ouvertes, sa main droite trouva tout de suite le repli de son sexe sous le coton de sa culotte. Elle opéra vite, à deux doigts, les fesses soudées au cuir de la voiture, le geste précis, pile au renflement, en tournant et pressant, avec une insistance têtue. Sa chatte s’ameublit, et elle éprouva bientôt cette impression délicieuse, à l’intérieur, comme une bulle, la possibilité tiède qui lui traversait le ventre. Elle n’avait besoin que d’une minute, et se hâtait, sûre d’elle, décidée comme un enfant. Ce geste, elle le connaissait depuis si longtemps, elle l’avait perfectionné toute sa vie. C’était son havre et son droit. Bien sûr, elle aimait le cul avec les mecs. Leurs corps lourds, leurs poils partout, leur odeur copieuse. Ils vous retournaient, vous enfermaient dans leurs bras, vous faisaient sentir toute petite et crever de bonheur sous leur poids. Elle aimait ça, et même les déceptions recélaient en général leur petit quelque chose de piquant. N’empêche, cette chose-là, toute personnelle, délicate et sans vergogne, l’emploi de son sexe, l’usage facile de son plaisir, elle n’en cédait rien. Elle se caressait souvent, même amoureuse, même enceinte, même heureuse, sous la douche, le matin, au travail, dans les avions parfois, et dans sa caisse, si ça lui chantait. De temps à autre, l’envie la prenait, si forte et impromptue, qu’elle était tentée de s’arrêter sur une bande d’arrêt d’urgence. Dans l’habitacle étouffé, ce jour-là, elle se branla vite, fermant les yeux par instants, épiant de possibles silhouettes à travers la buée, rejouant en pensée une situation qui lui faisait toujours de l’effet et elle jouit d’un coup, un plaisir clair et situé, qui fit sa décharge neutre, la laissant presque apaisée, un peu moins confuse en tout cas. Au moins, elle serait détendue pour son rencard. Puis s’étant rajustée, elle démarra et prit la route. Elle n’en avait plus rien à foutre. »
Portrait en majesté
Taille originale : 2 fois 29,7 x 21 cm