« Ce sont des corps de femmes que l’on voit. Et souvent des corps de femmes sublimés. Quoi de plus troublant qu’une hardeuse ? On n’est plus ici dans le domaine de la “bunny girl”, la fille d’à côté, qui ne fait pas peur, qui est facile d’accès. La hardeuse, c’est l’affranchie, la femme fatale, celle qui attire tous les regards et provoque forcément un trouble, qu’il s’agisse de désir ou de rejet. Alors pourquoi plaint-on si volontiers ces femmes qui ont tous les attributs de la bombe sexuelle ?
Ce qui m’a frappée en compagnie de [hardeuses] n’est pas que les hommes les traitaient comme des moins-que-rien, ni qu’ils dominaient la situation. Au contraire, je n’ai jamais vu les hommes aussi impressionnés. Si, comme ils l’affirment si bruyamment, rien n’est plus beau pour une femme que de faire rêver les hommes, pourquoi s’obstiner à plaindre les hardeuses ? Pourquoi le corps social s’acharne-t-il à en faire des victimes, alors qu’elles ont tout pour être les femmes les plus accomplies en matière de séduction ? Quel tabou est ici transgressé qui vaille cette mobilisation fiévreuse ?
La réponse, après avoir regardé quelques centaines de films pornographiques, me semble simple : dans les films, la hardeuse a une sexualité d’homme. Pour être plus précise : elle se comporte exactement comme un homosexuel en back-room. Telle que mise en scène dans les films, elle veut du sexe, avec n’importe qui, elle en veut par tous les trous et elle en jouit à tous les coups. Comme un homme s’il avait un corps de femme.
Si on regarde un film X hétérosexuel, c’est toujours le corps féminin qui est valorisé, montré, sur lequel on compte pour produire de l’effet. On ne demande pas au hardeur la même performance, on lui demande de bander, de s’agiter, de montrer le sperme. Le travail est fait par la femme. Le spectateur du film X s’identifie surtout à elle, plus qu’au protagoniste masculin. Comme on s’identifie spontanément à qui est mis en valeur, dans n’importe quel film. Le X est aussi la façon qu’ont les hommes d’imaginer ce qu’ils feraient s’ils étaient des femmes, comme ils s’appliqueraient à donner satisfaction à d’autres hommes, à être de bonnes salopes, des créatures bouffeuses de bites. On évoque souvent la frustration de la réalité, comparée à la mise en scène pornographique, ce réel où les hommes doivent baiser avec des femmes qui effectivement ne leur ressemblent pas, ou pas souvent. Il est à ce propos intéressant de remarquer que les femmes “réelles” qui surcumulent les signes de féminité, celles qui répètent douze fois dans une conversation qu’elles se sentent “tellement femmes”, et qui participent d’une sexualité compatible avec la sexualité des hommes, sont souvent les plus viriles. La frustration du réel, c’est le deuil que les hommes doivent faire, s’ils veulent entrer en hétérosexualité, de l’idée de baiser avec des hommes qui auraient des attributs externes de femmes. »
« Le visage à la limite de la sainteté et de la caricature s’offre encore… » |
Taille originale : 2 fois 21 x 29,7 cm |