taille originale des dessins : 21 x 29,7 |
« Ce soir si je t’écris, c’est qu’on m’a mise de bonne humeur, un fait humain m’a remise dans mon assiette à 4 heures du matin ! Après des virées épuisantes dans la ville bondée d’imbéciles teutoniques et saouls venus rituellement élargir leur cervelle bornée au salon de l’Auto, je marchais loin de tout sur un trottoir désert quand je vois s’approcher de moi quelqu’un que j’ai d’abord pris pour un échappé de Bel-Air. L’œil fixe et fou, les dents serrées et la démarche saccadée, il s’approchait vêtu d’une gabardine. J’ai reculé d’abord, puis on s’est expliqué.
C’était un étudiant en médecine venant de passer des examens, puceau et misogyne de surcroît, 23 ans, une carrure de taureau nain, une sorte de petit Aubert en très jeune, très intelligent et d’une nervosité, d’une angoisse, concentrées et refoulées au maximum.
Il m’a fait un grand discours sur l’immense responsabilité que je prenais en l’emmenant chez moi, que c’était la première fois et pouvait aussi être la dernière s’il était déçu. Du coup, je me suis sentie à la hauteur d’une tâche maternelle et universelle, ça c’est du boulot, on passe au creuset un futur médecin, il peut en ressortir transformé à jamais en un ami, un confident des femmes, ou en leur ennemi !
Je dois dire qu’il est reparti extrêmement content de lui et de moi, je lui ai consacré le supplément de temps nécessaire à faire de lui un futur champion humain. Maintenant, après un dernier Suisse allemand venu des brumes d’Olten, pas trop saoul, je vais rentrer dormir auprès d’Edgar qui aura passé une partie de la nuit au piano avec une sourdine. Il est toujours aussi charmant et dévoué, mais je lui ai quand même fait une scène hier soir. J’ai explosé. Je lui ai dit qu’il était injuste et dégueulasse que je doive me crever toutes les nuits que personne ne me payait pour que je puisse faire de la peinture ou du piano et qu’il fallait qu’il gagne sa vie comme tout le monde, ou alors qu’il s’en trouve une autre.
Moi, tu me connais, je suis féroce, la rage concentrée de toutes ces nuits d’humiliations et de tortures me donnent des forces. Si la semaine prochaine il n’a rien fait, je le vire de chez moi, un point c’est tout, il n’y a pas de gentillesse ni de galanterie qui tiennent, je ne veux pas être seule à bouffer toujours la mauvaise part du gâteau. »
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