Cum grano salis
On peut parler d'un véritable génie de la pornographie contemporaine, génie malheureusement méconnu par des personnes peu éclairées qui ignorent cet art comme ils méprisent par exemple les beautés d'un baroque jugé « surchargé » ou « excessif ». J'évoquerai donc ici quelques-unes - sept en tout - de ces merveilles pornographiques qui témoignent de l'inventivité remarquable de cet art nouveau et incroyablement créatif.
Il me faut cependant préciser ce que j'entends par pornographie moderne: ce mode d'expression sans doute aussi ancien que l'humanité se renouvelle en effet profondément à partir des années 1960 et 70, grâce à l'utilisation de nouveaux médias, photographie, cinéma, vidéos, sans oublier bien sûr dans les décennies suivantes ce formidable outil de diffusion qu'est le réseau Internet. Sans doute, certains de ces outils - cinéma, photo, mais également peinture, dessin ou gravure… - étaient déjà largement employés, mais, ce qui change à ce moment-là, dans cette période dite de révolution sexuelle (qui reste bien sûr discutable), c'est que la pornographie devient véritablement un art public dans la plupart des pays occidentaux sinon du monde (en exceptant cependant des pays aussi importants et réactionnaires que la Chine, l'Iran ou le Pakistan et bien d'autres…). La diffusion pornographique est alors licite, facilement accessible, et l'on découvre de gros plans sur des pénétrations vaginales, orales ou anales présentées dans de magnifiques magazines sur papier glacé, disponibles dans pratiquement n'importe quel kiosque à journaux, mais également dans les salles obscures où l'on peut admirer sur grand écran des sexes immenses et luisants en se manuélisant fébrilement. Dans des théâtres spécialisés de quelques grandes cités occidentales, des couples font même l'amour sur scène, ce qui serait sans doute inconcevable aujourd'hui malgré le support chimique de la papavérine et du Viagra® : c'est en de tels lieux que le spectacle vivant trouve à s'exprimer de la façon la plus authentique qui soit. Les sex-shops, les peep-shows, les magazines sous cellophane dans les librairies ont malheureusement à présent pratiquement disparu, mais l'inventivité pornographique a trouvé sur le réseau Internet une espace exceptionnel pour s'exprimer de manière profondément originale. Le caractère désormais public de la pornographie a en effet entraîné une forte concurrence entre les artistes qui ont dû imaginer de nouvelles formes, inventer des scènes inédites, réaliser des performances inouïes, créer des sexualités jusque-là inconnues, explorer les limites des corps et des esprits pour susciter des excitations nouvelles et insatiables.
On donnera à présent quelques exemples de ce génie trop souvent méconnu de la pornographie moderne.
1. L'éjaculation faciale.
Il s'agit certainement là de la quintessence de la pornographie moderne : c'est en effet un geste purement esthétique dont seul l'appareil photo ou la caméra peut saisir le mouvement ample et élégant. Le sperme qui gicle s'adresse à un visage qu'il veut à la fois honorer et offenser tout en suscitant une réponse émotionnelle forte : reconnaissance, étonnement, rire ou sourire, dégoût parfois.
Ce geste est apparu aux premiers temps de la pornographie à une époque où les films analogiques semblaient encore attester de la réalité de la chose représentée, et l'éjaculation apparaissait comme la preuve d'une jouissance authentique, non simulée, contrairement au plaisir féminin facilement soupçonné de duplicité. Le génie de la pornographie a consisté à déplacer le lieu de cette exhibition d'un endroit indifférent (le ventre, les fesses…) vers le visage du ou de la partenaire. C'est la confrontation du bas et du haut, de l'expression purement corporelle de la jouissance, à la fois gluante et informe, et de la beauté sublime d'un visage extatique, qui fait l'originalité de la chose. Le visage s'offre, souvent avec la bouche ouverte, comme l'autel d'un sacrifice à l'obscène, et la beauté apparemment défigurée est en réalité sublimée.
Plusieurs variantes existent de cette expression artistique. L'éjaculation faciale privilégie le jet long et abondant qui se répand en quelques faisceaux élégants, souvent saisis au ralenti, alors que la séance de bukkake multiplie jusqu'à l'absurde les offrandes à celle ou à celui qui se soumet à cette forme délectable d'un martyre à la gloire d'une sexualité sacrale. Il s'agit bien de montrer, de prouver même que le désir est honorable et qu'il convient de donner libre cours à son expression la plus riche et la plus abondante. Comment ne pas évoquer d'ailleurs ces peintures hollandaises du siècle d'or où des tables débordaient de victuailles de toutes sortes, où des amoncellements de fleurs multicolores étaient prêts à s'écrouler sous leur propre poids ?
L'éjaculation féminine, découverte ou redécouverte à l'aube des années 2000, est certainement trop peu exploitée artistiquement, mais je suis persuadé qu'elle aussi sera offerte à ses adorateurs ou adoratrices, giclant en gros plans dans l'œil de la caméra, dégoulinant en délectables cascades dans des bouches assoiffées. Et c'est à cette source divine que s'abreuveront certainement les saint Antoine de la pornographie moderne…
Baroque taille originale : 29,7 x 21 cm |
2. Du cul en bouche
Lorsqu'elle apparaît, sans doute dans les dernières années du siècle passé, cette pratique est littéralement stupéfiante, autant que le Jardin des délices de Jérôme Bosch dont les panneaux nous font passer du paradis à l'enfer et inversement. Mais nulle discontinuité ne vient ici interrompre le mouvement de la bite (ou du gode) du cul à la bouche, ni mettre fin à l'oscillation ressentie par le voyeur entre la fascination et le dégoût. L'aspect scatophile sera cependant vite neutralisé par l'évidence de l'utilisation intensive de lavements, attestée par de multiples témoignages de performeuses et performeurs (d'aucuns croiront même au vu de ces premières vidéos qu'elles ont été tournées à l'envers !). D'avant-gardiste, la pratique deviendra un archétype remarquable de la pornographie moderne mettant à mal les conventions classiques de la sexualité hétérosexuelle fondée sur la pénétration vaginale et la position du missionnaire.
Mais c'est surtout la promotion de l'orifice anal que parachève cette pratique inédite. Le trou du cul accède alors à une dignité comparable à celle classique du sexe ou de la bouche comme instruments essentiels du plaisir. Ou plus exactement, la pornographie opère alors une révolution similaire à celle du drame romantique revendiquée par Victor Hugo : alors que l'érotisme traditionnel entourait de gaze la sexualité, en donnait une version esthétisée sinon sublimée, cet art nouveau ne reculera pas devant le grotesque, celui de la « bête humaine », à qui reviennent « les passions, les vices, les crimes », celui en particulier du sexe anal « luxurieux, rampant, gourmand, avare, perfide, brouillon, hypocrite ». Mais il ne s'agit pas uniquement de glorifier le grotesque, que consacre la captation du trou du cul en gros plan à l'instant de la pénétration, mais bien de procéder à la « féconde union du grotesque au sublime », du beau et du laid (supposé), du cul obscène et du visage extasié. Or qu'est-ce qui mieux que le passage du cul à la bouche pourrait incarner cette union des qualités opposées ? Il s'agit là véritablement d'un drame romantique qui nous entraîne du gouffre au ciel, du plus vil des plaisirs au plus noble des baisers.
La même conjonction s'opère dans une pratique apparentée, l'anulingus, où une langue tendue s'enfonce dans le trou d'un cul, tel un ver de terre amoureux d'une étoile. La pratique est sans doute bien ancienne, et la feuille de rose depuis longtemps célébrée. Ce que la modernité va souligner cependant, c'est le caractère exquis de la chose : quoi de plus raffiné, de plus délicat, de plus fin que le baiser au contact de cette entrée étroite au creux d'un fessier gracieusement entrouvert ! Il s'agit véritablement d'une folie rococo comme ce portrait de Mademoiselle O'Murphy, peinte par François Boucher, dont le cul s'expose dans sa rotondité parfaite et l'anus se dévoile sous la forme d'une rose épanouie au pied même du sofa. Comment ne pas désirer goûter immédiatement à la saveur exquise de cet entremets délicieux ?
Pénétration d'esprit taille originale : 29,7 x 21 cm |
3. Une main profonde
D'aucuns prétendent que le fist-fucking est la seule invention sexuelle du XXe siècle, ce qui est sans doute réducteur à l'endroit de la pornographie moderne. Mais il est vrai que les photos d'Helmut et Brooks prises par Robert Mapplethorpe en 1978 furent une révélation pour beaucoup de spectateurs et spectatrices. Il y a quelque chose de monstrueux dans ce geste qui semble dépasser ce que le corps humain peut endurer, mais l'on sait depuis Burke et Kant que le sublime repose sur un plaisir mêlé d'effroi et se distingue en cela du simple sentiment du beau. Ainsi, ces lignes de la Critique de la faculté de juger s'éclairent facilement si l'on pense au fist-fucking : « Si nous devons juger de la nature comme sublime d'un point de vue dynamique [= le mouvement de pénétration], elle doit être représentée comme suscitant la peur. En effet, dans le jugement esthétique, on ne peut juger de la mesure dans laquelle des obstacles [= l'anus] ont été surmontés que d'après la grandeur de la résistance [= du trou du cul]. Et ce à quoi nous nous efforçons de résister [= le poing] sont des maux, mais lorsque notre faculté n'est pas à la hauteur de ces maux, ils deviennent objet de crainte [= de se faire défoncer]. Mais l'on peut considérer comme effrayant un objet sans en avoir peur si nous en jugeons de telle sorte que nous imaginions simplement le cas où nous voudrions lui opposer quelque résistance et qu'alors toute résistance est vaine [= grâce à l'utilisation de poppers]. » La main au tréfonds du cul touche ainsi, il faut le reconnaître, au sublime. Et sa représentation pornographique est aussi fascinante que le Colosse de Goya alors même que le cul soudainement libéré de son emprise bée ouvert comme le Cri d'Edvard Munch. Nous sommes confrontés à la démesure d'un geste aussi colossal que profondément désirable.
Les variantes en sont bien connues, qu'ils s'agisse du recours à des godes démesurés ou à des battes de baseball donnant lieu à des exploits sportifs inédits mais qui, plus que tout autre forme d'art contemporain, interrogent les limites et les conventions imposées aux corps aujourd'hui. Ce rapport à « l'absolument grand » dont parle Kant, ce passage rapide de la répulsion à l'attrait pour un même objet (le pénis dressé), s'éprouve plus particulièrement dans la fellation en gorge profonde, qui d'abord apparaît comme un abîme pour la seule sensibilité mais qui ensuite n'est pas jugée excessive grâce au jeu subjectif des forces de l'esprit (et à un peu d'entraînement). Il ne faut cependant pas confondre le sublime pornographique, qui doit être compris au sens kantien, avec le sublime musical qui distingue généralement la musique religieuse - comme les pages chorales des oratorios de Haendel et bien évidemment l'œuvre de Bach - : celle-ci semble « s'élever jusqu'au ciel » et parvient sans doute à un équilibre parfait entre les affects du beau (l'équilibre, le plaisant, l'harmonie au sens courant du terme) et ceux du sublime pourtant caractérisé par l'excès ou la démesure. Pour retrouver cette opposition entre le beau et le sublime dans le domaine musical, il faut sans doute attendre le romantisme et ses suites modernes et contemporaines qui n'hésitent pas à recourir aux bruits et aux dissonances pour susciter des émotions fortes, inattendues, bouleversantes, contrastées. Il est clair que la gorge profonde repousse de la même façon les limites de la fellation classique, utilise les mêmes dissonances, le même tumulte, la même force dramatique, la même passion excessive, la même démesure proche parfois de la grandiloquence. Sans aucun doute, la gorge profonde est aussi éprouvante et fantastique que la cinquième symphonie d'Anton Bruckner.
4. Les étoiles de la pornographie
L'on peut dire que la pornographie est un art car elle sollicite d'abord et avant tout l'appréciation des spectateurs et des spectatrices. Contrairement à ce que pensent les ignorants, tout ne s'équivaut pas en ce domaine, et la valeur des artistes, comme sur tout autre marché de l'art, est très variable. Et c'est le regard de l'amateur qui donne sa valeur au tableau, qu'il soit pornographique ou non. Dans les temps anciens, la transgression suffisait sans doute à susciter l'intérêt de ceux ou celles qu'on désignait comme des voyeurs, mais avec l'explosion de la pornographie moderne, l'appréciation est devenue essentielle dans ce marché, que ce soit par des volumes d'achat ou par la frénésie de clics sur des icônes informatiques censées exprimer des jugement positifs (ou parfois négatifs). Ne manquent sans doute que les musées qui devraient apparaître dans un futur proche, même si ce sera sans doute sous une forme virtuelle, pour célébrer les artistes les plus originales et les plus talentueuses.
Art essentiellement corporel, la pornographie privilégie bien sûr les performeuses (plus rarement les performeurs) comme les acteurs essentiels au cœur du processus de création. Et l'on parle désormais d'étoiles au firmament de cet art, semblables à celles du cinéma classique. D'aucuns pensent que la beauté des corps suffit à asseoir la renommée de ces artistes, mais d'autres critères esthétiques doivent être pris en considération.
Il faut d'abord remarquer, que, contrairement notamment à l'uniformité des modèles de la mode vestimentaire, les beautés pornographiques sont multiples et se caractérisent par la diversité de leurs formes qui vont jusqu'à des expressions extrêmes : les seins peuvent être énormes, ou minuscules, les courbes opulentes ou au contraire filiformes, les chevelures abondantes (blondes platine, noir de jais ou rousses flamboyantes) ou à l'inverse les crânes rasés, les ventres plats ou bien enveloppants, les peaux lisses et parfaites ou largement tatouées, noires ou blanches, mates ou couvertes de taches de rousseur… Et pour chacune de ces expressions, plus ou moins singulières, plus ou moins extrêmes, des stars ont été consacrées par des spectateurs et spectatrices cliquant fiévreusement sur les icônes de leurs appréciations positives. Face à l'anonymat des foules modernes, les artistes présentent des figures reconnaissables, singulières, profondément individualisées. Ainsi, la pornographie moderne célèbre la diversité des corps et des visages qui ne disparaît jamais derrière les processus éventuels d'idéalisation et d'esthétisation (maquillages soignés, lumières élaborées, prises de vue travaillées…). La corporéité la plus animale ne peut d'ailleurs être occultée et apparaît avec l'exhibition nécessaire des sexes et de leurs sécrétions multiples.
Inspiration furieuse taille originale : 29,7 x 21 cm |
En outre, la beauté seule ne supplée pas au manque de talent. Les étoiles de la pornographie moderne sont des artistes audacieuses, capables de performances inédites et mémorables, susceptibles d'émouvoir les amatrices et les amateurs les plus avertis. De leur corps, elles font œuvre d'art, en le magnifiant, en l'exhibant, en le tordant, en l'ouvrant, en le travaillant de multiples façons, défiant l'imagination des esprits étroits et des culs serrés. La performance pornographique engage l'artiste entièrement, dépassant les frontières de nos habitudes, déplaçant les limites du possible, engendrant une subversion générale des normes sociales, explorant les ressources cachées du corps mais aussi des âmes. C'est cet engagement total des performeuses et des performeurs dans leur gestuelle, dans leur posture, qui suscite l'adhésion sinon l'enthousiasme spectatoriel. Et c'est bien de reconnaissance intersubjective qu'il s'agit ici, le regard-caméra que nous adresse l'artiste signifiant : « Regarde ce que je fais pour toi ! (et n'oublie pas de laisser une appréciation positive sous ma vidéo et un pourboire électroniquement certifié !) ».
L'engagement des artistes dans leur performance, leur décontraction souriante sinon leur enthousiasme, leur intense implication dans le processus de création semblent ainsi des qualités essentielles pour accéder au statut d'étoiles, mais ici aussi, c'est la diversité des émotions qu'elles ou eux sont capables d'exprimer qui est remarquable et remarquée. On se souvient par exemple de cette actrice à la beauté froide et glaciale qui semblait subir avec indifférence sinon ennui une sodomie profonde. Et c'est enfin la capacité de ces artistes à susciter un ébranlement émotionnel unique qui les transforme en étoiles de la pornographie moderne.
5. La soumission
À l'opposé du conformisme social qui pense aujourd'hui que l'égalité et la liberté sont synonymes de bonheur, la pornographie souligne que la passion véritable implique la soumission au désir de l'autre. La croyance naïve en l'autonomie de l'individu, censée résulter de l'exigence de liberté et d'égalité absolues, crée en effet des monades fermées sur elles-mêmes, qui ne peuvent connaître le désir, leur propre désir, car cela impliquerait une ouverture à l'autre, à son désir qui est immédiatement refusé. A contrario, la pornographie révèle que c'est la soumission au désir de l'autre qui permet l'accès à son propre désir.
La soumission peut bien sûr prendre les formes exacerbées du bondage, du SM, d'un esclavage plus ou moins rude, mais elle est d'abord et avant tout mentale, correspondant exactement à la célèbre formule lacanienne : « le désir est désir de l'Autre ». Notre désir ne nous appartient pas car il est désir de désir : « Je m'exhibe parce que tu es voyeur ». On ne s'étonnera donc pas que, dans la pornographie moderne, la figure principale soit, non pas le maître ou la maîtresse, mais l'esclave dont la soumission (qui n'a rien de volontaire malgré les lectures naïves de La Boétie) n'est pas obéissance à un individu supposé dominant mais assujettissement à un désir qui le ou la dépasse. Bien entendu, seules des personnalités exceptionnelles et remarquables sont capables d'obéir ainsi à une telle exigence, de se livrer à un tel abandon de soi.
Sébastien est sans conteste le grand saint pornographique, celui dont le sacrifice répond au désir divin et qui reste le modèle inimitable de toutes les performeuses et performeurs. Amateurs d'art ou de pornographie resteront béats d'admiration et de reconnaissance devant ces corps qui s'abandonnent, qui s'ouvrent et se soumettent sans limite aux pénétrations les plus intimes.
6. Le carnaval des sorcières
Les étoiles de la pornographie, qui consacrent les meilleures performances de ce marché artistique, ne sont cependant pas seules, et il faut bien voir que mille autres astres brillent sans doute de façon moins voyante (il faut quelque télescope et une curiosité affinée pour les découvrir) même si l'on ne peut pas exactement parler à leur propos de matière noire. Il faut explorer ces innombrables galaxies pour découvrir que tous les corps y sont représentés, toutes les pratiques, tous les gestes, toutes les postures. N'envisageons que les corps : femmes mûres, vieillards, gros, grasses, maigres, bas du ventre, nains, naines, petites bites ou sexes surdimensionnés, musculatures difformes, seins hypertrophiés ou en chaussette, peaux blafardes ou noires d'ébène, transgenres bien sûr au pénis dressé ou flasque au contraire, moches et mochetés, personnes quelconques, hommes virils ou dévirilisés, cocus ou bandards fous, femmes enceintes, chauves ou poilus comme un singe, circoncis ou non, femmes fontaine ou tatouées, très amateurs ou un peu professionnels, tchèques ou coréens… les catégories sont innombrables et inattendues.
Comme l'affirmait Hugo, « si le beau n'a qu'un type, le laid en a mille », et lorsque l'art enfin se libère de l'esthétique du beau naît alors « le génie moderne, si complexe, si varié dans ces formes, si inépuisable dans ses créations ». Semblablement, la pornographie moderne libère les corps de la honte qui s'attache encore aujourd'hui à la nudité mais que la société contemporaine dans une forme de puritanisme renouvelé ne cesse d'alimenter. Il faut le reconnaître : les sorcières (et les sorciers !) sont là avec leur enthousiasme, leur rage, leur folie, leurs excès, leurs délires, leurs fantaisies, prêtes à baiser le cul de tous les incubes et succubes présents, et elles forment une sarabande, un carnaval pornographique des plus réjouissants, un sabbat très peu nocturne et fort endiablé. En cela, la pornographie moderne se conforme excellemment aux exigences féministes d'égalité entre toutes et tous, sans distinction ni exclusion ni préférence fondée sur l'apparence physique, la race, la couleur, le sexe, l'identité ou l'expression de genre, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap… Même Quasimodo pourra sodomiser Esméralda ou au moins participer à une séance de bukkake en son honneur.
Exposition/exhibition taille originale : 24 x 32 cm |
7. Le triolisme
Le triolisme est bien sûr antérieur au renouveau actuel de la pornographie. Mais celle-ci en a fait une de ses thèmes de prédilection - deux hommes, une femme ; deux femmes, un homme ; trois hommes ou trois femmes ensemble -, questionnant ainsi le privilège du couple, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel, romantique ou passionné, exclusif en tout cas jusqu'à ce survienne presque nécessairement l'infidélité au cœur d'un drame encore et toujours bourgeois. Car cette figure du couple reste incontestablement le modèle social et culturel dominant qui s'impose à la majorité des individus et à leurs pratiques sexuelles avec des lits à deux places seulement.
En cela, la pornographie est éminemment révolutionnaire, interrogeant à travers ses multiples performances artistiques les normes qui régissent nos comportements les plus intimes. Bien entendu, le trio n'est pas érigé en absolu, et les gang bangs dépassent allègrement cette limite numérique : seul le deux perd son privilège, laissant place aux trois, quatre, cinq, six et plus. À l'inverse, la masturbation encore jugée trop souvent honteuse est célébrée par de multiples vidéos dans un langage d'une richesse protéiforme. D'un objet destiné à filmer les réunions de famille ou les bandes de copains, ces artistes ont ainsi fait du smartphone un objet d'exploration inédit du plaisir solitaire, à la manière d'un Bill Viola repoussant les limites du visible, déjouant ses artifices, créant une imagerie raffinée et inédite.
Le trio représente donc une figure majeure de la pornographie moderne dans la mesure notamment où elle implique presque naturellement une rencontre qui ne se limite pas à celle de sexe à sexe et qui met en jeu tous les autres orifices et instruments de plaisir possibles, bouche, cul, mains, pieds, fesses, seins… Et l'on comprend aussi l'importance artistique de la double pénétration qui devient un thème iconographique aussi significatif que l'Annonciation dans la peinture italienne renaissante[1] : il s'agit en effet de représenter l'irreprésentable, le mystère de l'incarnation jumelle, l'ineffable privilège féminin de pouvoir se faire mettre en même temps dans le cul et dans la chatte.
Exposition muséale classique |
Une nécessaire formation
L'on comprend qu'il est temps désormais que la pornographie fasse l'objet d'une formation d'études supérieures complètes et qu'elle ne soit plus abandonnée aux seules bonnes volontés des artistes et artisans, aussi doués soient-ils, aussi motivées soient-elles. Une telle filière offrirait une voie d'accès à des carrières sans doute prestigieuses mais qui demandent du talent, des sacrifices et un investissement personnel exceptionnel. La mise en œuvre d'une pédagogie active devrait en outre mettre en place les conditions d'apprentissage adéquates à l'éclosion de la personnalité artistique des uns et des autres.
Chacun et chacune aurait ainsi l'occasion de s'exprimer artistiquement et pornographiquement dans les meilleures conditions de formation et de création.
Dites-le avec des fleurs… |
1. Daniel Arasse, L'annonciation italienne. Une histoire de perspective. Paris, Hazan, 1999.
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