Panique morale ? Taille originale : 21 x 29,7 cm & 21 x 29,7 cm |
« Rares pourtant sont ceux qui, dans leurs amours vénales, assouvissent, comme Alfred, une véritable misogynie. Ce qui frappe d’abord c’est la hâte qu’il a de raconter ses prouesses et le soin qu’il met à les détailler. […] Faut-il en conclure que le jeune homme s’empressait de “tout dire aussitôt après comme si la proximité du plaisir en permettait encore le partage” ? En certains cas, ce n’est pas douteux […] mais, la plupart du temps, il n’y a rien à partager : la sécheresse de ces comptes rendus n’invite guère à rêver. Le ton en est volontairement grossier ou trahit une intention dépréciative : la recherche de l’ignoble et du grotesque est délibérée : il s’agit avant tout de faire rire de l’accouplement, de le dévaloriser, de refuser sa moite intimité et de l’offrir publiquement en spectacle à une société de petits mâles bourgeois. Il est clair, en effet, d’après maints passages, qu’Alfred ne réservait pas au seul Gustave ses confidences ; ses anciens camarades et les jeunes Rouennais de son entourage y avaient droit eux aussi. Et, comme tous les garçons fréquentaient les prostituées, échangeaient des adresses, se passaient et se repassaient les “petites filles” dont ils avaient usé, ce n’était pas Alfred qui faisait les frais de cette publicité mais bien les femmes dont il parlait. Ses récits d’ailleurs trahissent le sadisme. “Ayant récolté une catin sur le trottoir, je n’hésitai pas à la suivre chez elle. Je la fis dénuder mais comme ver et lui promis cinq francs si elle avalait la décharge après m’avoir sucé. Il faut bien encourager les dispositions... Je ne m’en tins pas là et ma cochonnerie fut telle que je fis à cette fille l’épée de la Charlemagne. Il va sans dire que je la branlai. Malgré la crainte de la vérole, je tirai mon coup et sans capote. Ma prodigalité fut telle que je donnai 25 francs à la garce… Rentré chez moi, je me frictionnai d’eau de Saturne, étonné de mon imprudence. J’écrivis ensuite au nommé Flaubert. Adieu, vieux pédéraste. Es-tu content de moi ? (Hernani) — Alfred Caligula.” Le fils Le Poittevin, le bourgeois qui se met en frac pour faire ses visites à Fécamp se plaît à contraindre la “catin”, la “garce” qu’il a “récoltée” à se soumettre pour de l’argent à ses caprices. Voyez comme il fait d’elle l’esclave de sa “cochonnerie” et comme il se réjouit de sa toute-puissance : “Je la fis dénuder mais comme ver.” Comme ver : qu’est-ce qu’une putain nue sinon un long ver blanc ? Et quel mépris dans le : “Il va sans dire...” Entendons : cela va de soi puisque j’étais le maître et qu’elle était ma chose ; il se dépeint, somme toute, tournant et retournant ce corps vivant comme un instrument inerte. Suivent la peur et le dégoût : il se frictionne d’eau de Saturne et s’inquiète : et si ce trou de vidange était vérolé ? la malheureuse est définitivement détruite : elle était l’outil de ses plaisirs ; dans son souvenir, elle se change en charogne. Le ton de la lettre, persifleur et hautain, n’est pas supportable et l’on jugerait son sadisme assez répugnant s’il n’était, à le prendre pour ce qu’il se donne, incompréhensible : pourquoi ce fils de famille s’acharnait-il à avilir une fille qu’il tient d’avance pour avilie ? et le beau triomphe que d’obtenir d’elle contre argent comptant les “fantaisies” qu’elle a cent fois accordées à d’autres pour le même prix ? Les forfanteries d’Alfred ne se comprennent que si, en la personne de cette prostituée, c’est la femme qu’il avilit imaginairement. La femme, c’est-à-dire la bourgeoise. Sa mère. S’il réclame obscurément, dans la passivité de sa chair, la répétition des caresses maternelles, ce n’est point d’une Génitrix souveraine qu’il les attend mais d’une mère coupable et humiliée. La raison en paraît claire : Alfred le bien-aimé n’a pas eu la triste enfance du cadet Flaubert ; mâle et premier-né, il a connu un âge d’or : celui des amours enfantines dont l’épouse du filateur était l’unique objet ; mieux : jusqu’à cinq ans, il a été fils unique ; Laure est née en 1821 ; c’est dire qu’il a eu sa ration de tendresse. La rancune est venue après, pour des motifs que nous ignorons : mère trop belle, trop aliénée à sa beauté ; trop mondaine ? Ou sa sœur lui fut-elle préférée ? En 1827, quand on le met en pension, la rupture est consommée […] Une autre lettre — publiée celle-là — montre à l’évidence que son goût pour les “garces” est lié au désir de souiller son enfance. »
Femme puissante ? |
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