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Hubris sexuelle ? Taille originale : 21 x 29,7 cm (et 29,7 x 21 cm) |
Le récit biblique de Suzanne et les vieillards raconté dans le Livre de Daniel peut être facilement lu dans une perspective féministe : la jeune femme surprise au bain est la victime du désir lubrique des deux vieillards qui violent son intimité, puis qui exercent un chantage agressif à son égard pour qu’elle cède à leurs exigences. La situation est celle d’une brutale domination masculine rendue possible par une position d’autorité — les deux vieillards sont des juges susceptibles d’accuser Suzanne d’adultère et de la faire condamner à mort —. Les analogies sont évidentes avec des situations contemporaines largement dénoncées, qu’il s’agisse d’un simple harcèlement de rue, de voyeurisme, de la divulgation non consentie d’images intimes ou bien sûr d’un viol imposé notamment par force, menace, ruse…
Mais la représentation de ce récit par d’innombrables peintres depuis la Renaissance (Tintoret, Véronèse, Rubens, Rembrandt, Artemisia Gentileschi, Jordaens pour citer les plus connus) a également été dénoncée à cause de son évidente ambiguïté puisque ces œuvres donnent à voir au spectateur (ou à la spectatrice) la nudité que Suzanne cherche précisément à protéger. Le point de vue adopté est similaire à celui des vieillards qui essaient de surprendre l’intimité de la jeune femme : c’est évident dans le célèbre tableau du Tintoret qui nous expose le sexe de Suzanne que le vieillard en bas à gauche tente également d’apercevoir. Le peintre « offre » aux spectateurs ou spectatrices ce qui est à cet instant précisément refusé aux deux personnages, et son « regard » sera dès lors facilement jugé trop « masculin » (le fameux male gaze dénoncé par Laura Mulvey)[1].
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« Toute perversion active s'accompagnera de la perversion passive : celui qui, dans son inconscient, est exhibitionniste, sera en même temps un voyeur. »
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Mais une critique féministe plus radicale peut être faite de ce récit biblique. La domination masculine s’y exerce en effet par l’intériorisation des normes patriarcales, traduites en injonctions divines : Suzanne refuse de céder aux vieillards d’abord et avant tout parce qu’elle est mariée et qu’elle ne veut pas être accusée d’adultère (ce qui, dans le contexte, signifierait une condamnation à mort), ni surtout enfreindre la loi divine. « De tous côtés, dit-elle, je suis prise au piège : si je vous cède, c’est la mort pour moi ; et si je refuse de céder, je n’échapperai pas à vos mains. Mieux vaut pour moi tomber entre vos mains sans vous céder, plutôt que de pécher aux yeux du Seigneur. » N’est-ce pas au fond le patriarcat qui commande entièrement l’attitude de Suzanne, au point de lui faire préférer la mort au « déshonneur » ? Et ne pourrait-on imaginer au contraire une société semblable à celle des singes bonobos où Suzanne dirait aux deux vieillards lubriques quelque chose comme : « Venez, je vais vous montrer ce que vous avez envie de voir, et, si vous insistez, je branlerai vos membres chenus, car je ne crois pas que vous soyez encore capables d’une vigoureuse pénétration pouvant me donner un vif plaisir sinon une réelle satisfaction » ?
D’aucunes parmi les féministes se récrieront et prétendront que cette intériorisation des normes patriarcales est secondaire et que ce qui importe ici c’est la violence faite au libre consentement, quelles que soient les motivations de la jeune femme. Cela est vrai, mais, dans une perspective matérialiste (qui semble bien oubliée aujourd’hui), il n’existe pas de liberté subjective qui ne soit l’effet plus ou moins inconscient de normes, de contraintes, d’habitudes, de modèles d’origine sociale[2]. Or les normes et attitudes promues par nombre de femmes et féministes sont en la matière similaires à celles du patriarcat qui fait du sexe féminin un bien précieux qui doit être protégé et qui ne doit pas être dilapidé. Il suffit à ce propos de consulter les nouveaux manuels d’éducation sexuelle qui insistent sur la nécessaire dimension affective (pas de sexualité sans amour), sur la nécessité de ne pas « aller trop vite ni trop tôt », sur le temps indispensable de la « réflexion », sur le besoin d’être « sûre (ou sûr) de soi », sur les « risques » à prévenir (ce qui est nécessaire sans doute mais transforme la sexualité en activité nécessairement dangereuse). Sans prétendre qu’il s’agit là d’un retour aux valeurs de la nécessaire virginité des jeunes filles, ce modèle imprègne encore la promotion de ce que j’appellerais une sexualité « restreinte », monogame, sans « excès », ni « frénésie »[3], ni « précipitation funeste », à l’abri notamment des supposées paraphilies. Il suffit de voir les dénonciations récurrentes de la pornographie dont les scénarios ne seraient que fiction et invraisemblance, puisque les femmes sont censées ne pas baiser après quelques minutes avec le plombier venu réparer l’évier, ni faire l’amour avec trois ou quatre individus surgis par magie dans leur appartement, ni participer à des orgies de corps de toutes espèces et de toutes origines. Bien entendu, les scénarios pornographiques sont peu « réalistes » (au sens littéraire du terme), mettant en scène des « performances » qu’il n’est pas donné à tout le monde de réaliser, illustrant souvent des pratiques rares, exceptionnelles, nées de l’imagination de scénaristes en quête d’inédit, d’inouï, d’étonnant, de stupéfiant. Mais il y a dans ces mises en garde récurrentes contre l’imaginaire pornographique la conception implicite d’une sexualité prudente, mesurée, foncièrement conjugale et gentiment caressante.
Il y a peu de chances que notre société se transforme bientôt en joyeuse bande de bonobos pratiquant l’amour libre et polymorphe, et je pense au contraire que l’exemple incarné par Suzanne protégeant sa vertu restera encore longtemps le modèle dominant. Par ailleurs cependant, comme les tableaux du Tintoret et d’autres mais avec moins d’hypocrisie, la pornographie minoritaire et stigmatisée continuera à illustrer l’utopie d’une sexualité évidente et facile, impudique et généralisée.
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« Les religieuses bolognaises possèdent, plus qu’aucune autre femme de l’Europe, l’art de gamahucher des cons ; elles font passer leurs langues avec une telle rapidité, du clitoris au con, et du con au cul, que, quoiqu’elles quittent un moment l’un pour aller à l’autre, il ne me semble pas qu’elles varient ; leurs doigts sont d’une flexibilité et d’une agilité surprenantes, et elles ne les laissent pas oisifs avec leurs Saphos… Délicieuses créatures ! […]
Enfin, je les priai de m’enculer. On plaçait un con sous ma bouche, dont j’avalais le foutre : ce con se relayait à chaque fois qu’un nouveau godemiché m’entrait dans le cul. »
Taille originale : 29,7 x 21 cm (et 29,7 x 21 cm) |
1. Il y aurait bien d’autres remarques à faire sur ce tableau remarquable du Tintoret, notamment le fait que Suzanne se contemple dans un miroir : regarde-t-elle son propre sexe ? et que cherchent les doigts de ses mains dans les plis du blanc tissu ?
2. « Tout est politique » rappellent souvent les féministes, et le consentement lui-même est une construction sociale.
3. Ainsi, la publicité faite aujourd’hui à « l’asexualité », définie comme une nouvelle minorité supposée stigmatisée sinon opprimée, contraste avec la conception de l’addiction sexuelle comme une dangereuse pathologie. D’un côté, l’absence de sexualité est normalisée, tandis que, de l’autre, on stigmatise encore et toujours les « obsédés sexuels » et bien sûr les « nymphomanes ».
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La Comtesse, souriant.
Eh non, non ; Madame est trop sage.
La marquise.
Point de raillerie : viens, mon âme, que je te donne du plaisir.
La Comtesse, l’embrassant.
Soit. Mais, dans ce cas, fais ce qui peut m’être agréable.
(Elle tire de sa poche un godemiché d’une forme gigantesque).
Tiens. — Laisse-toi ceindre de ces attaches, et puis tu
fourbiras ton amie à la faire expirer.
La marquise.
D’où te vient cette monstrueuse machine ? Quoi ! tu peux te résoudre à souffrir une véritable torture ! car, en effet, il y a là de quoi mourir.
La Comtesse, achevant d’attacher. Ah, point de réflexion morale, et songe à contenter mon
envie. |