Impromptue |
Pornographique peut s’appliquer selon certains (mais qui serais-je pour interdire l’usage métaphorique des mots ?) à ce qui n’est pas la pornographie : à un régime politique, à une quelconque publicité, à certaines photos de presse, à l’un ou l’autre spectacle sportif, à la guerre ou à la famine comme spectacle télévisuel, au règne général des médias ou de l’image… L’époque elle-même pourrait être, selon un quelconque philosophe, qualifiée de pornographique. Dans cette utilisation élargie, le terme semble synonyme d’obscène, mais la signification est plus complexe : on nous impose ce que nous ne voulons pas voir, ce qui nous est insupportable à voir — ça, c’est l’obscène — mais surtout on nous le présente, on nous l’offre pour susciter en sous-main un désir malsain, un désir de voir ce que nous devrions ne pas désirer voir. C’est, ce serait le pornographique. Dans une telle perspective, intensément moralisatrice, le désir devrait rester caché, et rien ne devrait le susciter, l’éveiller, le titiller. Plus profondément même, le désir — en particulier le désir de voir — ne devrait pas exister. La « Vertu », que l’on croyait obsolète, reste l’idéal à peine masqué de bien de philosophes et d’essayistes amoureux ou amoureuses de la morale.
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Avant l’effondrement |
C’est souvent répété par les contempteurs de la pornographie comme des performeuses elles-mêmes[1] : les actrices pornographiques ne jouissent pas quand elles tournent un film. C’est sans doute vrai : les conditions d’un tournage avec de multiples prises de vue et des injonctions visant à favoriser certains angles, certains gestes, certaines attitudes imposent des contraintes peu compatibles avec l’expression du désir et du plaisir. Deux réflexions cependant. Personne ne semble s’interroger sur la jouissance des performeurs masculins dont les éjaculations sont abondamment filmées. Leur plaisir est-il feint (on sait qu’ils prennent tous des stimulants érectiles) ? Ou leur orgasme est-il sans valeur ? Malgré les mêmes conditions de tournage, ils parviennent visiblement à l’orgasme (ou une forme d’orgasme).
Par ailleurs, est-il réellement inconcevable que ces actrices puissent de façon rare non seulement trouver du plaisir mais une jouissance dans leurs performances ? De leur point de vue, ce déni (qui n’est pas général d’ailleurs) s’explique assez facilement : il s’agit de maintenir leur « vraie » vie, leur « véritable » personnalité à l’abri des fantasmes d’admirateurs plus ou moins envahissants (mais à quel niveau d’imbécillité les utilisateurs des réseaux supposés sociaux sont-ils tombés pour croire qu’une personnalité publique — sportive, culturelle, politique, pornographique ou autre — qui reçoit des centaines, des milliers sinon de millions de sollicitations est susceptible de leur répondre personnellement ?). Mais, du côté des contempteurs de la pornographie, l’on devine qu’il faut absolument préserver une dernière parcelle d’intimité sexuelle, un dernier « mystère » de la féminité, une dernière forme de « vertu » féminine. Non, une femme ne peut pas se donner ainsi, s’abandonner sans retenue à un plaisir purement « animal », s’abaisser, s’avilir ainsi en oubliant toute « pudeur »… Ce n’est sans doute pas une nouvelle variation sur la maman et la putain (quoique !) mais plutôt une survivance de l’idéalisation de la Femme impliquant sa désexualisation : une femme ne peut pas jouir (car elle ne serait qu’amour, sentiment, noblesse ou pire chasteté, vertu désexualisée…), et seul l’homme serait la victime de sa double nature, à la fois spirituelle et animale (et, dans ce cas, surtout animale !).
1. « Mais non, je ne jouis pas ! Le cinéma porno, c’est de la fiction, vous le savez bien, on n’arrête pas de le répéter ! c’est mis en scène de façon complètement artificielle comme un film de super-héros, c’est organisé pour la caméra, seulement pour la caméra ! Ma sexualité n’a rien à voir avec ce que vous voyez à l’écran ! », s’exclame une actrice lors d’un échange avec un correspondant anonyme quelque peu maladroit dans son questionnement.
Taille originale : 29,7 x 21 cm |
Taille originale : 29,7 x 21 cm et 29,7 x 42 cm |