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« Le principe fondamental de toute morale, sur lequel j’ai raisonné dans tous mes Ecrits, et que j’ai développé dans ce dernier avec toute la clarté dont j’étois capable, est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre ; qu’il n’y a point de perversité originelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits. J'ai fait voir que l'unique passion qui naisse avec l'homme, savoir l'amour de soi, est une passion indifférente en elle-même au bien et au mal; qu'elle ne devient bonne ou mauvaise que par accident et selon les circonstances dans lesquelles elle se développe. J'ai montré que tous les vices qu'on impute au cœur humain ne lui sont point naturels ; j'ai dit la manière dont ils naissent; j'en ai, pour ainsi dire, suivi la généalogie, et j'ai fait voir comment, par l'altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu'ils sont.
J’ai encore expliqué ce que j’entendois par cette bonté originelle, qui ne semble pas se déduire de l’indifférence au bien et au mal, naturelle à l’amour de soi. L’appétit des sens tend à celui du corps, et l’amour de l’ordre à celui de l’ame. Ce dernier amour développé et rendu actif porte le nom de conscience ; mais la conscience ne se développe et n’agit qu’avec les lumieres de l’homme. Ce n’est que par ces lumieres qu’il parvient à connoître l’ordre, et ce n’est que quand il le connoît que sa conscience le porte à l’aimer. La conscience est donc nulle dans l’homme qui n’a rien comparé, et qui n’a point vû ses rapports. Dans cet état l’homme ne connoît que lui ; il ne voit son bien-être opposé ni conforme à celui de personne ; il ne hait ni n’aime rien ; borné au seul instinct physique, il est nul, il est bête ; c’est ce que j’ai fait voir dans mon Discours sur l’inégalité.
Quand, par un développement dont j’ai montré le progrès, les hommes commencent à jetter les yeux sur leurs semblables, ils commencent aussi à voir leurs rapports et les rapports des choses, à prendre des idées de convenance, de justice et d’ordre ; le beau moral commence à leur devenir sensible et la conscience agit. Alors ils ont des vertus, et s’ils ont aussi des vices c’est parce que leurs intérêts se croisent et que leur ambition s’éveille, à mesure que leurs lumieres s’étendent. Mais tant qu’il y a moins d’opposition d’intérêts que de concours de lumieres, les hommes sont essentiellement bons. Voilà le second état.
Quand enfin tous les intérêts particuliers agités s’entrechoquent, quand l’amour de soi mis en fermentation devient amour-propre, que l’opinion, rendant l’univers entier nécessaire à chaque homme, les rend tous ennemis nés les uns des autres et fait que nul ne trouve son bien que dans le mal d’autrui, alors la conscience, plus foible que les passions exaltées, est étouffée par elles, et ne reste plus dans la bouche des hommes qu’un mot fait pour se tromper mutuellement. Chacun feint alors de vouloir sacrifier ses intérêts à ceux du public, et tous mentent. Nul ne veut le bien public que quand il s’accorde avec le sien ; aussi cet accord est-il l’objet du vrai politique qui cherche à rendre les peuples heureux et bons. Mais c’est ici que je commence à parler une langue étrangere, aussi peu connue des Lecteur que de vous.
Voilà, Monseigneur, le troisieme et dernier terme, au delà duquel rien ne reste à faire, et comment l’homme étant bon, les hommes deviennent méchans. »
le bleu du ciel
Art nouveau |
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