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Google annonce que les images de nudité ou de sexualité explicite seront bientôt bannies des blogs hébergés par Blogger. Puis devant les réactions des utilisateurs, revient sur sa décision.
Cela suscite quelques réflexions sur Google, sur l’abus possible d’une position dominante, sur les phénomènes de domination en général, sur la différence entre inégalités, domination et pouvoir, et, pour terminer, sur les jeux de domination sexuelle. Le tout dans un ensemble légèrement incohérent.
Qu’est-ce que la domination ?
En sociologie — que celle-ci soit savante ou commune —, il y a une très grande approximation conceptuelle concernant la domination qu’un groupe exercerait sur un autre, domination qui est souvent confondue avec l’inégalité, le pouvoir, l’autorité ou encore le prestige. Ainsi, dans un documentaire intitulé la Domination masculine, le réalisateur Patric Jean mélange des faits extrêmement hétérogènes censés illustrer son propos, et il évoque notamment des cas extrêmement durs de violence conjugale comme la pointe extrême de cette domination. Or, dans la plupart des sociétés occidentales, ce type de violence est aujourd’hui largement condamné, que ce soit au niveau judiciaire et social ou simplement par l’opinion publique : personne ne défend — sauf les avocats payés pour ça — les hommes qui battent leurs compagnes, et la plupart des hommes qui sont confrontés dans leur entourage à de tels faits, vont, loin d’applaudir à de tels gestes, conseiller très généralement aux victimes de porter plainte ou, à tout le moins, de quitter les sinistres individus coupables de ces agissements. Dans l’opinion publique aujourd’hui, ces individus sont incontestablement (et heureusement) l’objet d’un opprobre social : leurs actes sont considérés comme le fait de personnes médiocres, au caractère déséquilibré, atteintes d’une forme plus ou moins grave de pathologie.
Il ne s’agit pas ici de dénier la gravité de ces actes mais simplement de souligner qu’ils ne prouvent absolument pas l’existence d’une domination masculine, même si la violence conjugale est dans la grande majorité des cas le fait d’hommes à l’encontre de femmes (la situation inverse existant néanmoins) : si mon voisin bat sa femme, moi-même en tant qu’homme, je n’exerce — à travers ce geste — aucune « domination masculine » sur l’ensemble des femmes ni même sur celles de mon entourage, je n’en éprouve tout au plus qu’un peu de honte à appartenir à un genre si facilement porté à la violence… Ces faits témoignent d’une différence de comportements — les hommes sont plus souvent les auteurs de faits de violence (même s’il faut rappeler aussi qu’il s’agit d’une minorité, sinon d’une petite minorité) — mais ils ne participent pas à une domination masculine dans la société actuelle.
Dans d’autres sociétés et à d’autres époques, la violence conjugale peut être légitimée de diverses façons, être exercée par d’autres personnes que l’époux (le père, les frères, la famille en général) et s’inscrire alors dans une domination masculine qui vise en particulier à contrôler le comportement sexuel des femmes et des jeunes filles. Mais, dans les sociétés occidentales actuelles, fondées sur l’égalité et l’individualisme, il est absurde de prétendre que ces gestes socialement stigmatisés démontreraient l’existence d’une domination masculine généralisée : tout au plus pourrait-on avancer l’idée qu’ils favoriseraient une crainte latente chez les femmes à l’égard des hommes et de leur « force virile », ainsi qu’une attitude plus ou moins consciente de soumission féminine, mais on voit que l’argumentation est fragile (et l’on ne peut que conseiller aux femmes de refuser tous les clichés associés à une supposée faiblesse féminine).
Cette évolution est récente, et l’on se souvient que dans le cinéma hollywoodien classique (jusqu’à la fin des années 1950), il était courant que les maris ou les amants giflent (ou parfois fessent) leurs partenaires présentées tendancieusement comme « hystériques ». Heureusement, le féminisme a promu largement à partir des années 1960 (et même avant) l’égalité entre hommes et femmes et condamné de tels agissements, stigmatisant la violence masculine mais aussi parentale.
Il ne s’agit pas non plus de prétendre qu’il n’y a plus aucune domination masculine dans les sociétés occidentales aujourd’hui, mais seulement que les violences conjugales évidemment condamnables ne participent pas, on le comprend aisément, à une telle domination. Mais comment alors définir la domination et la distinguer entre autres de l’inégalité et du pouvoir ?
Inégalité
L’inégalité n’est pas synonyme de domination : les revenus des médecins ou des avocats sont en moyenne supérieurs à ceux des instituteurs ou des ouvriers, mais cela ne signifie évidemment pas que les avocats exercent une quelconque domination sur les instituteurs. Même dans une perspective marxiste, les revenus supérieurs de la bourgeoisie par rapport au prolétariat ne sont pas considérés comme la manifestation de la domination capitaliste mais seulement comme la conséquence ou l’effet de cette domination : un rentier ayant une fortune médiocre (comme certains que l’on peut trouver dans l’univers balzacien) pourra disposer de revenus moindres que des ouvriers mais il exercera comme membre de la classe capitaliste une domination générale sur le prolétariat dont il exploitera (bien sûr de façon indirecte) la force de travail en lui extorquant une part (même minime) de la plus-value.
Domination
La domination est une notion relativement difficile à comprendre, car elle ne se confond ni avec l’inégalité (comme on vient de le voir) ni avec le pouvoir ou l’autorité (qu’on examinera plus tard). De façon abstraite, on définira la domination comme une relation sociale où un individu ou un groupe possède un avantage qui lui permet de limiter les choix d’un autre individu ou d’un autre groupe.
Cette domination peut reposer sur les qualités personnelles de l’individu dominant : ainsi, dans un sport comme le tennis, on dira qu’un joueur en domine un autre parce qu’il l’empêche de déployer son jeu, de placer ses coups efficacement et finalement de gagner la partie. Dans ce cas, la domination est la manifestation d’une inégalité, mais alors que celle-ci existe indépendamment de la situation — un joueur est meilleur que l’autre —, la domination n’existe que dans la rencontre, la compétition, c’est-à-dire dans la relation sociale qui met les deux joueurs en présence (avec notamment tout le contexte institutionnel du monde sportif qui impose le respect des règles, etc.).
Mais le plus souvent la domination résulte de la situation générale inégalitaire où se trouvent les individus ou les groupes. Le cas le plus facile à comprendre est celui d’un marché économique où une multitude de petits producteurs, par exemple agricoles, font face à quelques distributeurs de grande taille se trouvant pratiquement en situation de monopole : dans une telle situation, les producteurs en concurrence les uns avec les autres devront baisser leur prix de vente car les distributeurs les menaceront facilement de faire jouer la concurrence soit au plan local soit même au plan international. Les distributeurs ne peuvent pas « ordonner » aux producteurs de vendre leurs marchandises à bas prix, mais ils ne leur laissent pas, comme on dit, le choix. Par leur taille, par leurs contacts géographiquement étendus, les distributeurs sont dans une position dominante car ils peuvent se fournir ailleurs, alors que les petits producteurs sont dans une situation dominée et n’ont pas les moyens de contourner les grandes firmes de distribution.
On remarquera que la domination est très rarement absolue et qu’elle varie généralement selon les lieux et les époques. Ainsi, en situation de plein emploi (comme ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses entre les années 1945 et 1975 environ), les salariés fortement demandés peuvent plus facilement négocier des hausses de salaire que dans une situation de chômage important où ils se retrouvent en concurrence les uns avec les autres face aux employeurs. Mais même dans ce cas, des organisations comme les syndicats peuvent imposer des salaires minimums et des conventions collectives qui déterminent les niveaux de salaires admissibles.
Généralement, les phénomènes de domination résultent donc moins de qualités individuelles que des situations sociales différentes dans lesquelles se trouvent les individus: si les situations environnantes sont inégalitaires, la domination à proprement parler implique une limitation de la liberté de choix. Comprendre de tels phénomènes implique donc une analyse (parfois complexe) de la situation globale où se trouvent les individus et des choix (différents) qu’ils peuvent effectivement faire.
Pouvoir
Enfin, le pouvoir est la capacité pour un individu (ou un groupe) à imposer sa volonté à un autre individu (ou à un autre groupe). Être soumis au pouvoir implique une obéissance passive (ne pas s’opposer à l’autorité) ou active (agir selon la volonté du détenteur du pouvoir). Le pouvoir repose très généralement sur une forme de domination, mais toute domination n’implique pas un pouvoir : grâce à son savoir, à ses diplômes, à son statut officiel de prescripteur de médicaments, un médecin est dans une position dominante par rapport à son patient qui se voit prescrire des soins dont il ne peut pas décider personnellement (ne serait-ce que par manque de connaissances médicales), mais le patient garde toujours la liberté de ne pas se soigner. La seule exception est celle des personnes qui, souffrant de troubles psychiques peuvent constituer un danger pour autrui ou pour elles-mêmes : dans ce cas, un psychiatre dispose du pouvoir de faire interner (temporairement) une telle personne.
L’exemple type de la relation de pouvoir est bien sûr la hiérarchie militaire: le général donne des ordres aux officiers qui les font exécuter par les soldats. Dans ce cas, on voit que la relation de pouvoir est indirecte (elle passe par toute la hiérarchie des officiers et des sous-officiers) mais néanmoins fort contraignante : la désobéissance à quelque niveau que ce soit pourra en effet être l’objet de sanctions ou de punitions. Par ailleurs, les ordres sont ici explicites et impliquent des actions positives de la part de subordonnés (se déplacer, monter la garde, cirer des chaussures…).
Blogger et les images sexuellement explicites…
Mais qu’en est-il de Google aujourd’hui et de sa décision d’interdire le contenu sexuel explicite sur les comptes Blogger de ses usagers ? Est-ce un abus de position dominante ? Ou bien Google peut-il se réfugier derrière son statut d’entreprise privée, définissant librement les termes des contrats que ses clients peuvent ou non accepter, ou non refuser ?
On pressent qu’il y a une domination, mais quelles en sont exactement les formes et qui en sont précisément les victimes ? Personne bien sûr n’est obligé de s’affilier à Blogger, mais, dans l’offre qui s’est constituée à un moment autour de ce mode de publication, il y a eu (et il y a encore) une concurrence entre différents opérateurs pour attirer un maximum d’amateurs à la fois par une baisse de prix et même souvent par une gratuité du service, par la facilité d’emploi et enfin par le référencement plus ou moins efficace (sur Google…). Le paradoxe bien connu de cette offre est qu’elle cherche à attirer un maximum de « clients » qui peuvent bénéficier d’un service gratuit dont les frais (notamment d’hébergement sur serveur informatique) sont payés en fait par la publicité, publicité qui cependant n’apparaît pas sur les blogs de Google ! Soit le bloggeur paie pour être bien référencé sur le moteur de recherche (selon le système des Adwords), soit l’hébergement de nombreux blogs est payé par d’autres revenus publicitaires de Google (l’on peut supposer que les blogs hébergés, notamment les blogs personnels plus ou moins amateurs, ne constituent pas le secteur le plus rentable de Google).
Pour de nombreux bloggeurs, l’offre de Google a été et reste sans doute la plus attrayante pour les différentes raisons évoquées à l’instant, et elle a été aussi attrayante — notamment à cause de la gratuité et de l’absence visible de publicités sur les blogs — parce que Google visait précisément à attirer une maximum de bloggeurs et à « assécher » la concurrence [1].
Si l’on se place à présent d’un point de vue sociologique et non plus économique, on voit que Blogger occupe une position dominante à l’égard de ses utilisateurs (les bloggeurs) de deux manières au moins. Renoncer à l’hébergement par Blogger n’est pas du tout impossible — les bloggeurs sont « libres » d’aller ailleurs —, mais cela a effectivement un coût qui peut paraître exorbitant à l’utilisateur : en effet si celui-ci a choisi d’utiliser Blogger et a continué à l’utiliser parfois pendant une longue période, c’est qu’il estimait que cet instrument était « meilleur » ou présentait plus d’avantages que d’autres présents sur Internet. D’autres utilisateurs peuvent avoir un avis différent et préférer d’autres hébergeurs, mais cela ne fait absolument pas disparaître la préférence subjective du bloggeur. Pour lui, être obligé de changer d’hébergeur équivaut nécessairement à une perte, à des « avantages » qui lui sont soudainement retirés (qu’il s’agisse de la gratuité du service, de la facilité d’emploi, du référencement sur Google, de l’absence de publicité sur le blog ou de n’importe quelle autre raison). La décision de Google d’interdire soudain les blogs pour cause de sexualité explicite n’est pas sans doute une censure au sens strict mais bien un abus de position dominante pour les utilisateurs confrontés à un « coût » (sans doute subjectif) qu’ils sont obligés de subir, étant incapables (au moins individuellement) de s’opposer à une telle décision perçue comme arbitraire.
Une deuxième forme de domination résulte de ce que les sociologues appellent l’engagement dans l’action. L’utilisateur de Blogger s’est engagé progressivement dans une activité qui lui paraissait sans doute au début assez légère, peut-être de faible importance, sans conséquence dramatique sur son existence quotidienne en dehors du web. Mais au fil du temps, toute activité sociale « engage » de plus en plus l’individu qui, non seulement prend des habitudes, utilise des routines pour accroître son efficacité, mais donne également de plus en plus d’importance et de sens à une activité a priori secondaire. Bien entendu, de nombreux bloggeurs cessent à un moment de poster ou réduisent la fréquence de leurs publications, mais beaucoup d’autres y investissent du temps qui s’accumule et qui rétrospectivement devient part importante de leur propre vie passée comme en témoignent les archives (parfois impressionnantes) des blogs. Or Google est une firme sans états d’âme (même si l’on peut supposer que certains développeurs ont pu durement ressentir la disparition de certains produits auxquels ils avaient pu collaborer…) et ne connaît donc pas « l’engagement » subjectif de ses utilisateurs qui se retrouvent à cause de cela en position dominée face aux décisions abruptes de la firme de Mountain View. De la même façon que des employés licenciés à cause d’une restructuration peuvent prétendre avoir donné « toute leur vie » à l’entreprise qui les employait (alors qu’ils ont été régulièrement payés pour leur travail), un bloggeur soudain exclu de la plate-forme peut légitiment estimer que c’est une part essentielle de son existence qui est soudain menacée par l’arbitraire d’une décision. L’engagement progressif des individus dans une activité réduit en fait leur marge de manœuvre, leur « liberté » même si celle-ci existe toujours formellement (l’ouvrier licencié peut chercher du travail ailleurs…), et les place ainsi en situation dominée face à un « monstre » soudain devenu « froid ». La domination subie malgré soi est alors perçue comme « amputation », « violence », « injustice » ou simple « frustration »…
Ainsi, la décision de Google, même si elle a été revue, met bien à nu l’arbitraire dont à tout moment les bloggeurs peuvent ou pourront être les victimes après avoir consenti il y a plus ou moins longtemps à des clauses générales d’utilisation lues à l’époque très superficiellement…
Et les jeux de domination sexuelle…
…n’ont rien à voir avec tout ceci ! Le jeu, aussi sérieux soit-il en apparence, est seul capable de transforme la domination en source de plaisir et de jouissance. Et l’on espère donc que ce blog pourra continuer à participer à un tel jeu.
1. Pourquoi Google a-t-il proposé une offre aussi attrayante pour les bloggeurs alors que beaucoup de blogs, gratuits pour l’utilisateur, ne le sont pas pour la firme en l’absence de toute publicité ? On peut supposer que Google a, en ce domaine comme dans d’autres, une visée à long terme, cherchant à attirer un maximum d’utilisateurs, même si la manière de monétiser leur utilisation n’est pas encore déterminée. Mais cela explique aussi que Google puisse abandonner brutalement des secteurs ou des outils qui ont pu sembler prometteurs mais se sont sans doute révélés non rentables (ainsi que le rappelle le « cimetière » de Google). Tout Blogger pourrait ainsi disparaître, même s’il est vraisemblable que les blogs à visée commerciale, acheteurs d’Adwords, assurent la rentabilité du secteur. Ce qui est important de souligner, c’est que Google ne cherche pas à attirer tous les bloggeurs même s’il donne l’impression (fausse) de vouloir « écraser » toute concurrence. Il cherche plutôt à acquérir une position dominante dans un secteur qui lui paraît (au moins à un moment) prometteur. Si la mode des blogs s’essouffle (ou si le trafic se révèle finalement décevant notamment d’un point de vue publicitaire), il y renoncera certainement.
i like this cartoons ;)
RépondreSupprimersweet kiss